par Christophe Boëte
pour http://blog.mondediplo.net
PERMALINK
[2] Lire Germ-war allegations force WHO out of Indian mosquito project, New Scientist - 9 Oct. 1975 - et Powell K, Jayaraman KS : Mosquito researchers deny plotting secret biowarfare test. Nature 2002, 419(6910):867.
[3] Lire « Des moustiques transgéniques peuvent-ils vaincre le paludisme ? », Le Monde diplomatique, juillet 2006.
pour http://blog.mondediplo.net
PERMALINK
Face à la dengue, qui fait plus de vingt mille victimes par an, en majorité dans les pays tropicaux, les méthodes de lutte sont très limitées. Il n’existe ni vaccin ni traitement (préventif ou curatif) contre cette infection virale, transmise par des moustiques du genre Aedes, et notamment Aedes aegypti. Contrairement au vecteur du paludisme, Aedes pique dans la journée, rendant inefficace l’utilisation de moustiquaires et compliquant la prévention. Les programmes de lutte contre la dengue reposent dès lors sur la pulvérisation d’insecticides, l’emploi de larvicides et la protection individuelle contre les piqûres de ce moustique. Les résultats sont très insuffisants et l’incidence de la maladie progresse. C’est pourquoi certains chercheurs mettent leurs espoirs dans l’utilisation de techniques génétiques pour supprimer les populations de moustiques vecteurs. Et certains n’hésitent pas à agir dans la précipitation.
Lors de la conférence annuelle de la Société américaine de médecine tropicale et d’hygiène, en novembre 2010, le docteur Luke Alphey, co-fondateur d’Oxitec, une entreprise britannique de biotechnologie, présentait les résultats du premier lâcher de moustiques transgéniques dans la nature et déclarait : « Oxitec considère que cette approche pourrait être employée dans de nombreux pays pour aider au contrôle du moustique Aedes aegypti et ainsi prévenir la dengue. Nous travaillons sur ce projet depuis de nombreuses années, et nous nous sommes assurés de son efficacité et de son innocuité. Cet essai en représente la première démonstration en plein air, et nous sommes enchantés des résultats. »
Les moustiques lâchés dans la nature — uniquement des mâles — ont été modifiés de telle sorte que leurs descendants ne soient pas viables hors du laboratoire. L’objectif est de provoquer une diminution (voire une extinction) de la population de moustiques vecteurs.
L’annonce a fait l’effet d’une bombe, y compris chez les chercheurs du domaine, surpris d’apprendre qu’un tel lâcher venait d’être mené sans la moindre transparence. En effet, depuis bon nombre d’années, ces projets d’emploi de moustiques transgéniques comme outil de santé publique soulèvent des questions sociales et éthiques majeures. Il faut déterminer la meilleure manière d’impliquer les communautés concernées, mais aussi établir des règles internationales de biosécurité — comme c’est le cas pour les plantes transgéniques avec le protocole de Carthagène. Il est en effet souvent question de renforcement des capacités dans les programmes de recherche entre des partenaires du Nord et du Sud, mais ceci se limite souvent à de la formation de scientifiques ou à des aides techniques. Il serait temps de mettre en place des structures capables de s’engager dans le dialogue et la critique de questions scientifiques et technologiques dans les pays du Sud, afin de favoriser l’engagement des citoyens et leur permettre de participer activement aux choix technologiques qui les concernent. Pour beaucoup d’observateurs, Oxitec a ouvert la cage des moustiques transgéniques plus tôt que prévu.
Ce premier lâcher de moustiques transgéniques s’est déroulé sur l’île de Grand Cayman, un territoire britannique situé dans les Caraïbes, en deux étapes : un premier lâcher test fut effectué en 2009, suivi, en 2010, par un lâcher inondatif de trois millions de moustiques. Ce dernier, qui aurait permis d’éliminer 80 % de la population des moustiques, est considéré par Oxitec comme un succès. Mais la société n’a à ce jour pas publié ses résultats.
Oxitec a conduit un autre essai en Malaisie dans la région de Bentong, un district de l’Etat de Pahang. L’objectif était de tester la survie et la dispersion des moustiques transgéniques mâles stériles, avec un lâcher d’environ six mille mâles. Ce test grandeur nature, mené de décembre 2010 à début janvier 2011, s’est conclu par des pulvérisations d’insecticide destinées à éliminer tout moustique ayant éventuellement survécu.
Si l’essai sur Grand Cayman était resté relativement confidentiel, celui de Bentong fut condamné par les associations de consommateurs de Penang et par l’association environnementaliste Sahabat Alam Malaysia. Ces dernières ont été d’autant plus choquées que, suite à leurs protestations, les autorités de Kuala Lumpur avaient assuré que le lâcher était « reporté ». Bien que conduit en accord avec l’Institut pour la recherche médicale de Malaisie, l’essai n’a donné lieu à aucune information, ni dans la communauté scientifique, ni auprès du grand public. D’où l’impression d’un travail mené dans le secret — Luke Alphey s’en défend, estimant que la communication avec les populations n’est pas de son ressort, mais de celui des autorités publiques.
Aucune de ces expériences ne s’accompagne d’une étude d’impact épidémiologique – qui devrait pourtant être l’objectif central d’une intervention menée au nom de la santé publique. La précipitation apparente de ces essais a également soulevé des soupçons d’ordre financier [1].
Autre critique, les populations locales directement concernées par ces lâchers n’ont à aucun moment été impliquées. Les partisans de ces essais semblent ainsi ignorants du fiasco qu’avaient rencontré les précédents travaux sur le contrôle des populations d’Aedes aegypti par des lâchers de mâles stériles. Dans les années 1970, en Inde, un programme (non basé sur l’utilisation de moustiques transgéniques) conduit sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Indian Council for Medical Research avait dû être arrêté. Il était en effet accusé — à tort — d’être lié à des programmes de recherche de guerre biologique. A l’origine des soupçons, le fait qu’Aedes aegypti est communément appelé « moustique de la fièvre jaune » — une maladie qui n’est pas présente en Inde, mais figure sur une liste d’agents potentiels de guerre biologique dressée par les Etats-Unis, lesquels participaient au financement des recherches [2].
Dans le cas présent, on peut légitimement se demander si la mise en œuvre sans débat d’une technologie qu’on sait sujette à controverse ne signe pas la volonté d’adopter le principe du fait accompli plutôt que celui de précaution. Les moustiques ignorant les frontières, il est, de plus, déplorable que ces recherches ne soient pas sous le contrôle strict d’un organisme international comme l’OMS.
Les prochains tests et lâchers pourraient avoir lieu en Afrique. Une collaboration associe les universités de Keele (Royaume-Uni) et de Bamako (Mali) dans le cadre de la lutte contre le paludisme avec des moustiques capables de résister au parasite. Envisagée depuis de nombreuses années [3], cette approche ne fait pas appel à des moustiques stériles, mais à des moustiques résistants au parasite. Le but envisagé n’est pas de réduire la population de moustiques, mais de lui substituer une variante génétique ne transmettant pas le parasite. L’espoir des chercheurs est de faire se propager dans la population de moustiques un allèle résistant au plus dangereux des parasites du paludisme humain, Plasmodium falciparum.
De nombreuses inconnues subsistent cependant quant à l’aptitude de ces moustiques modifiés à supplanter, par le biais de la seule sélection naturelle, leurs congénères sauvages, et sur les conséquences épidémiologiques de cette approche. La résistance génétique sera-t-elle active contre toutes les variantes du parasite ? Se propagera-t-elle dans la population de moustiques, et restera-t-elle efficace dans toutes les conditions environnementales ? Combien d’espèces de moustiques faudra-t-il entreprendre de transformer ? Comment les lâchers se feront-ils ? Quel sera l’impact sur la prévalence de la maladie dans les populations humaines ?
Au-delà de ces questions scientifiques, qui restent ouvertes, les aspects sociaux et éthiques de l’opération devront être pris en compte, et les aspirations des populations concernées mises au premier plan.
Christophe Boëte est chercheur en écologie des maladies vectorielles, auteur (dir.) de Genetically modified mosquitoes for malaria control, Eurekah/Landes Bioscience, Georgetown, 2006. http://www.christopheboete.net/
Les moustiques lâchés dans la nature — uniquement des mâles — ont été modifiés de telle sorte que leurs descendants ne soient pas viables hors du laboratoire. L’objectif est de provoquer une diminution (voire une extinction) de la population de moustiques vecteurs.
L’annonce a fait l’effet d’une bombe, y compris chez les chercheurs du domaine, surpris d’apprendre qu’un tel lâcher venait d’être mené sans la moindre transparence. En effet, depuis bon nombre d’années, ces projets d’emploi de moustiques transgéniques comme outil de santé publique soulèvent des questions sociales et éthiques majeures. Il faut déterminer la meilleure manière d’impliquer les communautés concernées, mais aussi établir des règles internationales de biosécurité — comme c’est le cas pour les plantes transgéniques avec le protocole de Carthagène. Il est en effet souvent question de renforcement des capacités dans les programmes de recherche entre des partenaires du Nord et du Sud, mais ceci se limite souvent à de la formation de scientifiques ou à des aides techniques. Il serait temps de mettre en place des structures capables de s’engager dans le dialogue et la critique de questions scientifiques et technologiques dans les pays du Sud, afin de favoriser l’engagement des citoyens et leur permettre de participer activement aux choix technologiques qui les concernent. Pour beaucoup d’observateurs, Oxitec a ouvert la cage des moustiques transgéniques plus tôt que prévu.
Ce premier lâcher de moustiques transgéniques s’est déroulé sur l’île de Grand Cayman, un territoire britannique situé dans les Caraïbes, en deux étapes : un premier lâcher test fut effectué en 2009, suivi, en 2010, par un lâcher inondatif de trois millions de moustiques. Ce dernier, qui aurait permis d’éliminer 80 % de la population des moustiques, est considéré par Oxitec comme un succès. Mais la société n’a à ce jour pas publié ses résultats.
Oxitec a conduit un autre essai en Malaisie dans la région de Bentong, un district de l’Etat de Pahang. L’objectif était de tester la survie et la dispersion des moustiques transgéniques mâles stériles, avec un lâcher d’environ six mille mâles. Ce test grandeur nature, mené de décembre 2010 à début janvier 2011, s’est conclu par des pulvérisations d’insecticide destinées à éliminer tout moustique ayant éventuellement survécu.
Si l’essai sur Grand Cayman était resté relativement confidentiel, celui de Bentong fut condamné par les associations de consommateurs de Penang et par l’association environnementaliste Sahabat Alam Malaysia. Ces dernières ont été d’autant plus choquées que, suite à leurs protestations, les autorités de Kuala Lumpur avaient assuré que le lâcher était « reporté ». Bien que conduit en accord avec l’Institut pour la recherche médicale de Malaisie, l’essai n’a donné lieu à aucune information, ni dans la communauté scientifique, ni auprès du grand public. D’où l’impression d’un travail mené dans le secret — Luke Alphey s’en défend, estimant que la communication avec les populations n’est pas de son ressort, mais de celui des autorités publiques.
Aucune de ces expériences ne s’accompagne d’une étude d’impact épidémiologique – qui devrait pourtant être l’objectif central d’une intervention menée au nom de la santé publique. La précipitation apparente de ces essais a également soulevé des soupçons d’ordre financier [1].
Autre critique, les populations locales directement concernées par ces lâchers n’ont à aucun moment été impliquées. Les partisans de ces essais semblent ainsi ignorants du fiasco qu’avaient rencontré les précédents travaux sur le contrôle des populations d’Aedes aegypti par des lâchers de mâles stériles. Dans les années 1970, en Inde, un programme (non basé sur l’utilisation de moustiques transgéniques) conduit sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Indian Council for Medical Research avait dû être arrêté. Il était en effet accusé — à tort — d’être lié à des programmes de recherche de guerre biologique. A l’origine des soupçons, le fait qu’Aedes aegypti est communément appelé « moustique de la fièvre jaune » — une maladie qui n’est pas présente en Inde, mais figure sur une liste d’agents potentiels de guerre biologique dressée par les Etats-Unis, lesquels participaient au financement des recherches [2].
Dans le cas présent, on peut légitimement se demander si la mise en œuvre sans débat d’une technologie qu’on sait sujette à controverse ne signe pas la volonté d’adopter le principe du fait accompli plutôt que celui de précaution. Les moustiques ignorant les frontières, il est, de plus, déplorable que ces recherches ne soient pas sous le contrôle strict d’un organisme international comme l’OMS.
Les prochains tests et lâchers pourraient avoir lieu en Afrique. Une collaboration associe les universités de Keele (Royaume-Uni) et de Bamako (Mali) dans le cadre de la lutte contre le paludisme avec des moustiques capables de résister au parasite. Envisagée depuis de nombreuses années [3], cette approche ne fait pas appel à des moustiques stériles, mais à des moustiques résistants au parasite. Le but envisagé n’est pas de réduire la population de moustiques, mais de lui substituer une variante génétique ne transmettant pas le parasite. L’espoir des chercheurs est de faire se propager dans la population de moustiques un allèle résistant au plus dangereux des parasites du paludisme humain, Plasmodium falciparum.
De nombreuses inconnues subsistent cependant quant à l’aptitude de ces moustiques modifiés à supplanter, par le biais de la seule sélection naturelle, leurs congénères sauvages, et sur les conséquences épidémiologiques de cette approche. La résistance génétique sera-t-elle active contre toutes les variantes du parasite ? Se propagera-t-elle dans la population de moustiques, et restera-t-elle efficace dans toutes les conditions environnementales ? Combien d’espèces de moustiques faudra-t-il entreprendre de transformer ? Comment les lâchers se feront-ils ? Quel sera l’impact sur la prévalence de la maladie dans les populations humaines ?
Au-delà de ces questions scientifiques, qui restent ouvertes, les aspects sociaux et éthiques de l’opération devront être pris en compte, et les aspirations des populations concernées mises au premier plan.
Christophe Boëte est chercheur en écologie des maladies vectorielles, auteur (dir.) de Genetically modified mosquitoes for malaria control, Eurekah/Landes Bioscience, Georgetown, 2006. http://www.christopheboete.net/
Pour aller plus loin
— Bart G. J. Knols et al., « Transgenic Mosquitoes and the Fight against Malaria : Managing Technology Push in a Turbulent GMO World », American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, 77(6_Suppl), 2007, pp. 232-242.Conférence du docteur Luke Alphey à Davos (2009)
— John M. Marshall et al., « Perspectives of people in Mali toward genetically-modified mosquitoes for malaria control », Malaria Journal, 14 mai 2010.
— Katherine Nightingale, « Mali to rear malaria-resistant GM mosquitoes », 4 août 2010.
Notes
[1] Cf. Gene Watch UK, Oxitec’s genetically-modified mosquitoes : in the public interest ?, décembre 2010 (PDF).[2] Lire Germ-war allegations force WHO out of Indian mosquito project, New Scientist - 9 Oct. 1975 - et Powell K, Jayaraman KS : Mosquito researchers deny plotting secret biowarfare test. Nature 2002, 419(6910):867.
[3] Lire « Des moustiques transgéniques peuvent-ils vaincre le paludisme ? », Le Monde diplomatique, juillet 2006.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire