"Que sert d’être habile à parler ? Ceux qui reçoivent tout le monde avec de belles paroles, qui viennent seulement des lèvres, et non du cœur, se rendent souvent odieux ..." ( Confucius )
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17 mars 2014
9 mars 2014
Grave crise entre les émirats du Golfe
Par Alain Gresh
07/03/2014
Source : http://blog.mondediplo.net
English : Serious crisis between the emirates of the Gulf
07/03/2014
Source : http://blog.mondediplo.net
English : Serious crisis between the emirates of the Gulf
La version du texte en arabe ici.
La décision n’a pas vraiment surpris, car le feu couvait depuis longtemps sous la cendre. Le 5 mars, trois pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn annonçaient, dans un communiqué commun, le rappel de leurs ambassadeurs au Qatar (« Saudi, Bahrain, UAE recall envoys to Qatar », Saudi Gazette, 5 mars).
Le communiqué précise que les trois pays « ont fourni des grands efforts pour négocier avec le Qatar à tous les niveaux et pour arriver à une politique commune (...) et garantir les principes de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats-membres » (du CCG). « Ils ont aussi demandé au Qatar de ne soutenir aucun mouvement dont le but est de menacer la sécurité et la stabilité des Etat membres. »
Le communiqué fait également référence au sommet tripartite du 23 novembre 2013 entre l’émir du Koweït, celui du Qatar (le cheikh Tamilm qui venait de succéder à son père) et le roi d’Arabie saoudite, sommet au cours duquel un accord aurait été signé et que le Qatar n’aurait pas appliqué malgré plusieurs tentatives de médiation.
Cette mesure de retrait a entraîné une chute importante de la bourse de Doha, de 2 % pour l’index des 20 plus grandes sociétés, la plus forte baisse depuis 6 mois — mais les valeurs du marché sont en hausse de près de 10 % sur un an. Les valeurs les plus touchées ont été les télécommunications, les banques, le transport, l’immobilier (« Qatar shares drop 2%, largest single-day loss in 6 months », Gulf Times, 5 mars).
Le gouvernement de Doha a exprimé « ses regrets et sa surprise » après cette décision prise par « des pays frères ». Celle-ci est « contraire aux intérêts, à la sécurité et à la stabilité des peuples du CCG », mais est liée à des différences de points de vue sur des questions qui ne concernent pas le CCG (allusion sans doute à l’Egypte, lire « Qatar “regrets” envoys’ recall by three GCC states », Gulf Times, 6 mars). Toutefois, Doha a décidé de maintenir ses ambassadeurs dans les trois capitales.
Une source officielle à Doha, s’exprimant anonymement, a employé un langage moins diplomatique : « Le Qatar ne renoncera pas, quelles que soient les pressions, à sa politique étrangère. C’est une question de principes auxquels nous sommes attachés, quel que soit le prix à payer » (« Qatar “will not bow to pressure to alter foreign policy” », Reuters, 6 mars 2014).
Avant de revenir sur le fond des problèmes qui opposent le Qatar aux trois autres pays, une remarque s’impose : deux des six membres du CCG ne se sont pas joints à l’Arabie saoudite, ce qui est un revers pour le royaume. D’abord le Koweït, qui a tenté des médiations mais ne souhaite pas envenimer les choses ; de plus, comme le Qatar, le pays n’a pas signé l’accord de sécurité (le Parlement s’y oppose fortement). Ensuite Oman, qui s’est opposé à plusieurs reprises à ce qui est perçu comme une volonté hégémonique de Riyad et qui a refusé, lors du sommet du CCG en décembre, de cautionner le projet d’union des pays du Golfe, avec une dimension militaire (lire Marc Cher Leparrain, « Fronde d’Oman contre l’Arabie saoudite », OrientXXI, 22 janvier 2014.) Pour aggraver leur cas, les Omanais ont servi d’intermédiaires aux négociations secrètes entre l’Iran et les Etats-Unis.
Même le front des trois pays n’est pas aussi solide qu’on pourrait le penser, les Emirats arabes unis ayant, contrairement à l’Arabie saoudite, repris langue avec l’Iran : le ministre des affaires étrangères émirati s’est rendu à Téhéran le 28 novembre et son homologue iranien a été reçu à Abou Dhabi le 4 décembre.
Les relations entre le Qatar et l’Arabie saoudite sont tendues depuis des années, notamment à cause de la chaîne de télévision Al-Jazira, dont les critiques à l’égard du régime saoudien ont été constantes. L’Arabie avait retiré son ambassadeur à Doha en 2002, pour protester contre ses émissions. Il n’avait repris son poste qu’en 2008 à la suite d’une promesse de Doha d’atténuer le ton de sa chaîne satellitaire.
Mais cette crise semble beaucoup plus grave que les précédentes, car elle dépasse largement Al-Jazira, accusée par Riyad d’avoir repris ses critiques contre le royaume ces deux derniers mois. Riyad (et Abou Dhabi) reprochent au Qatar d’avoir aidé et financé les Frères musulmans en Arabie et dans les Emirats arabes unis (ce pays a arrêté des dizaines de membres de la confrérie, ou supposés tels). Or les Frères musulmans sont devenus l’ennemi principal des deux monarchies (lire mon article de novembre 2012, « Les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir », Le Monde diplomatique). Le 7 mars, à la suite de l’Egypte, l’Arabie saoudite a désigné les Frères comme « organisation terroriste ».
Au-delà de ce reproche, la pomme de discorde essentielle reste l’Egypte, Riyad et Abou Dhabi ayant salué le coup d’Etat de l’armée du 3 juillet 2013, le Qatar l’ayant condamné. Les relations entre Doha et Le Caire restent mauvaises et l’Egypte, dont l’ambassadeur au Qatar a quitté son poste en février, reproche à l’émirat de s’ingérer dans ses affaires intérieures et de refuser d’extrader des « criminels » qui s’y sont réfugiés.
Enfin, les critiques du cheikh Youssef Al-Qaradhawi contre la famille régnante aux Emirats début février avait provoqué une convocation de l’ambassadeur du Qatar à Abou Dhabi. Il faut noter toutefois que le cheikh, qui présentait une des émissions phare d’Al-Jazira, « La charia et la vie », en a été privé depuis plusde six mois sans qu’aucune explication n’ait été avancée ; en revanche, il prononce la khotba du vendredi dans l’une des grandes mosquées de Doha.
La presse saoudienne a ajouté deux griefs à ces accusations (« Saudi Arabia and other Gulf States lose patience with Qatar », BBC Monitoring research, 5 mars 2014) :
celui d’aider les groupes les plus extrémistes en Syrie, notamment le Front Al-Nosra (reproche fait aussi à la Turquie) ; il est à noter pourtant que le Qatar, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite soutiennent tous la rébellion en Syrie ;
celui d’aider les rebelles « houtistes » au Yémen (c’est la première fois que je lis une telle accusation ; lire Pierre Bernin, « Les guerres cachées du Yémen », Le Monde diplomatique, octobre 2009).
Cette crise est la plus sérieuse qu’ait connue le CCG depuis sa fondation. Elle est d’autant plus significative que l’on assiste à une réorganisation de la région avec la détente (relative) entre l’Iran et les Etats-Unis. Le sommet arabe qui doit se tenir à la fin du mois au Koweït risque d’être agité. La réaction française est restée discrète, c’est le moins qu’on puisse dire. Seule la sénatrice Nathalie Goulet a publié un communiqué attirant l’attention sur le caractère dangereux de l’escalade.
La décision n’a pas vraiment surpris, car le feu couvait depuis longtemps sous la cendre. Le 5 mars, trois pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn annonçaient, dans un communiqué commun, le rappel de leurs ambassadeurs au Qatar (« Saudi, Bahrain, UAE recall envoys to Qatar », Saudi Gazette, 5 mars).
Le communiqué précise que les trois pays « ont fourni des grands efforts pour négocier avec le Qatar à tous les niveaux et pour arriver à une politique commune (...) et garantir les principes de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats-membres » (du CCG). « Ils ont aussi demandé au Qatar de ne soutenir aucun mouvement dont le but est de menacer la sécurité et la stabilité des Etat membres. »
Le communiqué fait également référence au sommet tripartite du 23 novembre 2013 entre l’émir du Koweït, celui du Qatar (le cheikh Tamilm qui venait de succéder à son père) et le roi d’Arabie saoudite, sommet au cours duquel un accord aurait été signé et que le Qatar n’aurait pas appliqué malgré plusieurs tentatives de médiation.
Cette mesure de retrait a entraîné une chute importante de la bourse de Doha, de 2 % pour l’index des 20 plus grandes sociétés, la plus forte baisse depuis 6 mois — mais les valeurs du marché sont en hausse de près de 10 % sur un an. Les valeurs les plus touchées ont été les télécommunications, les banques, le transport, l’immobilier (« Qatar shares drop 2%, largest single-day loss in 6 months », Gulf Times, 5 mars).
Le gouvernement de Doha a exprimé « ses regrets et sa surprise » après cette décision prise par « des pays frères ». Celle-ci est « contraire aux intérêts, à la sécurité et à la stabilité des peuples du CCG », mais est liée à des différences de points de vue sur des questions qui ne concernent pas le CCG (allusion sans doute à l’Egypte, lire « Qatar “regrets” envoys’ recall by three GCC states », Gulf Times, 6 mars). Toutefois, Doha a décidé de maintenir ses ambassadeurs dans les trois capitales.
Une source officielle à Doha, s’exprimant anonymement, a employé un langage moins diplomatique : « Le Qatar ne renoncera pas, quelles que soient les pressions, à sa politique étrangère. C’est une question de principes auxquels nous sommes attachés, quel que soit le prix à payer » (« Qatar “will not bow to pressure to alter foreign policy” », Reuters, 6 mars 2014).
Avant de revenir sur le fond des problèmes qui opposent le Qatar aux trois autres pays, une remarque s’impose : deux des six membres du CCG ne se sont pas joints à l’Arabie saoudite, ce qui est un revers pour le royaume. D’abord le Koweït, qui a tenté des médiations mais ne souhaite pas envenimer les choses ; de plus, comme le Qatar, le pays n’a pas signé l’accord de sécurité (le Parlement s’y oppose fortement). Ensuite Oman, qui s’est opposé à plusieurs reprises à ce qui est perçu comme une volonté hégémonique de Riyad et qui a refusé, lors du sommet du CCG en décembre, de cautionner le projet d’union des pays du Golfe, avec une dimension militaire (lire Marc Cher Leparrain, « Fronde d’Oman contre l’Arabie saoudite », OrientXXI, 22 janvier 2014.) Pour aggraver leur cas, les Omanais ont servi d’intermédiaires aux négociations secrètes entre l’Iran et les Etats-Unis.
Même le front des trois pays n’est pas aussi solide qu’on pourrait le penser, les Emirats arabes unis ayant, contrairement à l’Arabie saoudite, repris langue avec l’Iran : le ministre des affaires étrangères émirati s’est rendu à Téhéran le 28 novembre et son homologue iranien a été reçu à Abou Dhabi le 4 décembre.
Les relations entre le Qatar et l’Arabie saoudite sont tendues depuis des années, notamment à cause de la chaîne de télévision Al-Jazira, dont les critiques à l’égard du régime saoudien ont été constantes. L’Arabie avait retiré son ambassadeur à Doha en 2002, pour protester contre ses émissions. Il n’avait repris son poste qu’en 2008 à la suite d’une promesse de Doha d’atténuer le ton de sa chaîne satellitaire.
Mais cette crise semble beaucoup plus grave que les précédentes, car elle dépasse largement Al-Jazira, accusée par Riyad d’avoir repris ses critiques contre le royaume ces deux derniers mois. Riyad (et Abou Dhabi) reprochent au Qatar d’avoir aidé et financé les Frères musulmans en Arabie et dans les Emirats arabes unis (ce pays a arrêté des dizaines de membres de la confrérie, ou supposés tels). Or les Frères musulmans sont devenus l’ennemi principal des deux monarchies (lire mon article de novembre 2012, « Les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir », Le Monde diplomatique). Le 7 mars, à la suite de l’Egypte, l’Arabie saoudite a désigné les Frères comme « organisation terroriste ».
Au-delà de ce reproche, la pomme de discorde essentielle reste l’Egypte, Riyad et Abou Dhabi ayant salué le coup d’Etat de l’armée du 3 juillet 2013, le Qatar l’ayant condamné. Les relations entre Doha et Le Caire restent mauvaises et l’Egypte, dont l’ambassadeur au Qatar a quitté son poste en février, reproche à l’émirat de s’ingérer dans ses affaires intérieures et de refuser d’extrader des « criminels » qui s’y sont réfugiés.
Enfin, les critiques du cheikh Youssef Al-Qaradhawi contre la famille régnante aux Emirats début février avait provoqué une convocation de l’ambassadeur du Qatar à Abou Dhabi. Il faut noter toutefois que le cheikh, qui présentait une des émissions phare d’Al-Jazira, « La charia et la vie », en a été privé depuis plusde six mois sans qu’aucune explication n’ait été avancée ; en revanche, il prononce la khotba du vendredi dans l’une des grandes mosquées de Doha.
La presse saoudienne a ajouté deux griefs à ces accusations (« Saudi Arabia and other Gulf States lose patience with Qatar », BBC Monitoring research, 5 mars 2014) :
celui d’aider les groupes les plus extrémistes en Syrie, notamment le Front Al-Nosra (reproche fait aussi à la Turquie) ; il est à noter pourtant que le Qatar, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite soutiennent tous la rébellion en Syrie ;
celui d’aider les rebelles « houtistes » au Yémen (c’est la première fois que je lis une telle accusation ; lire Pierre Bernin, « Les guerres cachées du Yémen », Le Monde diplomatique, octobre 2009).
Cette crise est la plus sérieuse qu’ait connue le CCG depuis sa fondation. Elle est d’autant plus significative que l’on assiste à une réorganisation de la région avec la détente (relative) entre l’Iran et les Etats-Unis. Le sommet arabe qui doit se tenir à la fin du mois au Koweït risque d’être agité. La réaction française est restée discrète, c’est le moins qu’on puisse dire. Seule la sénatrice Nathalie Goulet a publié un communiqué attirant l’attention sur le caractère dangereux de l’escalade.
Les Etats-Unis face à l’islam politique
Université populaire, samedi 8 mars 2014
Séance 1 (10h30-12h30)
Dialogue introductif, avec Jean-Paul Chagnollaud, professeur des Universités, directeur de l’iReMMO et de la revue Confluence Méditerranée, et Alain Gresh, journaliste au Monde diplomatique et animateur du blog Nouvelles d’Orient.
Séance 2 (14h-16h)
Le tournant de la guerre en Afghanistan, avec Gilles Donrrosoro, professeur en science politique à l’Université Paris I.
Séance 3 (16h-18h)
Positionnement politique des Etats-Unis face aux gouvernements post révoltes arabes, avec Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS.
Contact et inscription : universite-populaire@iremmo.org
Participation : 20 euros pour la journée (12 euros pour les étudiants et les demandeurs d’emploi) ; carte Intégrale 145/90€
Lieu : iReMMO 5, rue Basse des Carmes, 75005 Paris (M° Maubert Mutualité)
14 novembre 2013
Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens
Par Lori M. Wallach
* Directrice de Public Citizen’s Global Trade Watch, Washington, DC, www.citizen.org
11/2013
Source : http://www.monde-diplomatique.fr
English : The transatlantic treaty, a typhoon that threatens Europeans
Engagées en 2008, les discussions sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne ont abouti le 18 octobre. Un bon présage pour le gouvernement américain, qui espère conclure un partenariat de ce type avec le Vieux Continent. Négocié en secret, ce projet ardemment soutenu par les multinationales leur permettrait d’attaquer en justice tout Etat qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme.
Imagine-t-on des multinationales traîner en justice les gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits ? Se conçoit-il qu’elles puissent réclamer — et obtenir ! — une généreuse compensation pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par une législation environnementale trop spoliatrice ? Si invraisemblable qu’il paraisse, ce scénario ne date pas d’hier. Il figurait déjà en toutes lettres dans le projet d’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Divulguée in extremis, notamment par Le Monde diplomatique, la copie souleva une vague de protestations sans précédent, contraignant ses promoteurs à la remiser. Quinze ans plus tard, la voilà qui fait son grand retour sous un nouvel habillage.
L’accord de partenariat transatlantique (APT) négocié depuis juillet 2013 par les Etats-Unis et l’Union européenne est une version modifiée de l’AMI. Il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant, ou d’une réparation de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.
D’après le calendrier officiel, les négociations ne devraient aboutir que dans un délai de deux ans. L’APT combine en les aggravant les éléments les plus néfastes des accords conclus par le passé. S’il devait entrer en vigueur, les privilèges des multinationales prendraient force de loi et lieraient pour de bon les mains des gouvernants. Imperméable aux alternances politiques et aux mobilisations populaires, il s’appliquerait de gré ou de force, puisque ses dispositions ne pourraient être amendées qu’avec le consentement unanime des pays signataires. Il dupliquerait en Europe l’esprit et les modalités de son modèle asiatique, l’accord de partenariat transpacif ique (Trans-Pacific Partnership, TPP), actuellement en cours d’adoption dans douze pays après avoir été ardemment promu par les milieux d’affaires américains. A eux deux, l’APT et le TPP formeraient un empire économique capable de dicter ses conditions hors de ses frontières : tout pays qui
chercherait à nouer des relations commerciales avec les Etats-Unis ou l’Union européenne se verrait contraint d’adopter telles quelles les règles qui prévalent au sein de leur marché commun.
Tribunaux spécialement créés
Parce qu’elles visent à brader des pans entiers du secteur non marchand, les négociations autour de l’APT et du TPP se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité aux documents préparatoires et
aux représentants de l’administration. Rien ne doit filtrer. Instruction a été donnée de laisser journalistes et citoyens à l’écart des discussions : ils seront informés en temps utile, à la signature du traité, lorsqu’il sera
trop tard pour réagir.
Dans un élan de candeur, l’ancien ministre du commerce américain Ronald (« Ron ») Kirk a fait valoir l’intérêt « pratique » de « préserver un certain degré de discrétion et de confidentialité (2) ». La dernière fois qu’une version de travail d’un accord en cours de formalisation a été mise sur la place publique, a-t-il souligné, les négociations ont échoué – une allusion à la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), une version élargie de l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) ; le projet, âprement défendu par M. George W. Bush, fut dévoilé sur le site Internet de l’administration en 2001. A quoi la sénatrice Elizabeth Warren rétorque qu’un accord négocié sans aucun examen démocratique ne devrait jamais être signé (3).
L’impérieuse volonté de soustraire le chantier du traité américano-européen à l’attention du public se conçoit aisément. Mieux vaut prendre son temps pour annoncer au pays les effets qu’il produira à tous les échelons : du sommet de l’Etat fédéral jusqu’aux conseils municipaux en passant par les gouvernorats et les assemblées
locales, les élus devront redéfinir de fond en comble leurs politiques publiques de manière à satisfaire les appétits du privé dans les secteurs qui lui échappaient encore en partie. Sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration : pas un domaine d’intérêt général qui ne passe sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.
L’action politique des élus se limitera à négocier auprès des entreprises ou de leurs mandataires locaux les miettes de souveraineté qu’ils voudront bien leur consentir.
Il est d’ores et déjà stipulé que les pays signataires assureront la « mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures » avec les dispositions du traité. Nul doute qu’ils veilleront scrupuleusement à honorer cet engagement. Dans le cas contraire, ils pourraient faire l’objet de poursuites devant l’un des tribunaux spécialement créés pour arbitrer les litiges entre les investisseurs et les Etats, et dotés du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers.
L’idée peut paraître invraisemblable ; elle s’inscrit pourtant dans la philosophie des traités commerciaux déjà en vigueur. L’année dernière, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ainsi condamné les Etats-Unis pour leurs boîtes de thon labellisées « sans danger pour les dauphins », pour l’indication du pays d’origine sur les viandes importées, ou encore pour l’interdiction du tabac parfumé au bonbon, ces mesures protectrices étant considérées comme des entraves au libre échange. Elle a aussi infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM). La nouveauté introduite par l’APT et le TTP, c’est qu’ils permettraient aux multinationales de poursuivre en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial.
Sous un tel régime, les entreprises seraient en mesure de contrecarrer les politiques de santé, de protection de l’environnement ou de régulation de la finance mises en place dans tel ou tel pays en lui réclamant des dommages et intérêts devant des tribunaux extrajudiciaires. Composées de trois avocats d’affaires, ces cours
spéciales répondant aux lois de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations unies (ONU) seraient habilitées à condamner le contribuable à de lourdes réparations dès lors que sa législation rognerait sur les « futurs profits espérés » d’une société.
Ce système « investisseur contre Etat », qui semblait rayé de la carte après l’abandon de l’AMI en 1998, a été restauré en catimini au fil des années. En vertu de plusieurs accords commerciaux signés par Washington, 400 millions de dollars sont passés de la poche du contribuable à celle des multinationales pour cause d’interdiction de produits toxiques, d’encadrement de l’exploitation de l’eau, du sol ou du bois, etc. (4). Sous l’égide de ces mêmes traités, les procédures actuellement en cours – dans des affaires d’intérêt général
comme les brevets médicaux, la lutte antipollution ou les lois sur le climat et les énergies fossiles – font grimper les demandes de dommages et intérêts à 14 milliards de dollars.
L’APT alourdirait encore la facture de cette extorsion légalisée, compte tenu de l’importance des intérêts en jeu dans le commerce transatlantique. Trois mille trois cents entreprises européennes sont présentes sur le sol américain par le biais de vingt-quatre mille filiales, dont chacune peut s’estimer fondée un jour ou l’autre à
demander réparation pour un préjudice commercial. Un tel effet d’aubaine dépasserait de très loin les coûts occasionnés par les traités précédents. De leur côté, les pays membres de l’Union européenne se verraient exposés à un risque financier plus grand encore, sachant que quatorze mille quatre cents compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cents filiales. Au total, ce sont soixante-quinze mille sociétés qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics.
Officiellement, ce régime devait servir au départ à consolider la position des investisseurs dans les pays en développement dépourvus de système juridique fiable ; il leur permettait de faire valoir leurs droits en cas d’expropriation. Mais l’Union européenne et les Etats-Unis ne passent pas précisément pour des zones de nondroit ; ils disposent au contraire d’une justice fonctionnelle et pleinement respectueuse du droit à la propriété. En les plaçant malgré tout sous la tutelle de tribunaux spéciaux, l’APT démontre que son objectif n’est pas de protéger les investisseurs, mais bien d’accroître le pouvoir des multinationales.
Procès pour hausse du salaire minimum
Il va sans dire que les avocats qui composent ces tribunaux n’ont de comptes à rendre à aucun électorat. Inversant allègrement les rôles, ils peuvent aussi bien servir de juges que plaider la cause de leurs puissants clients (5). C’est un tout petit monde que celui des juristes de l’investissement international : ils ne sont que quinze à se partager 55 % des affaires traitées à ce jour. Evidemment, leurs décisions sont sans appel.
Les « droits » qu’ils ont pour mission de protéger sont formulés de manière délibérément approximative, et leur interprétation sert rarement les intérêts du plus grand nombre. Ainsi de celui accordé à l’investisseur
de bénéficier d’un cadre réglementaire conforme à ses « prévisions » – par quoi il convient d’entendre que le gouvernement s’interdira de modifier sa politique une fois que l’investissement a eu lieu. Quant au droit d’obtenir une compensation en cas d’« expropriation indirecte », il signifie que les pouvoirs publics devront
mettre la main à la poche si leur législation a pour effet de diminuer la valeur d’un investissement, y compris lorsque cette même législation s’applique aussi aux entreprises locales. Les tribunaux reconnaissent également le droit du capital à acquérir toujours plus de terres, de ressources naturelles, d’équipements, d’usines, etc. Nulle contrepartie de la part des multinationales : elles n’ont aucune obligation à l’égard des Etats et peuvent engager des poursuites où et quand cela leur chante.
Certains investisseurs ont une conception très extensive de leurs droits inaliénables. On a pu voir récemment
des sociétés européennes engager des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou, l’Alena servant dans ce dernier cas à protéger le droit de polluer du groupe américain Renco (6). Autre exemple : le géant de la cigarette Philip Morris, incommodé par les législations antitabac de l’Uruguay et de l’Australie, a assigné ces deux pays devant un tribunal spécial. Le groupe pharmaceutique américain Eli Lilly entend se faire justice face au Canada, coupable d’avoir mis en place un système de brevets qui rend certains médicaments plus abordables. Le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique », qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire.
Il n’y a pas de limite aux pénalités qu’un tribunal peut infliger à un Etat au bénéfice d’une multinationale. Il y a un an, l’Equateur s’est vu condamné à verser la somme record de 2 milliards d’euros à une compagnie pétrolière (7). Même lorsque les gouvernements gagnent leur procès, ils doivent s’acquitter de frais de justice et de commissions diverses qui atteignent en moyenne 8 millions de dollars par dossier, gaspillés au détriment du citoyen. Moyennant quoi les pouvoirs publics préfèrent souvent négocier avec le plaignant que plaider leur cause au tribunal. L’Etat canadien s’est ainsi épargné une convocation à la barre en abrogeant hâtivement l’interdiction d’un additif toxique utilisé par l’industrie pétrolière.
Pour autant, les réclamations n’en finissent pas de croître. D’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par dix depuis 2000. Alors que le système d’arbitrage commercial a été conçu dès les années 1950, il n’a jamais autant rendu service aux intérêts privés qu’en 2012, année exceptionnelle en termes de dépôts de dossiers. Ce boom a créé une florissante pépinière de consultants financiers et d’avocats d’affaires.
Le projet de grand marché américanoeuropéen est porté depuis de longues années par le Dialogue économique transatlantique (Trans-Atlantic Business Dialogue, TABD), un lobby mieux connu aujourd’hui sous l’appellation de Trans-Atlantic Business Council (TABC). Créé en 1995 sous le patronage de la Commission européenne et du ministère du commerce américain, ce rassemblement de riches entrepreneurs milite pour un « dialogue » hautement constructif entre les élites économiques des deux continents, l’administration de Washington et les commissaires de Bruxelles. Le TABC est un forum permanent qui permet aux multinationales de coordonner leurs attaques contre les politiques d’intérêt général qui tiennent encore debout des deux côtés de l’Atlantique.
Son objectif, publiquement affiché, est d’éliminer ce qu’il appelle les « discordes commerciales » (trade irritants), c’est-àdire d’opérer sur les deux continents selon les mêmes règles et sans interférence avec les pouvoirs publics. « Convergence régulatoire » et « reconnaissance mutuelle » font partie des panneaux sémantiques qu’il brandit pour inciter les gouvernements à autoriser les produits et services contrevenant aux législations locales.
Injuste rejet du porc à la ractopamine
Mais au lieu de prôner un simple assouplissement des lois existantes, les activistes du marché transatlantique se proposent carrément de les réécrire euxmêmes. La Chambre américaine de commerce et BusinessEurope, deux des plus grosses organisations patronales de la planète, ont ainsi appelé les négociateurs de l’APT à réunir autour d’une table de travail un échantillon de gros actionnaires et de responsables politiques afin qu’ils « rédigent ensemble les textes de régulation » qui auront ensuite force de loi aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. C’est à se demander, d’ailleurs, si la présence des politiques à l’atelier d’écriture commercial est vraiment indispensable…
De fait, les multinationales se montrent d’une remarquable franchise dans l’exposé de leurs intentions. Par exemple sur la question des OGM. Alors qu’aux Etats-Unis un Etat sur deux envisage de rendre obligatoire un label indiquant la présence d‘organismes génétiquement modifiés dans un aliment – une mesure souhaitée
par 80 % des consommateurs du pays –, les industriels de l’agroalimentaire, là comme en Europe, poussent à l’interdiction de ce type d’étiquetage. L’Association nationale des confiseurs n’y est pas allée par quatre chemins : « L’industrie américaine voudrait que l’APT avance sur cette question en supprimant la labellisation
OGM et les normes de traçabilité. » La très influente Association de l’industrie biotechnologique (Biotechnology Industry Organization, BIO), dont fait partie le géant Monsanto, s’indigne pour sa part que des produits contenant des OGM et vendus aux Etats-Unis puissent essuyer un refus sur le marché européen. Elle souhaite par conséquent que le « gouffre qui se creuse entre la dérégulation des nouveaux produits biotechnologiques aux Etats-Unis et leur accueil en Europe » soit prestement comblé (8). Monsanto et ses amis ne cachent pas leur espoir que la zone de libre-échange transatlantique permette d’imposer enf in aux Européens leur « catalogue foisonnant de produits OGM en attente d’approbation et d’utilisation (9) ».
L’offensive n’est pas moins vigoureuse sur le front de la vie privée. La Coalition du commerce numérique (Digital Trade Coalition, DTC), qui regroupe des industriels du Net et des hautes technologies, presse les négociateurs de l’APT de lever les barrières empêchant les flux de données personnelles de s’épancher librement de l’Europe vers les Etats-Unis (lire l’article page 22). « Le point de vue actuel de l’Union selon lequel les Etats-Unis ne fournissent pas une protection de la vie privée “adéquate”n’est pas raisonnable »,
s’impatientent les lobbyistes. A la lumière des révélations de M. Edward Snowden sur le système d’espionnage de l’Agence nationale de sécurité (National Security Agency, NSA), cet avis tranché ne manque pas de sel. Toutefois, il n’égale pas la déclaration de l’US Council for International Business (USCIB), un groupement de sociétés qui, à l’instar de Verizon, ont massivement approvisionné la NSA en
données personnelles : « L’accord devrait chercher à circonscrire les exceptions, comme la sécurité et la vie privée, afin de s’assurer qu’elles ne servent pas d’entraves au commerce déguisées. »
Les normes de qualité dans l’alimentation sont elles aussi prises pour cible. L’industrie américaine de la viande entend obtenir la suppression de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés
au chlore. A l’avant-garde de ce combat, le groupe Yum!, propriétaire de la chaîne de restauration rapide Kentucky Fried Chicken (KFC), peut compter sur la force de frappe des organisations patronales. « L’Union autorise seulement l’usage de l’eau et de la vapeur sur les carcasses », proteste l’Association nord-américaine de la viande, tandis qu’un autre groupe de pression, l’Institut américain de la viande, déplore le « rejet injustifié [par Bruxelles] des viandes additionnées de bêta-agonistes, comme le chlorhydrate de ractopamine ».
La ractopamine est un médicament utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre chez les porcs et les bovins. Du fait de ses risques pour la santé des bêtes et des consommateurs, elle est bannie dans cent soixante pays, parmi lesquels les Etats membres de l’Union, la Russie et la Chine. Pour la filière porcine américaine, cette mesure de protection constitue une distorsion de la libre concurrence à laquelle l’APT doit mettre fin d’urgence.
« Les producteurs de porc américains n’accepteront pas d’autre résultat que la levée de l’interdiction européenne de la ractopamine », menace le Conseil national des producteurs de porc (National Pork Producers Council, NPPC). Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, les industriels regroupés au sein de BusinessEurope dénoncent les « barrières qui affectent les exportations européennes vers les Etats-Unis, comme la loi américaine sur la sécurité alimentaire ». Depuis 2011, celle-ci autorise en effet les services de contrôle à retirer du marché les produits d’importation contaminés. Là encore, les négociateurs de l’APT sont priés de faire table rase.
Il en va de même avec les gaz à effet de serre. L’organisation Airlines for America (A4A), bras armé des transporteurs aériens américains, a établi une liste des « règlements inutiles qui portent un préjudice considérable à [leur] industrie » et que l’APT, bien sûr, a vocation à rayer de la carte. Au premier rang de cette liste figure le système européen d’échange de quotas d’émissions, qui oblige les compagnies aériennes à payer pour leur pollution au carbone. Bruxelles a provisoirement suspendu ce programme ; A4A exige sa
suppression déf initive au nom du « progrès ».
Mais c’est dans le secteur de la finance que la croisade des marchés est la plus virulente. Cinq ans après l’irruption de la crise des subprime, les négociateurs américains et européens sont convenus que les velléités de régulation de l’industrie financière avaient fait leur temps. Le cadre qu’ils veulent mettre en place prévoit de lever tous les garde-fous en matière de placements à risques et d’empêcher les gouvernements de contrôler le volume, la nature ou l’origine des produits financiers mis sur le marché. En somme, il s’agit purement et simplement de rayer le mot « régulation » de la carte.
D’où vient cet extravagant retour aux vieilles lunes thatchériennes ? Il répond notamment aux voeux de l’Association des banques allemandes, qui ne manque pas d’exprimer ses « inquiétudes » à propos de la pourtant timide réforme de Wall Street adoptée au lendemain de la crise de 2008. L’un de ses membres les plus entreprenants sur ce dossier est la Deutsche Bank, qui a pourtant reçu en 2009 des centaines de milliards de dollars de la Réserve fédérale américaine en échange de titres adossés à des créances hypothécaires (10). Le mastodonte allemand veut en finir avec la réglementation Volcker, clé de voûte de la réforme de Wall Street, qui pèse selon lui d’un « poids trop lourd sur les banques non américaines ». Insurance Europe, le fer de lance des sociétés d’assurances européennes, souhaite pour sa part que l’APT « supprime » les garanties collatérales qui dissuadent le secteur de s’aventurer dans des placements à hauts risques.
Quant au Forum des services européens, organisation patronale dont fait partie la Deutsche Bank, il s’agite dans les coulisses des pourparlers transatlantiques pour que les autorités de contrôle américaines cessent de mettre leur nez dans les affaires des grandes banques étrangères opérant sur leur territoire. Côté américain, on espère surtout que l’APT enterrera pour de bon le projet européen de taxe sur les transactions financières. L’affaire paraît d’ores et déjà entendue, la Commission européenne ayant elle-même jugé cette
taxe non conforme aux règles del’OMC (11). Dans la mesure où la zone de libre-échange transatlantique promet un libéralisme plus débridé encore que celui de l’OMC, et alors que le Fonds monétaire international (FMI) s’oppose systématiquement à toute forme de contrôle sur les mouvements de capitaux, la chétive « taxe Tobin » n’inquiète plus grand monde aux Etats-Unis.
Mais les sirènes de la dérégulation ne se font pas entendre dans la seule industrie financière. L’APT entend ouvrir à la concurrence tous les secteurs « invisibles » ou d’intérêt général. Les Etats signataires se verraient contraints non seulement de soumettre leurs services publics à la logique marchande, mais aussi de renoncer
à toute intervention sur les fournisseurs de services étrangers qui convoitent leurs marchés. Les marges de manoeuvre politiques en matière de santé, d’énergie, d’éducation, d’eau ou de transport se réduiraient comme peau de chagrin. La fièvre commerciale n’épargne pas non plus l’immigration, puisque les instigateurs de l’APT s’arrogent la compétence d’établir une politique commune aux frontières – sans doute pour faciliter l’entrée de ceux qui ont un bien ou un service à vendre au détriment des autres.
Depuis quelques mois, le rythme des négociations s’intensifie. A Washington, on a de bonnes raisons de croire que les dirigeants européens sont prêts à n’importe quoi pour raviver une croissance économique moribonde, fût-ce au prix d’un reniement de leur pacte social. L’argument des promoteurs de l’APT, selon lequel le libre-échange dérégulé faciliterait les échanges commerciaux et serait donc créateur d’emplois, pèse apparemment plus lourd que la crainte d’un séisme social. Les barrières douanières qui subsistent encore entre l’Europe et les Etats-Unis sont pourtant « déjà assez basses », comme le reconnaît le représentant américain au commerce (12). Les artisans de l’APT admettent eux-mêmes que leur objectif premier n’est pas d’alléger les contraintes douanières, de toute façon insignifiantes, mais d’imposer «l’élimination, la réduction ou la prévention de politiques nationales superflues (13) », étant considéré comme « superflu » tout ce qui ralentit l’écoulement des marchandises, comme la régulation de la finance, la lutte contre le réchauffement climatique ou l’exercice de la démocratie.
Il est vrai que les rares études consacrées aux conséquences de l’APT ne s’attardent guère sur ses retombées sociales et économiques. Un rapport fréquemment cité, issu du Centre européen d’économie politique internationale (European Centre for International Political Economy, Ecipe), affirme avec l’autorité d’un Nostradamus d’école de commerce que l’APT délivrera à la population du marché transatlantique un surcroît de richesse de 3 centimes par tête et par jour… à partir de 2029 (14).
En dépit de son optimisme, la même étude évalue à 0,06 % seulement la hausse du produit intérieur but (PIB) en Europe et aux Etats-Unis à la suite de l’entrée en vigueur de l’APT. Encore un tel « impact » est-il largement irréaliste, dans la mesure où ses auteurs postulent que le libreéchange « dynamise » la croissance économique ; une théorie régulièrement réfutée par les faits. Une élévation aussi infinitésimale Par comparaison, la cinquième version de l’iPhone d’Apple a entraîné aux Etats-Unis une hausse du PIB huit fois plus importante.
Presque toutes les études sur l’APT ont été financées par des institutions favorables au libre-échange ou par des organisations patronales, raison pour laquelle les coûts sociaux du traité n’y apparaissent pas, pas plus que ses victimes directes, qui pourraient pourtant se compter en centaines de millions. Mais les jeux ne sont pas encore faits. Comme l’ont montré les mésaventures de l’AMI, de la ZLEA et certains cycles de négociations à l’OMC, l’utilisation du « commerce » comme cheval de Troie pour démanteler les protections
sociales et instaurer la junte des chargés d’affaires a échoué à plusieurs reprises par le passé. Rien ne dit qu’il n’en sera pas de même cette fois encore.
LORI WALLACH.
(1) Lire « Le nouveau manifeste du capitalisme mondial », Le Monde diplomatique, février 1998.
(2) « Some secrecy needed in trade talks : Ron Kirk », Reuters, 13 mai 2012.
(3) Zach Carter, « Elizabeth Warren opposing Obama trade nominee Michael Froman », 19 juin 2013,
Huffingtonpost.com
(4) « Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other US “trade” deals », Public
Citizen, août 2013, www.citizen.org
(5) Andrew Martin, « Treaty disputes roiled by bias charges », 10 juillet 2013, Bloomberg.com
(6) « Renco uses US-Peru FTA to evade justice for La Oroya pollution», Public Citizen, 28 novembre 2012.
(7) « Ecuador to fight oil dispute fine », Agence France-Presse, 13 octobre 2012.
(8) Commentaires sur l’accord de partenariat transatlantique, document du BIO, Washington, DC,
mai 2013.
(9) « EU-US high level working group on jobs and growth. Response to consultation by EuropaBio and
BIO », http://ec.europa.eu
(10) Shahien Nasiripour, « Fed opens books, revealing European megabanks were biggest beneficiaries »,
10 janvier 2012, Huffingtonpost.com
(11) « Europe admits speculation taxes a WTO problem », Public Citizen, 30 avril 2010.
(12) Courrier de M. Demetrios Marantis, représentant américain au commerce, à M. John Boehner,
porte-parole républicain à la Chambre des représentants, Washington, DC, 20 mars 2013, http://ec.europa.eu
(13) « Final report. High level working group on jobs and growth », 11 février 2013, http://ec.europa.eu
(14) «TAFTA’s trade benefit : A candy bar », Public Citizen, 11 juillet 2013.
* Directrice de Public Citizen’s Global Trade Watch, Washington, DC, www.citizen.org
11/2013
Source : http://www.monde-diplomatique.fr
English : The transatlantic treaty, a typhoon that threatens Europeans
Engagées en 2008, les discussions sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne ont abouti le 18 octobre. Un bon présage pour le gouvernement américain, qui espère conclure un partenariat de ce type avec le Vieux Continent. Négocié en secret, ce projet ardemment soutenu par les multinationales leur permettrait d’attaquer en justice tout Etat qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme.
Imagine-t-on des multinationales traîner en justice les gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits ? Se conçoit-il qu’elles puissent réclamer — et obtenir ! — une généreuse compensation pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par une législation environnementale trop spoliatrice ? Si invraisemblable qu’il paraisse, ce scénario ne date pas d’hier. Il figurait déjà en toutes lettres dans le projet d’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Divulguée in extremis, notamment par Le Monde diplomatique, la copie souleva une vague de protestations sans précédent, contraignant ses promoteurs à la remiser. Quinze ans plus tard, la voilà qui fait son grand retour sous un nouvel habillage.
L’accord de partenariat transatlantique (APT) négocié depuis juillet 2013 par les Etats-Unis et l’Union européenne est une version modifiée de l’AMI. Il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant, ou d’une réparation de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.
D’après le calendrier officiel, les négociations ne devraient aboutir que dans un délai de deux ans. L’APT combine en les aggravant les éléments les plus néfastes des accords conclus par le passé. S’il devait entrer en vigueur, les privilèges des multinationales prendraient force de loi et lieraient pour de bon les mains des gouvernants. Imperméable aux alternances politiques et aux mobilisations populaires, il s’appliquerait de gré ou de force, puisque ses dispositions ne pourraient être amendées qu’avec le consentement unanime des pays signataires. Il dupliquerait en Europe l’esprit et les modalités de son modèle asiatique, l’accord de partenariat transpacif ique (Trans-Pacific Partnership, TPP), actuellement en cours d’adoption dans douze pays après avoir été ardemment promu par les milieux d’affaires américains. A eux deux, l’APT et le TPP formeraient un empire économique capable de dicter ses conditions hors de ses frontières : tout pays qui
chercherait à nouer des relations commerciales avec les Etats-Unis ou l’Union européenne se verrait contraint d’adopter telles quelles les règles qui prévalent au sein de leur marché commun.
Tribunaux spécialement créés
Parce qu’elles visent à brader des pans entiers du secteur non marchand, les négociations autour de l’APT et du TPP se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité aux documents préparatoires et
aux représentants de l’administration. Rien ne doit filtrer. Instruction a été donnée de laisser journalistes et citoyens à l’écart des discussions : ils seront informés en temps utile, à la signature du traité, lorsqu’il sera
trop tard pour réagir.
Dans un élan de candeur, l’ancien ministre du commerce américain Ronald (« Ron ») Kirk a fait valoir l’intérêt « pratique » de « préserver un certain degré de discrétion et de confidentialité (2) ». La dernière fois qu’une version de travail d’un accord en cours de formalisation a été mise sur la place publique, a-t-il souligné, les négociations ont échoué – une allusion à la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), une version élargie de l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) ; le projet, âprement défendu par M. George W. Bush, fut dévoilé sur le site Internet de l’administration en 2001. A quoi la sénatrice Elizabeth Warren rétorque qu’un accord négocié sans aucun examen démocratique ne devrait jamais être signé (3).
L’impérieuse volonté de soustraire le chantier du traité américano-européen à l’attention du public se conçoit aisément. Mieux vaut prendre son temps pour annoncer au pays les effets qu’il produira à tous les échelons : du sommet de l’Etat fédéral jusqu’aux conseils municipaux en passant par les gouvernorats et les assemblées
locales, les élus devront redéfinir de fond en comble leurs politiques publiques de manière à satisfaire les appétits du privé dans les secteurs qui lui échappaient encore en partie. Sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration : pas un domaine d’intérêt général qui ne passe sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.
L’action politique des élus se limitera à négocier auprès des entreprises ou de leurs mandataires locaux les miettes de souveraineté qu’ils voudront bien leur consentir.
Il est d’ores et déjà stipulé que les pays signataires assureront la « mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures » avec les dispositions du traité. Nul doute qu’ils veilleront scrupuleusement à honorer cet engagement. Dans le cas contraire, ils pourraient faire l’objet de poursuites devant l’un des tribunaux spécialement créés pour arbitrer les litiges entre les investisseurs et les Etats, et dotés du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers.
L’idée peut paraître invraisemblable ; elle s’inscrit pourtant dans la philosophie des traités commerciaux déjà en vigueur. L’année dernière, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ainsi condamné les Etats-Unis pour leurs boîtes de thon labellisées « sans danger pour les dauphins », pour l’indication du pays d’origine sur les viandes importées, ou encore pour l’interdiction du tabac parfumé au bonbon, ces mesures protectrices étant considérées comme des entraves au libre échange. Elle a aussi infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM). La nouveauté introduite par l’APT et le TTP, c’est qu’ils permettraient aux multinationales de poursuivre en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial.
Sous un tel régime, les entreprises seraient en mesure de contrecarrer les politiques de santé, de protection de l’environnement ou de régulation de la finance mises en place dans tel ou tel pays en lui réclamant des dommages et intérêts devant des tribunaux extrajudiciaires. Composées de trois avocats d’affaires, ces cours
spéciales répondant aux lois de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations unies (ONU) seraient habilitées à condamner le contribuable à de lourdes réparations dès lors que sa législation rognerait sur les « futurs profits espérés » d’une société.
Ce système « investisseur contre Etat », qui semblait rayé de la carte après l’abandon de l’AMI en 1998, a été restauré en catimini au fil des années. En vertu de plusieurs accords commerciaux signés par Washington, 400 millions de dollars sont passés de la poche du contribuable à celle des multinationales pour cause d’interdiction de produits toxiques, d’encadrement de l’exploitation de l’eau, du sol ou du bois, etc. (4). Sous l’égide de ces mêmes traités, les procédures actuellement en cours – dans des affaires d’intérêt général
comme les brevets médicaux, la lutte antipollution ou les lois sur le climat et les énergies fossiles – font grimper les demandes de dommages et intérêts à 14 milliards de dollars.
L’APT alourdirait encore la facture de cette extorsion légalisée, compte tenu de l’importance des intérêts en jeu dans le commerce transatlantique. Trois mille trois cents entreprises européennes sont présentes sur le sol américain par le biais de vingt-quatre mille filiales, dont chacune peut s’estimer fondée un jour ou l’autre à
demander réparation pour un préjudice commercial. Un tel effet d’aubaine dépasserait de très loin les coûts occasionnés par les traités précédents. De leur côté, les pays membres de l’Union européenne se verraient exposés à un risque financier plus grand encore, sachant que quatorze mille quatre cents compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cents filiales. Au total, ce sont soixante-quinze mille sociétés qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics.
Officiellement, ce régime devait servir au départ à consolider la position des investisseurs dans les pays en développement dépourvus de système juridique fiable ; il leur permettait de faire valoir leurs droits en cas d’expropriation. Mais l’Union européenne et les Etats-Unis ne passent pas précisément pour des zones de nondroit ; ils disposent au contraire d’une justice fonctionnelle et pleinement respectueuse du droit à la propriété. En les plaçant malgré tout sous la tutelle de tribunaux spéciaux, l’APT démontre que son objectif n’est pas de protéger les investisseurs, mais bien d’accroître le pouvoir des multinationales.
Procès pour hausse du salaire minimum
Il va sans dire que les avocats qui composent ces tribunaux n’ont de comptes à rendre à aucun électorat. Inversant allègrement les rôles, ils peuvent aussi bien servir de juges que plaider la cause de leurs puissants clients (5). C’est un tout petit monde que celui des juristes de l’investissement international : ils ne sont que quinze à se partager 55 % des affaires traitées à ce jour. Evidemment, leurs décisions sont sans appel.
Les « droits » qu’ils ont pour mission de protéger sont formulés de manière délibérément approximative, et leur interprétation sert rarement les intérêts du plus grand nombre. Ainsi de celui accordé à l’investisseur
de bénéficier d’un cadre réglementaire conforme à ses « prévisions » – par quoi il convient d’entendre que le gouvernement s’interdira de modifier sa politique une fois que l’investissement a eu lieu. Quant au droit d’obtenir une compensation en cas d’« expropriation indirecte », il signifie que les pouvoirs publics devront
mettre la main à la poche si leur législation a pour effet de diminuer la valeur d’un investissement, y compris lorsque cette même législation s’applique aussi aux entreprises locales. Les tribunaux reconnaissent également le droit du capital à acquérir toujours plus de terres, de ressources naturelles, d’équipements, d’usines, etc. Nulle contrepartie de la part des multinationales : elles n’ont aucune obligation à l’égard des Etats et peuvent engager des poursuites où et quand cela leur chante.
Certains investisseurs ont une conception très extensive de leurs droits inaliénables. On a pu voir récemment
des sociétés européennes engager des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou, l’Alena servant dans ce dernier cas à protéger le droit de polluer du groupe américain Renco (6). Autre exemple : le géant de la cigarette Philip Morris, incommodé par les législations antitabac de l’Uruguay et de l’Australie, a assigné ces deux pays devant un tribunal spécial. Le groupe pharmaceutique américain Eli Lilly entend se faire justice face au Canada, coupable d’avoir mis en place un système de brevets qui rend certains médicaments plus abordables. Le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique », qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire.
Il n’y a pas de limite aux pénalités qu’un tribunal peut infliger à un Etat au bénéfice d’une multinationale. Il y a un an, l’Equateur s’est vu condamné à verser la somme record de 2 milliards d’euros à une compagnie pétrolière (7). Même lorsque les gouvernements gagnent leur procès, ils doivent s’acquitter de frais de justice et de commissions diverses qui atteignent en moyenne 8 millions de dollars par dossier, gaspillés au détriment du citoyen. Moyennant quoi les pouvoirs publics préfèrent souvent négocier avec le plaignant que plaider leur cause au tribunal. L’Etat canadien s’est ainsi épargné une convocation à la barre en abrogeant hâtivement l’interdiction d’un additif toxique utilisé par l’industrie pétrolière.
Pour autant, les réclamations n’en finissent pas de croître. D’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par dix depuis 2000. Alors que le système d’arbitrage commercial a été conçu dès les années 1950, il n’a jamais autant rendu service aux intérêts privés qu’en 2012, année exceptionnelle en termes de dépôts de dossiers. Ce boom a créé une florissante pépinière de consultants financiers et d’avocats d’affaires.
Le projet de grand marché américanoeuropéen est porté depuis de longues années par le Dialogue économique transatlantique (Trans-Atlantic Business Dialogue, TABD), un lobby mieux connu aujourd’hui sous l’appellation de Trans-Atlantic Business Council (TABC). Créé en 1995 sous le patronage de la Commission européenne et du ministère du commerce américain, ce rassemblement de riches entrepreneurs milite pour un « dialogue » hautement constructif entre les élites économiques des deux continents, l’administration de Washington et les commissaires de Bruxelles. Le TABC est un forum permanent qui permet aux multinationales de coordonner leurs attaques contre les politiques d’intérêt général qui tiennent encore debout des deux côtés de l’Atlantique.
Son objectif, publiquement affiché, est d’éliminer ce qu’il appelle les « discordes commerciales » (trade irritants), c’est-àdire d’opérer sur les deux continents selon les mêmes règles et sans interférence avec les pouvoirs publics. « Convergence régulatoire » et « reconnaissance mutuelle » font partie des panneaux sémantiques qu’il brandit pour inciter les gouvernements à autoriser les produits et services contrevenant aux législations locales.
Injuste rejet du porc à la ractopamine
Mais au lieu de prôner un simple assouplissement des lois existantes, les activistes du marché transatlantique se proposent carrément de les réécrire euxmêmes. La Chambre américaine de commerce et BusinessEurope, deux des plus grosses organisations patronales de la planète, ont ainsi appelé les négociateurs de l’APT à réunir autour d’une table de travail un échantillon de gros actionnaires et de responsables politiques afin qu’ils « rédigent ensemble les textes de régulation » qui auront ensuite force de loi aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. C’est à se demander, d’ailleurs, si la présence des politiques à l’atelier d’écriture commercial est vraiment indispensable…
De fait, les multinationales se montrent d’une remarquable franchise dans l’exposé de leurs intentions. Par exemple sur la question des OGM. Alors qu’aux Etats-Unis un Etat sur deux envisage de rendre obligatoire un label indiquant la présence d‘organismes génétiquement modifiés dans un aliment – une mesure souhaitée
par 80 % des consommateurs du pays –, les industriels de l’agroalimentaire, là comme en Europe, poussent à l’interdiction de ce type d’étiquetage. L’Association nationale des confiseurs n’y est pas allée par quatre chemins : « L’industrie américaine voudrait que l’APT avance sur cette question en supprimant la labellisation
OGM et les normes de traçabilité. » La très influente Association de l’industrie biotechnologique (Biotechnology Industry Organization, BIO), dont fait partie le géant Monsanto, s’indigne pour sa part que des produits contenant des OGM et vendus aux Etats-Unis puissent essuyer un refus sur le marché européen. Elle souhaite par conséquent que le « gouffre qui se creuse entre la dérégulation des nouveaux produits biotechnologiques aux Etats-Unis et leur accueil en Europe » soit prestement comblé (8). Monsanto et ses amis ne cachent pas leur espoir que la zone de libre-échange transatlantique permette d’imposer enf in aux Européens leur « catalogue foisonnant de produits OGM en attente d’approbation et d’utilisation (9) ».
L’offensive n’est pas moins vigoureuse sur le front de la vie privée. La Coalition du commerce numérique (Digital Trade Coalition, DTC), qui regroupe des industriels du Net et des hautes technologies, presse les négociateurs de l’APT de lever les barrières empêchant les flux de données personnelles de s’épancher librement de l’Europe vers les Etats-Unis (lire l’article page 22). « Le point de vue actuel de l’Union selon lequel les Etats-Unis ne fournissent pas une protection de la vie privée “adéquate”n’est pas raisonnable »,
s’impatientent les lobbyistes. A la lumière des révélations de M. Edward Snowden sur le système d’espionnage de l’Agence nationale de sécurité (National Security Agency, NSA), cet avis tranché ne manque pas de sel. Toutefois, il n’égale pas la déclaration de l’US Council for International Business (USCIB), un groupement de sociétés qui, à l’instar de Verizon, ont massivement approvisionné la NSA en
données personnelles : « L’accord devrait chercher à circonscrire les exceptions, comme la sécurité et la vie privée, afin de s’assurer qu’elles ne servent pas d’entraves au commerce déguisées. »
Les normes de qualité dans l’alimentation sont elles aussi prises pour cible. L’industrie américaine de la viande entend obtenir la suppression de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés
au chlore. A l’avant-garde de ce combat, le groupe Yum!, propriétaire de la chaîne de restauration rapide Kentucky Fried Chicken (KFC), peut compter sur la force de frappe des organisations patronales. « L’Union autorise seulement l’usage de l’eau et de la vapeur sur les carcasses », proteste l’Association nord-américaine de la viande, tandis qu’un autre groupe de pression, l’Institut américain de la viande, déplore le « rejet injustifié [par Bruxelles] des viandes additionnées de bêta-agonistes, comme le chlorhydrate de ractopamine ».
La ractopamine est un médicament utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre chez les porcs et les bovins. Du fait de ses risques pour la santé des bêtes et des consommateurs, elle est bannie dans cent soixante pays, parmi lesquels les Etats membres de l’Union, la Russie et la Chine. Pour la filière porcine américaine, cette mesure de protection constitue une distorsion de la libre concurrence à laquelle l’APT doit mettre fin d’urgence.
« Les producteurs de porc américains n’accepteront pas d’autre résultat que la levée de l’interdiction européenne de la ractopamine », menace le Conseil national des producteurs de porc (National Pork Producers Council, NPPC). Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, les industriels regroupés au sein de BusinessEurope dénoncent les « barrières qui affectent les exportations européennes vers les Etats-Unis, comme la loi américaine sur la sécurité alimentaire ». Depuis 2011, celle-ci autorise en effet les services de contrôle à retirer du marché les produits d’importation contaminés. Là encore, les négociateurs de l’APT sont priés de faire table rase.
Il en va de même avec les gaz à effet de serre. L’organisation Airlines for America (A4A), bras armé des transporteurs aériens américains, a établi une liste des « règlements inutiles qui portent un préjudice considérable à [leur] industrie » et que l’APT, bien sûr, a vocation à rayer de la carte. Au premier rang de cette liste figure le système européen d’échange de quotas d’émissions, qui oblige les compagnies aériennes à payer pour leur pollution au carbone. Bruxelles a provisoirement suspendu ce programme ; A4A exige sa
suppression déf initive au nom du « progrès ».
Mais c’est dans le secteur de la finance que la croisade des marchés est la plus virulente. Cinq ans après l’irruption de la crise des subprime, les négociateurs américains et européens sont convenus que les velléités de régulation de l’industrie financière avaient fait leur temps. Le cadre qu’ils veulent mettre en place prévoit de lever tous les garde-fous en matière de placements à risques et d’empêcher les gouvernements de contrôler le volume, la nature ou l’origine des produits financiers mis sur le marché. En somme, il s’agit purement et simplement de rayer le mot « régulation » de la carte.
D’où vient cet extravagant retour aux vieilles lunes thatchériennes ? Il répond notamment aux voeux de l’Association des banques allemandes, qui ne manque pas d’exprimer ses « inquiétudes » à propos de la pourtant timide réforme de Wall Street adoptée au lendemain de la crise de 2008. L’un de ses membres les plus entreprenants sur ce dossier est la Deutsche Bank, qui a pourtant reçu en 2009 des centaines de milliards de dollars de la Réserve fédérale américaine en échange de titres adossés à des créances hypothécaires (10). Le mastodonte allemand veut en finir avec la réglementation Volcker, clé de voûte de la réforme de Wall Street, qui pèse selon lui d’un « poids trop lourd sur les banques non américaines ». Insurance Europe, le fer de lance des sociétés d’assurances européennes, souhaite pour sa part que l’APT « supprime » les garanties collatérales qui dissuadent le secteur de s’aventurer dans des placements à hauts risques.
Quant au Forum des services européens, organisation patronale dont fait partie la Deutsche Bank, il s’agite dans les coulisses des pourparlers transatlantiques pour que les autorités de contrôle américaines cessent de mettre leur nez dans les affaires des grandes banques étrangères opérant sur leur territoire. Côté américain, on espère surtout que l’APT enterrera pour de bon le projet européen de taxe sur les transactions financières. L’affaire paraît d’ores et déjà entendue, la Commission européenne ayant elle-même jugé cette
taxe non conforme aux règles del’OMC (11). Dans la mesure où la zone de libre-échange transatlantique promet un libéralisme plus débridé encore que celui de l’OMC, et alors que le Fonds monétaire international (FMI) s’oppose systématiquement à toute forme de contrôle sur les mouvements de capitaux, la chétive « taxe Tobin » n’inquiète plus grand monde aux Etats-Unis.
Mais les sirènes de la dérégulation ne se font pas entendre dans la seule industrie financière. L’APT entend ouvrir à la concurrence tous les secteurs « invisibles » ou d’intérêt général. Les Etats signataires se verraient contraints non seulement de soumettre leurs services publics à la logique marchande, mais aussi de renoncer
à toute intervention sur les fournisseurs de services étrangers qui convoitent leurs marchés. Les marges de manoeuvre politiques en matière de santé, d’énergie, d’éducation, d’eau ou de transport se réduiraient comme peau de chagrin. La fièvre commerciale n’épargne pas non plus l’immigration, puisque les instigateurs de l’APT s’arrogent la compétence d’établir une politique commune aux frontières – sans doute pour faciliter l’entrée de ceux qui ont un bien ou un service à vendre au détriment des autres.
Depuis quelques mois, le rythme des négociations s’intensifie. A Washington, on a de bonnes raisons de croire que les dirigeants européens sont prêts à n’importe quoi pour raviver une croissance économique moribonde, fût-ce au prix d’un reniement de leur pacte social. L’argument des promoteurs de l’APT, selon lequel le libre-échange dérégulé faciliterait les échanges commerciaux et serait donc créateur d’emplois, pèse apparemment plus lourd que la crainte d’un séisme social. Les barrières douanières qui subsistent encore entre l’Europe et les Etats-Unis sont pourtant « déjà assez basses », comme le reconnaît le représentant américain au commerce (12). Les artisans de l’APT admettent eux-mêmes que leur objectif premier n’est pas d’alléger les contraintes douanières, de toute façon insignifiantes, mais d’imposer «l’élimination, la réduction ou la prévention de politiques nationales superflues (13) », étant considéré comme « superflu » tout ce qui ralentit l’écoulement des marchandises, comme la régulation de la finance, la lutte contre le réchauffement climatique ou l’exercice de la démocratie.
Il est vrai que les rares études consacrées aux conséquences de l’APT ne s’attardent guère sur ses retombées sociales et économiques. Un rapport fréquemment cité, issu du Centre européen d’économie politique internationale (European Centre for International Political Economy, Ecipe), affirme avec l’autorité d’un Nostradamus d’école de commerce que l’APT délivrera à la population du marché transatlantique un surcroît de richesse de 3 centimes par tête et par jour… à partir de 2029 (14).
En dépit de son optimisme, la même étude évalue à 0,06 % seulement la hausse du produit intérieur but (PIB) en Europe et aux Etats-Unis à la suite de l’entrée en vigueur de l’APT. Encore un tel « impact » est-il largement irréaliste, dans la mesure où ses auteurs postulent que le libreéchange « dynamise » la croissance économique ; une théorie régulièrement réfutée par les faits. Une élévation aussi infinitésimale Par comparaison, la cinquième version de l’iPhone d’Apple a entraîné aux Etats-Unis une hausse du PIB huit fois plus importante.
Presque toutes les études sur l’APT ont été financées par des institutions favorables au libre-échange ou par des organisations patronales, raison pour laquelle les coûts sociaux du traité n’y apparaissent pas, pas plus que ses victimes directes, qui pourraient pourtant se compter en centaines de millions. Mais les jeux ne sont pas encore faits. Comme l’ont montré les mésaventures de l’AMI, de la ZLEA et certains cycles de négociations à l’OMC, l’utilisation du « commerce » comme cheval de Troie pour démanteler les protections
sociales et instaurer la junte des chargés d’affaires a échoué à plusieurs reprises par le passé. Rien ne dit qu’il n’en sera pas de même cette fois encore.
LORI WALLACH.
(1) Lire « Le nouveau manifeste du capitalisme mondial », Le Monde diplomatique, février 1998.
(2) « Some secrecy needed in trade talks : Ron Kirk », Reuters, 13 mai 2012.
(3) Zach Carter, « Elizabeth Warren opposing Obama trade nominee Michael Froman », 19 juin 2013,
Huffingtonpost.com
(4) « Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other US “trade” deals », Public
Citizen, août 2013, www.citizen.org
(5) Andrew Martin, « Treaty disputes roiled by bias charges », 10 juillet 2013, Bloomberg.com
(6) « Renco uses US-Peru FTA to evade justice for La Oroya pollution», Public Citizen, 28 novembre 2012.
(7) « Ecuador to fight oil dispute fine », Agence France-Presse, 13 octobre 2012.
(8) Commentaires sur l’accord de partenariat transatlantique, document du BIO, Washington, DC,
mai 2013.
(9) « EU-US high level working group on jobs and growth. Response to consultation by EuropaBio and
BIO », http://ec.europa.eu
(10) Shahien Nasiripour, « Fed opens books, revealing European megabanks were biggest beneficiaries »,
10 janvier 2012, Huffingtonpost.com
(11) « Europe admits speculation taxes a WTO problem », Public Citizen, 30 avril 2010.
(12) Courrier de M. Demetrios Marantis, représentant américain au commerce, à M. John Boehner,
porte-parole républicain à la Chambre des représentants, Washington, DC, 20 mars 2013, http://ec.europa.eu
(13) « Final report. High level working group on jobs and growth », 11 février 2013, http://ec.europa.eu
(14) «TAFTA’s trade benefit : A candy bar », Public Citizen, 11 juillet 2013.
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7 avril 2013
Les limites d’un traité sur les armes
Par Philippe Leymarie
05/04/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English The treaty limits on weapons
[2] « L’ONU adopte le premier traité sur le commerce des armes conventionnelles », Elisabeth Guedel, RFI, 2 avril 2013.
[3] Les transferts sous forme de dons, prêts ou aides militaires ne sont pas couverts par le traité.
05/04/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English The treaty limits on weapons
Les pays exportateurs sauvent leur peau
Certes moins romanesque que les mensonges « les yeux dans les yeux » de l’ex-ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, mais plus réjouissant : l’adoption mardi soir, par l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, d’un premier traité sur le commerce international des armes dites classiques ou conventionnelles. Aux termes de ce texte, qui était en discussion depuis sept ans, chaque pays devra désormais évaluer, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre un génocide ou des « violations graves » des droits humains, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels.
Certes moins romanesque que les mensonges « les yeux dans les yeux » de l’ex-ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, mais plus réjouissant : l’adoption mardi soir, par l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, d’un premier traité sur le commerce international des armes dites classiques ou conventionnelles. Aux termes de ce texte, qui était en discussion depuis sept ans, chaque pays devra désormais évaluer, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre un génocide ou des « violations graves » des droits humains, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels.
En dépit des cris de victoire du secrétaire général de l’ONU M. Ban Ki Moon qui évoque « un succès diplomatique historique » supposé donner « un nouvel élan bienvenu à d’autres efforts de désarmement », l’adoption du traité n’est qu’un commencement :
Le texte, adopté par cent cinquante-quatre voix pour, trois contre et vingt-trois abstentions, doit à présent être signé et ratifié par chacun des pays : il n’entrera en vigueur qu’à la cinquantième ratification, ce qui pourrait prendre encore plusieurs années.
Le consensus général des cent quatre-vingt-treize pays-membres de l’ONU n’a pu être obtenu en raison de l’opposition résolue de trois Etats, à savoir la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran. C’est pourquoi il a été décidé d’en passer par un vote à l’Assemblée, où il suffisait de réunir les deux tiers des voix, ce qui — politiquement — est cependant moins fort qu’une adoption par consensus.
Parmi les vingt-trois pays qui se sont abstenus, il y a surtout des pays émergents, dont certains des principaux exportateurs (Russie, Chine) et acheteurs de ces armes (Egypte, Inde, Indonésie).
Explicitement, le texte ne fait pas référence aux livraisons d’armes à des « acteurs non-étatiques » (tels que les rebelles en Tchétchénie ou en Syrie), qui est la raison invoquée par Damas pour voter contre, ou encore par la Russie pour s’abstenir.
L’Inde, un des principaux acheteurs d’armes actuels, considère par ailleurs ce traité comme « déséquilibré », car privilégiant les exportateurs au détriment des importateurs, et permettant aux premiers d’annuler unilatéralement des contrats de livraison d’armes sur la base de soupçons souvent invérifiables.
Le gouvernement américain a finalement voté en faveur de la résolution ouvrant le traité à la signature. Pour autant, cela ne garantit pas que le Congrès ratifiera le texte, en dépit de la satisfaction exprimée par le secrétaire d’Etat John Kerry pour qui l’accord « n’empiète pas sur la Constitution américaine » (qui garantit à tous citoyens américains le droit de posséder une arme, y compris de guerre).
En outre, l’annonce par la France et le Royaume-Uni, à la mi-mars, de leur intention de fournir des armes aux rebelles syriens — quitte à violer l’embargo imposé par l’Union européenne — ne pouvait pas plus mal tomber, à l’heure où les délégués aux Nations-unies entamaient leur dernier round de négociations sur ce projet d’accord.
Une écrasante majorité d’Etats a voté « pour », bien au-delà des deux tiers nécessaires.
La majorité des armements, y compris « lourds », entre dans son champ d’application, qui s’étend du fusil d’assaut aux avions et navires de guerre, en passant par les missiles, les chars, etc.
Les volumes de transactions concernés sont considérables : les estimations vont de 70 à 80, voire 100 milliards de dollars chaque année, avec une augmentation globale de 17 % des transferts internationaux d’armes conventionnelles sur la dernière décennie, selon les données communiquées il y a quelques jours par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Selon Louis Belanger (Oxfam), l’un des porte-parole de la coalition Control Arms, « c’est une grande victoire face aux dictatures et aux gens qui utilisent les armes pour brimer les droits humains : cent cinquante-quatre gouvernements sont pour, on ne peut pas envoyer un message plus fort que cela… On n’a pas de traité en ce moment, ni de loi internationale qui réglemente le commerce des armes, alors que l’on a des règles sur les voitures, sur les vêtements… [2] »
Anna MacDonald, en charge de la thématique des armes à Oxfam, se réjouit que « depuis les rues d’Amérique latine jusqu’aux camps de déplacés à l’Est du Congo, en passant par les vallées d’Afghanistan, les communautés vivant dans la peur des attaques rendues possibles par un commerce des armes non régulé puissent maintenant croire en un avenir plus sûr ».
La négociation a donné lieu à des compromis dangereux, selon Nicolas Vercken, d’Oxfam France : « Au-delà de ses belles déclarations en faveur du respect des droits humains et d’une transparence accrue, la France n’a eu de cesse de poursuivre son véritable objectif : aboutir à un traité que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pourraient éventuellement signer, comme le souhaitaient les lobbies industriels. Cette posture dans les négociations a eu un prix, celui d’ambiguïtés et de compromis potentiellement dangereux, notamment sur le contrôle des munitions, la possibilité de déroger au respect des droits humains et du droit international humanitaire, ou encore la possibilité de contourner les obligations du traité dans le cadre d’accords de coopération et de défense [3]. »
« Certes, le traité, en son article 6, rappelle l’interdiction d’autoriser tout transfert qui violerait un embargo ou contreviendrait aux obligations découlant des accords internationaux dont l’Etat exportateur est signataire. Mais en demandant l’interdiction des transferts d’armes seulement “s’il existe un risque prépondérant” d’utilisation— portant atteinte à la paix et à la sécurité ou pouvant servir à commettre des violations du droit international humanitaire et des droits humains et autres infractions aux regard des conventions internationales —, le traité ouvre la porte à des interprétations sans contrôle possible. Les Etats pourront toujours se targuer du droit à la légitime défense, reconnu dans l’article 51 de la Charte des Nations unies, voire même du risque terroriste, pour justifier telle ou telle exportation de système d’armement.
De fait, les auteurs du traité restent au milieu du gué en focalisant sur les trafics illicites plutôt qu’en limitant fortement le commerce “légal”, répondant ainsi au souhait des principaux Etats exportateurs, pour qui, l’objectif prioritaire était de limiter la concurrence déloyale, en imposant une réglementation plus stricte aux concurrents du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie. Mais certainement pas de diminuer leurs flux d’armes colossaux qui contribuent à alimenter les conflits et l’instabilité croissante de nos sociétés. De même, l’absence de référence, dans les critères d’évaluation avant tout transfert, au développement des droits économiques et sociaux que cet achat d’arme viendrait contrecarrer, est une grave entorse à cette “règle d’or” exigée par la coalition “Contrôlez les armes”. Et sur plusieurs autres points — comme, par exemple, l’absence d’obligation de transparence ou l’exclusion des accords de coopération entre deux Etats du champ d’application —, le traité n’est pas à la hauteur des enjeux. »
Le texte, adopté par cent cinquante-quatre voix pour, trois contre et vingt-trois abstentions, doit à présent être signé et ratifié par chacun des pays : il n’entrera en vigueur qu’à la cinquantième ratification, ce qui pourrait prendre encore plusieurs années.
Le consensus général des cent quatre-vingt-treize pays-membres de l’ONU n’a pu être obtenu en raison de l’opposition résolue de trois Etats, à savoir la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran. C’est pourquoi il a été décidé d’en passer par un vote à l’Assemblée, où il suffisait de réunir les deux tiers des voix, ce qui — politiquement — est cependant moins fort qu’une adoption par consensus.
Parmi les vingt-trois pays qui se sont abstenus, il y a surtout des pays émergents, dont certains des principaux exportateurs (Russie, Chine) et acheteurs de ces armes (Egypte, Inde, Indonésie).
Acteurs non-étatiques
Le traité, même s’il concerne une large palette d’armements, exclut les équipements destinés aux forces de l’ordre, les transports de troupes (même blindés), les drones, une partie des munitions et pièces.
Explicitement, le texte ne fait pas référence aux livraisons d’armes à des « acteurs non-étatiques » (tels que les rebelles en Tchétchénie ou en Syrie), qui est la raison invoquée par Damas pour voter contre, ou encore par la Russie pour s’abstenir.
L’Inde, un des principaux acheteurs d’armes actuels, considère par ailleurs ce traité comme « déséquilibré », car privilégiant les exportateurs au détriment des importateurs, et permettant aux premiers d’annuler unilatéralement des contrats de livraison d’armes sur la base de soupçons souvent invérifiables.
Mauvais signal
Les Etats-Unis, traditionnellement réticents à tout ce qui peut entraver un commerce des armes dont ils restent les champions dans le monde [1], ont obtenu que les munitions (dont ils produisent la moitié des volumes vendus dans le monde) bénéficient de contrôles moins stricts.
Le gouvernement américain a finalement voté en faveur de la résolution ouvrant le traité à la signature. Pour autant, cela ne garantit pas que le Congrès ratifiera le texte, en dépit de la satisfaction exprimée par le secrétaire d’Etat John Kerry pour qui l’accord « n’empiète pas sur la Constitution américaine » (qui garantit à tous citoyens américains le droit de posséder une arme, y compris de guerre).
En outre, l’annonce par la France et le Royaume-Uni, à la mi-mars, de leur intention de fournir des armes aux rebelles syriens — quitte à violer l’embargo imposé par l’Union européenne — ne pouvait pas plus mal tomber, à l’heure où les délégués aux Nations-unies entamaient leur dernier round de négociations sur ce projet d’accord.
Volumes considérables
Les organisations non-gouvernementales (ONG), qui se sont battues depuis une quinzaine d’années pour obtenir l’examen et l’adoption de ce traité, préfèrent insister sur les progrès réalisés, même si elles relèvent des ambiguïtés :
Une écrasante majorité d’Etats a voté « pour », bien au-delà des deux tiers nécessaires.
La majorité des armements, y compris « lourds », entre dans son champ d’application, qui s’étend du fusil d’assaut aux avions et navires de guerre, en passant par les missiles, les chars, etc.
Les volumes de transactions concernés sont considérables : les estimations vont de 70 à 80, voire 100 milliards de dollars chaque année, avec une augmentation globale de 17 % des transferts internationaux d’armes conventionnelles sur la dernière décennie, selon les données communiquées il y a quelques jours par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Selon Louis Belanger (Oxfam), l’un des porte-parole de la coalition Control Arms, « c’est une grande victoire face aux dictatures et aux gens qui utilisent les armes pour brimer les droits humains : cent cinquante-quatre gouvernements sont pour, on ne peut pas envoyer un message plus fort que cela… On n’a pas de traité en ce moment, ni de loi internationale qui réglemente le commerce des armes, alors que l’on a des règles sur les voitures, sur les vêtements… [2] »
Anna MacDonald, en charge de la thématique des armes à Oxfam, se réjouit que « depuis les rues d’Amérique latine jusqu’aux camps de déplacés à l’Est du Congo, en passant par les vallées d’Afghanistan, les communautés vivant dans la peur des attaques rendues possibles par un commerce des armes non régulé puissent maintenant croire en un avenir plus sûr ».
Lobbies industriels
Cependant, des bémols conséquents sont à souligner, exprimés par les mêmes ONG :
La négociation a donné lieu à des compromis dangereux, selon Nicolas Vercken, d’Oxfam France : « Au-delà de ses belles déclarations en faveur du respect des droits humains et d’une transparence accrue, la France n’a eu de cesse de poursuivre son véritable objectif : aboutir à un traité que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pourraient éventuellement signer, comme le souhaitaient les lobbies industriels. Cette posture dans les négociations a eu un prix, celui d’ambiguïtés et de compromis potentiellement dangereux, notamment sur le contrôle des munitions, la possibilité de déroger au respect des droits humains et du droit international humanitaire, ou encore la possibilité de contourner les obligations du traité dans le cadre d’accords de coopération et de défense [3]. »
Au milieu du gué
Selon le directeur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret, également membre de la coalition « Contrôlez les armes », les ambitions contradictoires du traité en marquent les limites :
« Certes, le traité, en son article 6, rappelle l’interdiction d’autoriser tout transfert qui violerait un embargo ou contreviendrait aux obligations découlant des accords internationaux dont l’Etat exportateur est signataire. Mais en demandant l’interdiction des transferts d’armes seulement “s’il existe un risque prépondérant” d’utilisation— portant atteinte à la paix et à la sécurité ou pouvant servir à commettre des violations du droit international humanitaire et des droits humains et autres infractions aux regard des conventions internationales —, le traité ouvre la porte à des interprétations sans contrôle possible. Les Etats pourront toujours se targuer du droit à la légitime défense, reconnu dans l’article 51 de la Charte des Nations unies, voire même du risque terroriste, pour justifier telle ou telle exportation de système d’armement.
De fait, les auteurs du traité restent au milieu du gué en focalisant sur les trafics illicites plutôt qu’en limitant fortement le commerce “légal”, répondant ainsi au souhait des principaux Etats exportateurs, pour qui, l’objectif prioritaire était de limiter la concurrence déloyale, en imposant une réglementation plus stricte aux concurrents du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie. Mais certainement pas de diminuer leurs flux d’armes colossaux qui contribuent à alimenter les conflits et l’instabilité croissante de nos sociétés. De même, l’absence de référence, dans les critères d’évaluation avant tout transfert, au développement des droits économiques et sociaux que cet achat d’arme viendrait contrecarrer, est une grave entorse à cette “règle d’or” exigée par la coalition “Contrôlez les armes”. Et sur plusieurs autres points — comme, par exemple, l’absence d’obligation de transparence ou l’exclusion des accords de coopération entre deux Etats du champ d’application —, le traité n’est pas à la hauteur des enjeux. »
Notes
[1] Ils en sont les principaux exportateurs (30 %), devant la Russie (26 %), l’Allemagne (7 %), la France (6 %), et la Chine (5 %) — ce dernier pays déclassant, pour la première fois depuis 1950, le Royaume-Uni qui figurait constamment parmi les cinq premiers mondiaux.
[2] « L’ONU adopte le premier traité sur le commerce des armes conventionnelles », Elisabeth Guedel, RFI, 2 avril 2013.
[3] Les transferts sous forme de dons, prêts ou aides militaires ne sont pas couverts par le traité.
29 octobre 2012
Contre le nationalisme japonais, le romancier Oe Kenzaburo reprend la plume
Par Martine Bulard
26/10/2012
source : http://blog.mondediplo.net
english version
1. Les tensions s’avivent autour des îles Senkaku et Takeshima. C’est particulièrement triste et regrettable, car elles interviennent sous un gouvernement dirigé depuis 2009 par le Parti démocratique du Japon (PDJ), qui se fixait comme priorité de tourner le Japon vers l’Asie de l’Est et d’établir des relations d’égal à égal avec les Etats-Unis ; elles se déroulent après le mouvement de sympathie qui s’est manifesté après le tsunami du 11 mars 2011, ainsi que l’élan de solidarité des dirigeants chinois et coréens Wen Jiabao et Lee Myung-bak, qui ont alors visité les zones sinistrées. La Corée et la Chine sont deux amis importants pour le Japon, et des partenaires pour construire la paix et la prospérité dans la région. Les liens économiques entre les nations ne peuvent être rompus, et ces relations sont appelées à s’approfondir. En tant que citoyens du Japon, nous sommes profondément préoccupés par la situation actuelle, et faisons la déclaration suivante.
2. On parle de « conflit territorial ». Mais il ne faut pas oublier le contexte historique de ces problèmes — et notamment l’histoire du Japon, en tant qu’agresseur en Asie. En arrière-plan de la visite de M. Lee Myung-bak sur les îles Takeshima/Dokdo se trouve l’affaire des esclaves sexuelles des anciens militaires japonais, connues sous l’appellation de « femmes de réconfort ». Durant l’été 2011, la Cour constitutionnelle de Corée a adopté une résolution sur cette question. A la fin de la même année, lors du sommet de Kyoto, le président coréen a, de nouveau, soulevé ce sujet dont on dit qu’il est à la source des problèmes actuels. Mais le premier ministre Noda Yoshihiko a évité de répondre. Lors de son discours pour l’anniversaire de la libération de la Corée, le 15 août dernier, le président Lee a une nouvelle fois appelé le Japon à prendre « des mesures responsables » pour régler cette question des « femmes de réconfort ». Les revendications du Japon sur les Takeshima/Dokdo remontent à 1905, lors de la guerre russo-japonaise, au moment où la colonisation de la Corée était lancée et où le droit international reculait. Les Japonais doivent comprendre que, pour le peuple coréen, il ne s’agit donc pas de simples « îles », mais du point de départ symbolique de l’invasion et de la colonisation. De plus, les îles Senkaku (Diaoyu, pour la Chine continentale et Taïwan) ont été incorporées au territoire japonais en janvier 1895, pendant la guerre sino-japonaise ; trois mois plus tard, Taïwan et les îles Penghu devinrent des colonies nippones. Ces deux territoires ont été annexés à une période, où tant la Corée que la Chine étaient en état de faiblesse et dans l’incapacité de faire valoir le droit international.
3. Cette année marque le quarantième anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine, et plusieurs événements célébrant l’amitié entre les deux pays sont d’ores et déjà prévus. Cette atmosphère amicale s’est détériorée quand le gouverneur de Tokyo Ishihara Shintaro a fait savoir qu’il voulait acheter trois des îlots des Senkaku et qu’en réponse, le gouvernement a décidé de les nationaliser. Il est normal que la Chine ait interprété ce geste comme une provocation et une volonté de rompre le statu quo en vigueur jusqu’alors. Et l’on peut regretter que les propos de M. Ishihara n’aient soulevé que peu de critiques. En outre, la décision de M. Noda a été annoncée le 7 juillet — jour anniversaire de l’incident du pont « Lu Gou » (Marco Polo) de 1937 [1], qui a marqué le début de l’invasion du territoire chinois par le Japon. Ce qui est connu en Chine comme l’incident du « 7.7 » et reste ancré dans les mémoires.
4. Dans tous les pays, les disputes territoriales alimentent le nationalisme et sont utilisées par les autorités politiques comme un exutoire aux frustrations et contradictions internes. Une action d’un côté engendre une réaction de l’autre, et l’escalade continue au point de rendre la situation incontrôlable et d’en arriver à un affrontement armé. Nous nous opposons à tout usage de la violence et nous insistons sur le fait que la question doit être résolue par le dialogue pacifique. Les dirigeants politiques et les médias ont une responsabilité dans la lutte contre le nationalisme et dans la promotion du dialogue. Alors que l’on est en train de tomber dans un cercle vicieux, le rôle des médias pour stopper l’escalade nationaliste, faciliter la réflexion sur l’histoire et appeler au calme devient plus crucial que jamais.
5. Quant aux questions territoriales proprement dites, les seules options possibles sont le dialogue et les négociations. C’est pourquoi le Japon doit sortir de sa position fictive, selon laquelle il n’existerait pas de « problème de territoire » (à propos des Senkaku). Sans reconnaissance de l’existence du problème, il ne peut y avoir de consultation ni de dialogue. De plus, il faut ajouter que la notion de « territoire naturel » [employée par le gouvernement japonais] n’est acceptable pour aucune des parties.
6 . Durant la période nécessaire de consultation et de négociation, le statu quo devrait prévaloir et les actions provocatrices devraient être bannies de tous côtés. Des règles de bonne conduite devraient être adoptées. A l’image de ce qu’a proposé, le 5 août dernier, le président taïwanais Ma Ying-jeou avec son « initative de paix en mer de Chine orientale ». Il a appelé à une modération des actes de chacun afin de prévenir toute escalade, d’éviter tout affrontement, de ne pas abandonner les voies du dialogue, d’aller vers un consensus et l’établissement de normes communes pour les activités dans cette zone maritime — des recommandations extrêmement calmes et raisonnables. De telles voix devraient être partagées et renforcées.
7. La zone maritime autour des Senkaku a été un espace de pêche, d’échanges et de vie pour les habitants d’Okinawa [île japonaise] comme pour ceux de Taïwan. Aucun des pêcheurs ne souhaite voir ces îles transformées en zone de conflits. Nous devons respecter l’opinion de ceux qui y vivent et y travaillent.
8. Le plus important aujourd’hui est que le Japon exprime clairement ce qui fut son histoire — l’invasion des pays voisins — et présente ses regrets. Il devrait réaffirmer les accords internationaux : avec la Chine, le communiqué commun de 1972 et le traité de paix et d’amitié de 1978 ; avec la Corée du Sud, la déclaration de partenariat de 1998 ; avec la Corée du Nord, la déclaration de Pyongyang de 2002. Il devrait également respecter ses propres déclarations reconnaissant sa responsabilité historique : la déclaration du secrétaire général du gouvernement Kono Yohei en 1993, celle des premiers ministres Murayama Tomiichi en 1995 et Kan Naoto en 2010. Dans la foulée, le Japon doit clairement s’engager dans la voie de la réconciliation, de l’amitié et de la coopération avec ses voisins. Les résultats d’une recherche historique, tant au niveau gouvernemental qu’à celui des citoyens, entre le Japon et la Corée d’une part, le Japon et la Chine d’autre part, devraient être réexaminés, comme devrait l’être la déclaration commune d’intellectuels japonais et sud-coréens, qui en 2010 ont déclaré nul le traité d’annexion de la Corée de 1910.
9. La seule voie pour sortir du conflit dans les zones contestées est le codéveloppement et l’utilisation conjointe des ressources dans les territoires litigieux. Si la souveraineté ne peut être partagée, la gestion et la distribution des richesses peuvent l’être, y compris celles de la pêche. Plutôt que de s’affronter, les nations devraient poursuivre le dialogue, la consultation de toutes les parties pour arriver à une meilleure connaissance des ressources et à un partage des intérêts. Nous devons sortir du conflit qui alimente le nationalisme pour jeter de nouvelles bases de coopération régionale.
10. Le fardeau pesant sur Okinawa [qui abrite les principales bases américaines, fort contestées par la population] ne doit pas s’alourdir au nom des tensions régionales, ni à travers un renforcement du pacte de sécurité américano-japonais ou au déploiement des V-22 Osprey, un nouveau type d’avion de transport à décollage vertical.
11. Enfin, nous proposons de créer un cadre de concertation à un niveau non gouvernemental réunissant des citoyens du Japon, de la Chine, de la Corée, de Taïwan et d’Okinawa, avec un point de vue tourné vers l’avenir dans un esprit de confiance mutuelle et de bonne foi.
26/10/2012
source : http://blog.mondediplo.net
english version
Les provocations
succèdent aux provocations en mer de Chine. L’été a été occupé par le
face-à-face entre les bateaux chinois et philippins. Depuis la rentrée,
c’est à l’est que les escarmouches prolifèrent : entre le Japon et la
Corée du Sud, autour de l’île Dodko — pour les Coréens — ou Takeshima —
pour les Japonais ; entre le Japon et la Chine pour les îles Senkaku (nom japonais) ou Diaoyu (nom chinois).
Pourquoi ce regain de tension ? Stephanie Kleine-Ahlbrandt apporte une
série d’éclairages pour comprendre la stratégie de Pékin dans le
prochain numéro du Monde diplomatique (daté de novembre, en vente le 28 octobre).
Au Japon, la montée du nationalisme inquiète les citoyens — non sans raison. L’un des fers de lance de ce courant de pensée, le gouverneur de Tokyo, M. Ishihara Shintaro, a démissionné de son poste afin de créer un parti nationaliste en bonne et due forme. Il est à l’origine de la relance du conflit entre Pékin et Tokyo. En août, il avait lancé une souscription pour la nationalisation de trois îlots des Senkaku qui appartenaient à un richissime homme d’affaires nippon, et le gouvernement lui a officiellement emboîté le pas.
Plusieurs intellectuels japonais se sont émus de cette escalade. Dans un texte publié à la « une » du quotidien Asahi Shimbun (28 septembre), l’écrivain Murakami Haruki regrette que ces tensions distendent les liens construits avec la Chine. On peut, écrit-il, comparer le nationalisme à « un alcool bon marché et de mauvaise qualité que l’on distribue aux gens gratuitement. En quelques verres, ils sont pris de frénésie et perdent le contrôle d’eux-mêmes. Mais quand ils se réveillent le lendemain, il ne reste qu’un vilain mal de tête. Nous devons être très prudents face aux hommes politiques et aux polémistes qui distribuent à tout-va ces mauvais breuvages ».
Enfin, porté par des intellectuels de renom, dont le romancier Oe Kenzaburo, Prix Nobel de littérature en 1994, un manifeste contre le nationalisme d’Etat avait déjà recueilli deux mille signatures (au 22 octobre) avant d’être remis au premier ministre le vendredi 26. Une mobilisation que l’on n’avait pas vue depuis longtemps.
Voici une traduction de ce manifeste.
Au Japon, la montée du nationalisme inquiète les citoyens — non sans raison. L’un des fers de lance de ce courant de pensée, le gouverneur de Tokyo, M. Ishihara Shintaro, a démissionné de son poste afin de créer un parti nationaliste en bonne et due forme. Il est à l’origine de la relance du conflit entre Pékin et Tokyo. En août, il avait lancé une souscription pour la nationalisation de trois îlots des Senkaku qui appartenaient à un richissime homme d’affaires nippon, et le gouvernement lui a officiellement emboîté le pas.
Plusieurs intellectuels japonais se sont émus de cette escalade. Dans un texte publié à la « une » du quotidien Asahi Shimbun (28 septembre), l’écrivain Murakami Haruki regrette que ces tensions distendent les liens construits avec la Chine. On peut, écrit-il, comparer le nationalisme à « un alcool bon marché et de mauvaise qualité que l’on distribue aux gens gratuitement. En quelques verres, ils sont pris de frénésie et perdent le contrôle d’eux-mêmes. Mais quand ils se réveillent le lendemain, il ne reste qu’un vilain mal de tête. Nous devons être très prudents face aux hommes politiques et aux polémistes qui distribuent à tout-va ces mauvais breuvages ».
Enfin, porté par des intellectuels de renom, dont le romancier Oe Kenzaburo, Prix Nobel de littérature en 1994, un manifeste contre le nationalisme d’Etat avait déjà recueilli deux mille signatures (au 22 octobre) avant d’être remis au premier ministre le vendredi 26. Une mobilisation que l’on n’avait pas vue depuis longtemps.
Voici une traduction de ce manifeste.
En finir avec le cercle vicieux des conflits territoriaux
Un appel des citoyens japonais.
1. Les tensions s’avivent autour des îles Senkaku et Takeshima. C’est particulièrement triste et regrettable, car elles interviennent sous un gouvernement dirigé depuis 2009 par le Parti démocratique du Japon (PDJ), qui se fixait comme priorité de tourner le Japon vers l’Asie de l’Est et d’établir des relations d’égal à égal avec les Etats-Unis ; elles se déroulent après le mouvement de sympathie qui s’est manifesté après le tsunami du 11 mars 2011, ainsi que l’élan de solidarité des dirigeants chinois et coréens Wen Jiabao et Lee Myung-bak, qui ont alors visité les zones sinistrées. La Corée et la Chine sont deux amis importants pour le Japon, et des partenaires pour construire la paix et la prospérité dans la région. Les liens économiques entre les nations ne peuvent être rompus, et ces relations sont appelées à s’approfondir. En tant que citoyens du Japon, nous sommes profondément préoccupés par la situation actuelle, et faisons la déclaration suivante.
2. On parle de « conflit territorial ». Mais il ne faut pas oublier le contexte historique de ces problèmes — et notamment l’histoire du Japon, en tant qu’agresseur en Asie. En arrière-plan de la visite de M. Lee Myung-bak sur les îles Takeshima/Dokdo se trouve l’affaire des esclaves sexuelles des anciens militaires japonais, connues sous l’appellation de « femmes de réconfort ». Durant l’été 2011, la Cour constitutionnelle de Corée a adopté une résolution sur cette question. A la fin de la même année, lors du sommet de Kyoto, le président coréen a, de nouveau, soulevé ce sujet dont on dit qu’il est à la source des problèmes actuels. Mais le premier ministre Noda Yoshihiko a évité de répondre. Lors de son discours pour l’anniversaire de la libération de la Corée, le 15 août dernier, le président Lee a une nouvelle fois appelé le Japon à prendre « des mesures responsables » pour régler cette question des « femmes de réconfort ». Les revendications du Japon sur les Takeshima/Dokdo remontent à 1905, lors de la guerre russo-japonaise, au moment où la colonisation de la Corée était lancée et où le droit international reculait. Les Japonais doivent comprendre que, pour le peuple coréen, il ne s’agit donc pas de simples « îles », mais du point de départ symbolique de l’invasion et de la colonisation. De plus, les îles Senkaku (Diaoyu, pour la Chine continentale et Taïwan) ont été incorporées au territoire japonais en janvier 1895, pendant la guerre sino-japonaise ; trois mois plus tard, Taïwan et les îles Penghu devinrent des colonies nippones. Ces deux territoires ont été annexés à une période, où tant la Corée que la Chine étaient en état de faiblesse et dans l’incapacité de faire valoir le droit international.
3. Cette année marque le quarantième anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine, et plusieurs événements célébrant l’amitié entre les deux pays sont d’ores et déjà prévus. Cette atmosphère amicale s’est détériorée quand le gouverneur de Tokyo Ishihara Shintaro a fait savoir qu’il voulait acheter trois des îlots des Senkaku et qu’en réponse, le gouvernement a décidé de les nationaliser. Il est normal que la Chine ait interprété ce geste comme une provocation et une volonté de rompre le statu quo en vigueur jusqu’alors. Et l’on peut regretter que les propos de M. Ishihara n’aient soulevé que peu de critiques. En outre, la décision de M. Noda a été annoncée le 7 juillet — jour anniversaire de l’incident du pont « Lu Gou » (Marco Polo) de 1937 [1], qui a marqué le début de l’invasion du territoire chinois par le Japon. Ce qui est connu en Chine comme l’incident du « 7.7 » et reste ancré dans les mémoires.
4. Dans tous les pays, les disputes territoriales alimentent le nationalisme et sont utilisées par les autorités politiques comme un exutoire aux frustrations et contradictions internes. Une action d’un côté engendre une réaction de l’autre, et l’escalade continue au point de rendre la situation incontrôlable et d’en arriver à un affrontement armé. Nous nous opposons à tout usage de la violence et nous insistons sur le fait que la question doit être résolue par le dialogue pacifique. Les dirigeants politiques et les médias ont une responsabilité dans la lutte contre le nationalisme et dans la promotion du dialogue. Alors que l’on est en train de tomber dans un cercle vicieux, le rôle des médias pour stopper l’escalade nationaliste, faciliter la réflexion sur l’histoire et appeler au calme devient plus crucial que jamais.
5. Quant aux questions territoriales proprement dites, les seules options possibles sont le dialogue et les négociations. C’est pourquoi le Japon doit sortir de sa position fictive, selon laquelle il n’existerait pas de « problème de territoire » (à propos des Senkaku). Sans reconnaissance de l’existence du problème, il ne peut y avoir de consultation ni de dialogue. De plus, il faut ajouter que la notion de « territoire naturel » [employée par le gouvernement japonais] n’est acceptable pour aucune des parties.
6 . Durant la période nécessaire de consultation et de négociation, le statu quo devrait prévaloir et les actions provocatrices devraient être bannies de tous côtés. Des règles de bonne conduite devraient être adoptées. A l’image de ce qu’a proposé, le 5 août dernier, le président taïwanais Ma Ying-jeou avec son « initative de paix en mer de Chine orientale ». Il a appelé à une modération des actes de chacun afin de prévenir toute escalade, d’éviter tout affrontement, de ne pas abandonner les voies du dialogue, d’aller vers un consensus et l’établissement de normes communes pour les activités dans cette zone maritime — des recommandations extrêmement calmes et raisonnables. De telles voix devraient être partagées et renforcées.
7. La zone maritime autour des Senkaku a été un espace de pêche, d’échanges et de vie pour les habitants d’Okinawa [île japonaise] comme pour ceux de Taïwan. Aucun des pêcheurs ne souhaite voir ces îles transformées en zone de conflits. Nous devons respecter l’opinion de ceux qui y vivent et y travaillent.
8. Le plus important aujourd’hui est que le Japon exprime clairement ce qui fut son histoire — l’invasion des pays voisins — et présente ses regrets. Il devrait réaffirmer les accords internationaux : avec la Chine, le communiqué commun de 1972 et le traité de paix et d’amitié de 1978 ; avec la Corée du Sud, la déclaration de partenariat de 1998 ; avec la Corée du Nord, la déclaration de Pyongyang de 2002. Il devrait également respecter ses propres déclarations reconnaissant sa responsabilité historique : la déclaration du secrétaire général du gouvernement Kono Yohei en 1993, celle des premiers ministres Murayama Tomiichi en 1995 et Kan Naoto en 2010. Dans la foulée, le Japon doit clairement s’engager dans la voie de la réconciliation, de l’amitié et de la coopération avec ses voisins. Les résultats d’une recherche historique, tant au niveau gouvernemental qu’à celui des citoyens, entre le Japon et la Corée d’une part, le Japon et la Chine d’autre part, devraient être réexaminés, comme devrait l’être la déclaration commune d’intellectuels japonais et sud-coréens, qui en 2010 ont déclaré nul le traité d’annexion de la Corée de 1910.
9. La seule voie pour sortir du conflit dans les zones contestées est le codéveloppement et l’utilisation conjointe des ressources dans les territoires litigieux. Si la souveraineté ne peut être partagée, la gestion et la distribution des richesses peuvent l’être, y compris celles de la pêche. Plutôt que de s’affronter, les nations devraient poursuivre le dialogue, la consultation de toutes les parties pour arriver à une meilleure connaissance des ressources et à un partage des intérêts. Nous devons sortir du conflit qui alimente le nationalisme pour jeter de nouvelles bases de coopération régionale.
10. Le fardeau pesant sur Okinawa [qui abrite les principales bases américaines, fort contestées par la population] ne doit pas s’alourdir au nom des tensions régionales, ni à travers un renforcement du pacte de sécurité américano-japonais ou au déploiement des V-22 Osprey, un nouveau type d’avion de transport à décollage vertical.
11. Enfin, nous proposons de créer un cadre de concertation à un niveau non gouvernemental réunissant des citoyens du Japon, de la Chine, de la Corée, de Taïwan et d’Okinawa, avec un point de vue tourné vers l’avenir dans un esprit de confiance mutuelle et de bonne foi.
Notes
[1] Tokyo prétexta l’enlèvement d’un de ses soldats, qui s’entraînaient à une quinzaine de kilomètres de Pékin, près du pont Marco Polo, pour s’emparer de la capitale chinoise et étendre la guerre à tout le pays.
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3 octobre 2012
Deux traités pour un coup d’Etat européen
Par Raoul Marc Jennar
Juin 2012
pour http://www.monde-diplomatique.fr
english
Le ministre de l’économie français, M. Pierre Moscovici, a annoncé que le traité budgétaire européen ne serait « pas ratifié en l’état » et qu’il faudrait le « compléter par un volet croissance ». Mais la renégociation promise suffira-t-elle à modifier la nature d’un texte qui annonce le démantèlement des systèmes sociaux et des mécanismes démocratiques européens ?
Juin 2012
pour http://www.monde-diplomatique.fr
english
Le ministre de l’économie français, M. Pierre Moscovici, a annoncé que le traité budgétaire européen ne serait « pas ratifié en l’état » et qu’il faudrait le « compléter par un volet croissance ». Mais la renégociation promise suffira-t-elle à modifier la nature d’un texte qui annonce le démantèlement des systèmes sociaux et des mécanismes démocratiques européens ?
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union économique et monétaire « rassure peut-être les amis politiques de la chancelière Angela Merkel, observait récemment Mme Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), mais
sûrement pas les millions de chômeurs, travailleurs pauvres et
précaires en Europe, qui attendent en vain un véritable soutien de la
part des institutions européennes. C’est pourquoi nous y sommes opposés (1) ».
La déclaration n’avait rien d’anecdotique de la part de la dirigeante
d’une organisation qui ne s’était jusqu’ici opposée à aucun traité
européen ; sa complaisance à l’égard de
Bruxelles avait même conduit l’un de ses fondateurs, le syndicaliste
belge Georges Debunne, à déplorer que la CES soit devenue la « courroie de transmission du patronat européen (2) ».
Signé le 1er mars par vingt-cinq gouvernements de l’Union européenne, le TSCG — qui impose notamment la « règle d’or » en matière budgétaire (lire « Huit dispositions principales ») — doit être ratifié au cours des prochains mois. Cadenas condamnant l’accès aux ressources publiques nationales, il s’accompagne d’un autre traité instaurant le mécanisme européen de stabilité (MES). Ratifié par le Parlement français le 21 février 2012 — avec l’abstention bienveillante de l’immense majorité des élus socialistes et écologistes —, le MES constitue une sorte de Fonds monétaire international (FMI). Il est destiné à prendre le relais, à partir de 2013, des instruments créés en 2010 pour faire face à la crise de la dette en Europe (3).
Ce passage en force en annonçait un autre : l’utilisation de la procédure dite « simplifiée » pour la création du MES par les pays de la zone euro. Théoriquement, elle ne peut être employée pour « accroître les compétences attribuées à l’Union (4) ». A l’évidence, le MES entre dans cette catégorie. Dirigé par un conseil des ministres des finances appelés « gouverneurs », il s’apparente à un Etat dans l’Etat : il est indépendant du Parlement européen et des Parlements nationaux, ses locaux et ses archives sont inviolables, et il ne pourra faire l’objet de poursuites.
En revanche, lesdits « gouverneurs » pourront saisir la CJUE, seule compétente, contre un Etat membre contrevenant. Le MES vise à « mobiliser des ressources financières et [à] fournir, sous une stricte conditionnalité (5) », un soutien à un pays membre qui connaît de graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité de la zone euro. A cette fin, il dispose de la capacité de lever des fonds auprès des Etats et sur les marchés. Son capital est fixé à 700 milliards d’euros, fournis par les Etats membres, qui s’engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à doter le MES « dans les sept jours suivant la réception de la demande ». Pour sa part, la France devra verser 142,7 milliards d’euros. Le MES pourra décider de revoir à la hausse la contribution de chacun des Etats membres, sans que ceux-ci aient leur mot à dire.
Quand un pays sollicitera le soutien du MES, c’est la Commission, en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE), non soumise à un contrôle démocratique ou politique, qui estimera le risque encouru par la zone euro. En collaboration avec le FMI, elle appréciera la « soutenabilité » de l’endettement public du demandeur et évaluera ses besoins « réels » en termes de financement. Ensuite, si le soutien est accordé, c’est encore la Commission, en lien avec la BCE et le FMI, qui en négociera les termes avec l’Etat demandeur. Cette « troïka » sera chargée du respect des conditions imposées.
Le MES bénéficiera de l’apport des Etats membres, mais pourra aussi faire appel au marché des capitaux. Ce qui signifie qu’il sera lui-même soumis aux agences de notation. Les banques, qui peuvent emprunter à 1 % auprès de la BCE, prêteront au MES à un taux nettement supérieur, puis le MES aux Etats… à un taux encore supérieur. Ces fonds serviront à payer la charge de la dette, et donc à garnir les coffres des banques. En résumé, le nouveau mécanisme s’annonce bien plus avantageux pour les banquiers que pour les populations. Or il ne s’agit pas d’une délégation de souveraineté réversible, mais d’une perte d’indépendance que le traité qualifie d’« irrévocable et inconditionnelle ».
Et, déjà, une seconde étape se dessine. Car, contrairement à ce qu’affirment certaines personnalités écologistes qui comparent le MES à une « mutuelle » (6), un Etat devra avoir accepté l’austérité budgétaire prévue par le TSCG pour avoir accès aux aides prévues : les deux traités sont indissociables. Il serait ainsi illusoire de prétendre renégocier l’un sans toucher à l’autre. C’est pourtant ce qu’a promis le nouveau président français, M. François Hollande, lors de sa campagne.
Le TSCG contraint les pays signataires à constitutionnaliser la « règle d’or ». Au cas où la Commission — seule compétente ici — décèlerait un « déficit structurel (7) », les Etats devront mettre en place un mécanisme de correction « automatique », c’est-à-dire « qui ne sera pas soumis à la délibération parlementaire ». Ce ne seront donc plus les élus, mais le Conseil constitutionnel qui aura le pouvoir de contrôler la conformité des budgets avec cette nouvelle règle. Lorsqu’un Etat sortira du cadre fixé (déficit budgétaire supérieur à 3 % du produit intérieur brut [PIB] et dette dépassant 60 % du PIB), il devra soumettre un programme de réformes structurelles contraignantes à la Commission et au Conseil. On en imagine sans peine le contenu : « réforme » du marché du travail, remise en cause des retraites, réductions salariales, baisse des budgets sociaux, de santé et d’éducation, privatisations.
Le TSCG ampute la raison d’être première du Parlement : le pouvoir de décider des recettes et des dépenses. Il transfère un rôle considérable à la Commission européenne. Il confie à la CJUE le soin de régler les différends entre Etats, alors que sa mission se limitait jusqu’ici à l’imposition de la législation européenne — un rôle dont elle s’acquitte d’ailleurs avec un zèle tout particulier lorsqu’il s’agit de privilégier les logiques libérales (8).
Selon les défenseurs de ce traité, celui-ci mettrait en place une « gouvernance économique commune (9) ». Les mécanismes créés visent au contraire à enfermer les politiques budgétaires et économiques dans des règles rigides et des automatismes qui interdisent toute adaptation à la situation de chaque pays. Si le terme « gouverner » a un sens, il ne peut se réduire à l’application systématique de règles immuables. Ni admettre l’irresponsabilité dont bénéficient en la matière la Commission et la Cour. Comme le président François Mitterrand avait cédé au chancelier Helmut Kohl, qui réclamait l’indépendance de la BCE, M. Nicolas Sarkozy a cédé à Mme Merkel sur le MES et le TSCG. Mais, si Mitterrand avait finalement soumis le traité de Maastricht à référendum, le président Hollande, lui, a pour le moment écarté cette possibilité, estimant que le TSCG ne contenait pas de transfert de souveraineté. En revanche, au cours de sa campagne, il a promis — au grand dam de Mme Merkel — d’en demander la renégociation, arguant de la faiblesse des dispositions en faveur de la croissance économique.
Considérant que la fiscalité relève de la souveraineté nationale, le Royaume-Uni et la République tchèque ont refusé de signer ce traité qui entérine ce transfert de compétences. Les Etats signataires ont explicitement renoncé à l’exigence de ratification unanime par les Etats membres — qui est le principe dans l’Union —, et ont eux-mêmes fixé à douze ratifications (sur vingt-cinq) le seuil permettant l’entrée en vigueur du TSCG. Les gouvernements n’ont pas souhaité tirer les leçons des référendums français et néerlandais, en 2005 : ils tentent une nouvelle fois d’imposer, constitutionnellement, la même politique économique et financière pour tous.
Signé le 1er mars par vingt-cinq gouvernements de l’Union européenne, le TSCG — qui impose notamment la « règle d’or » en matière budgétaire (lire « Huit dispositions principales ») — doit être ratifié au cours des prochains mois. Cadenas condamnant l’accès aux ressources publiques nationales, il s’accompagne d’un autre traité instaurant le mécanisme européen de stabilité (MES). Ratifié par le Parlement français le 21 février 2012 — avec l’abstention bienveillante de l’immense majorité des élus socialistes et écologistes —, le MES constitue une sorte de Fonds monétaire international (FMI). Il est destiné à prendre le relais, à partir de 2013, des instruments créés en 2010 pour faire face à la crise de la dette en Europe (3).
Transfert de compétences
Ces deux textes marquent une étape importante dans le démantèlement des institutions démocratiques et le détricotage des modèles sociaux européens. Après une phase de relative discrétion, cette évolution ne peut plus être ignorée : le poids croissant de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et des jurisprudences qu’elle élabore, puis les traités proposés par M. Jacques Delors quand il était président de la Commission (Acte unique de 1986, traité de Maastricht de 1992), ont favorisé l’émergence d’une puissante technocratie qui n’est pas tenue de rendre des comptes aux citoyens, et qui peut les priver de certaines conquêtes sociales. Cette dérive fut confortée par les décisions prises lors des sommets de Lisbonne (2000) et de Barcelone (2002), alors que treize des quinze gouvernements de l’Union européenne s’inscrivaient pourtant dans la mouvance sociale-démocrate ; puis à nouveau par l’adoption parlementaire en 2008, en France et aux Pays-Bas, du traité de Lisbonne, dont l’essentiel du contenu avait été rejeté par voie de référendum trois ans plus tôt dans ces deux pays.
Ce passage en force en annonçait un autre : l’utilisation de la procédure dite « simplifiée » pour la création du MES par les pays de la zone euro. Théoriquement, elle ne peut être employée pour « accroître les compétences attribuées à l’Union (4) ». A l’évidence, le MES entre dans cette catégorie. Dirigé par un conseil des ministres des finances appelés « gouverneurs », il s’apparente à un Etat dans l’Etat : il est indépendant du Parlement européen et des Parlements nationaux, ses locaux et ses archives sont inviolables, et il ne pourra faire l’objet de poursuites.
En revanche, lesdits « gouverneurs » pourront saisir la CJUE, seule compétente, contre un Etat membre contrevenant. Le MES vise à « mobiliser des ressources financières et [à] fournir, sous une stricte conditionnalité (5) », un soutien à un pays membre qui connaît de graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité de la zone euro. A cette fin, il dispose de la capacité de lever des fonds auprès des Etats et sur les marchés. Son capital est fixé à 700 milliards d’euros, fournis par les Etats membres, qui s’engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à doter le MES « dans les sept jours suivant la réception de la demande ». Pour sa part, la France devra verser 142,7 milliards d’euros. Le MES pourra décider de revoir à la hausse la contribution de chacun des Etats membres, sans que ceux-ci aient leur mot à dire.
Quand un pays sollicitera le soutien du MES, c’est la Commission, en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE), non soumise à un contrôle démocratique ou politique, qui estimera le risque encouru par la zone euro. En collaboration avec le FMI, elle appréciera la « soutenabilité » de l’endettement public du demandeur et évaluera ses besoins « réels » en termes de financement. Ensuite, si le soutien est accordé, c’est encore la Commission, en lien avec la BCE et le FMI, qui en négociera les termes avec l’Etat demandeur. Cette « troïka » sera chargée du respect des conditions imposées.
Le MES bénéficiera de l’apport des Etats membres, mais pourra aussi faire appel au marché des capitaux. Ce qui signifie qu’il sera lui-même soumis aux agences de notation. Les banques, qui peuvent emprunter à 1 % auprès de la BCE, prêteront au MES à un taux nettement supérieur, puis le MES aux Etats… à un taux encore supérieur. Ces fonds serviront à payer la charge de la dette, et donc à garnir les coffres des banques. En résumé, le nouveau mécanisme s’annonce bien plus avantageux pour les banquiers que pour les populations. Or il ne s’agit pas d’une délégation de souveraineté réversible, mais d’une perte d’indépendance que le traité qualifie d’« irrévocable et inconditionnelle ».
Et, déjà, une seconde étape se dessine. Car, contrairement à ce qu’affirment certaines personnalités écologistes qui comparent le MES à une « mutuelle » (6), un Etat devra avoir accepté l’austérité budgétaire prévue par le TSCG pour avoir accès aux aides prévues : les deux traités sont indissociables. Il serait ainsi illusoire de prétendre renégocier l’un sans toucher à l’autre. C’est pourtant ce qu’a promis le nouveau président français, M. François Hollande, lors de sa campagne.
Le TSCG contraint les pays signataires à constitutionnaliser la « règle d’or ». Au cas où la Commission — seule compétente ici — décèlerait un « déficit structurel (7) », les Etats devront mettre en place un mécanisme de correction « automatique », c’est-à-dire « qui ne sera pas soumis à la délibération parlementaire ». Ce ne seront donc plus les élus, mais le Conseil constitutionnel qui aura le pouvoir de contrôler la conformité des budgets avec cette nouvelle règle. Lorsqu’un Etat sortira du cadre fixé (déficit budgétaire supérieur à 3 % du produit intérieur brut [PIB] et dette dépassant 60 % du PIB), il devra soumettre un programme de réformes structurelles contraignantes à la Commission et au Conseil. On en imagine sans peine le contenu : « réforme » du marché du travail, remise en cause des retraites, réductions salariales, baisse des budgets sociaux, de santé et d’éducation, privatisations.
Le TSCG ampute la raison d’être première du Parlement : le pouvoir de décider des recettes et des dépenses. Il transfère un rôle considérable à la Commission européenne. Il confie à la CJUE le soin de régler les différends entre Etats, alors que sa mission se limitait jusqu’ici à l’imposition de la législation européenne — un rôle dont elle s’acquitte d’ailleurs avec un zèle tout particulier lorsqu’il s’agit de privilégier les logiques libérales (8).
Selon les défenseurs de ce traité, celui-ci mettrait en place une « gouvernance économique commune (9) ». Les mécanismes créés visent au contraire à enfermer les politiques budgétaires et économiques dans des règles rigides et des automatismes qui interdisent toute adaptation à la situation de chaque pays. Si le terme « gouverner » a un sens, il ne peut se réduire à l’application systématique de règles immuables. Ni admettre l’irresponsabilité dont bénéficient en la matière la Commission et la Cour. Comme le président François Mitterrand avait cédé au chancelier Helmut Kohl, qui réclamait l’indépendance de la BCE, M. Nicolas Sarkozy a cédé à Mme Merkel sur le MES et le TSCG. Mais, si Mitterrand avait finalement soumis le traité de Maastricht à référendum, le président Hollande, lui, a pour le moment écarté cette possibilité, estimant que le TSCG ne contenait pas de transfert de souveraineté. En revanche, au cours de sa campagne, il a promis — au grand dam de Mme Merkel — d’en demander la renégociation, arguant de la faiblesse des dispositions en faveur de la croissance économique.
Considérant que la fiscalité relève de la souveraineté nationale, le Royaume-Uni et la République tchèque ont refusé de signer ce traité qui entérine ce transfert de compétences. Les Etats signataires ont explicitement renoncé à l’exigence de ratification unanime par les Etats membres — qui est le principe dans l’Union —, et ont eux-mêmes fixé à douze ratifications (sur vingt-cinq) le seuil permettant l’entrée en vigueur du TSCG. Les gouvernements n’ont pas souhaité tirer les leçons des référendums français et néerlandais, en 2005 : ils tentent une nouvelle fois d’imposer, constitutionnellement, la même politique économique et financière pour tous.
Raoul Marc Jennar
Auteur de Quelle Europe après le non ?, Fayard, Paris, 2007.
(1) Communiqué de presse du 31 janvier 2012.
(2)
Lors de la réunion publique organisée par M. Henri Emmanuelli contre le
traité constitutionnel européen (TCE), le 20 avril 2005 à Paris.
(3) Lire Bernard Cassen, « Contorsions pour sauver la monnaie unique », Le Monde diplomatique, janvier 2012.
(4) Article 48, paragraphe 6, alinéa 3 du traité sur l’Union européenne (première partie du traité de Lisbonne).
(5) Traité instituant le mécanisme européen de stabilité, DOC / 12/3, Journal officiel de l’Union européenne, Luxembourg, 1er février 2012.
(6) Jean Paul Besset, Daniel Cohn-Bendit, Alain Lipietz et Shahin Vallée, « Mécanisme européen de stabilité : la bourde historique de la gauche », Le Monde, 24 février 2012.
(7) Le déficit structurel correspond au déficit budgétaire en dehors des variations de la conjoncture.
(8) Lire Anne Cécile-Robert, « Syndicats phagocytés », Le Monde diplomatique, mars 2009.
(9) Editorial du Monde, 10 février 2012.
Les membres du Parlement européen doivent se tenir prêts à rejeter l'accord commercial Canada-UE, clone d'ACTA
Pour http://www.laquadrature.net
2 Oct. 2012
À l'approche du prochain round de négociations de CETA (accord commercial Canada-UE)1, La Quadrature du Net publie son web-dossier dédié. L'organisation citoyenne appelle les membres du Parlement européen à exiger une transparence totale sur ces négociations et à se tenir prêts à rejeter CETA de la même manière qu'ils ont rejeté ACTA, si jamais des dispositions anti-Internet et des attaques contre les libertés et droits des citoyens subsistaient dans la version finale de l'accord.
À nouveau, la Commission européenne tente de contourner le processus démocratique et d'imposer des mesures répressives pour les libertés en ligne à travers un accord commercial. Bien que le commissaire De Gucht prétende que les dispositions issues d'ACTA ne se trouvent plus dans la version actuelle de CETA, rien ne permettra de vérifier cette affirmation tant que les négociateurs conserveront ce document secret. La dernière version fuitée de CETA, datant de février 2012, reproduit mot pour mot les pires dispositions anti-citoyens d'ACTA, au nom cette fois du Canada et de l'UE.
La Quadrature du Net publie son web-dossier sur CETA et appelle les membres du Parlement européen à s'opposer, une fois encore, aux tentatives honteuses de contournement des processus démocratiques de la Commission européenne. Les députés européens doivent exiger de la Commission qu'elle publie la version actuelle de CETA avant le prochain – et probablement dernier – round de négociations à Bruxelles, prévu du 15 au 26 octobre.
Dans le cas où des dispositions répressives issues d'ACTA s'attaquant à l'Internet libre et aux libertés de ses utilisateurs seraient toujours présentes dans la version actuelle de CETA, les membres du Parlement européen doivent garantir aux citoyens qu'ils resteront fidèles à leurs engagements et rejetteront l'accord commercial dans son ensemble.
« Apparemment, la Commission européenne n'a pas tiré les leçons de sa défaite cinglante de juillet dernier. Il semble au contraire que le commissaire De Gucht cache de nouveau des informations essentielles aux citoyens et députés européens, et tente de contourner le processus démocratique avec CETA pour imposer ses mesures répressives. Les eurodéputés doivent rester fidèles à la position courageuse qu'ils ont adopté contre ACTA, et rejeter CETA dans son ensemble si jamais les dispositions issues d'ACTA se trouvaient toujours dans la version finale de l'accord. » a déclaré Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de l'organisation citoyenne La Quadrature du Net.
Once again, the EU Commission is trying to bypass the democratic process by imposing general measures against freedoms online in a trade agreement. Although Commissioner De Gucht's asserts that ACTA measures are not present in current CETA draft anymore, this is a proof-less assertion, as the negotiators are keeping relevant documents secret. The latest leak – dated February 2012 – contains the exact same anti-citizen provisions as ACTA, pushed by both Canada and the EU.
La Quadrature du Net publishes its CETA web-dossier and urges Members of the European Parliament to stand, once more, against the Commission's shameful attempts to bypass the democratic process. MEPs are invited to demand the Commission publishes the current text of CETA, before the next round of negotiations in Brussels from October 15th to October 26th, even more so as negotiators claim it will be the final round.
If any of the ACTA provisions threatening a free Internet and users' freedoms online are still present in the current text, MEPs must give guarantees to EU citizens that they will honour their past commitment and reject CETA.
“Apparently the EU Commission didn't learn from its tremendous defeat last July on ACTA. It seems that Commissioner De Gucht is once again hiding key information from citizens and MEPs and trying to bypass the democratic processes with CETA in order to impose repressive measures. MEPs must stick to their courageous position against ACTA, and reject CETA as a whole if ACTA-like provisions are present in the final agreement.” declared Jérémie Zimmermann, co-founder and spokesperson of the citizen organisation La Quadrature du Net.
2 Oct. 2012
À l'approche du prochain round de négociations de CETA (accord commercial Canada-UE)1, La Quadrature du Net publie son web-dossier dédié. L'organisation citoyenne appelle les membres du Parlement européen à exiger une transparence totale sur ces négociations et à se tenir prêts à rejeter CETA de la même manière qu'ils ont rejeté ACTA, si jamais des dispositions anti-Internet et des attaques contre les libertés et droits des citoyens subsistaient dans la version finale de l'accord.
À nouveau, la Commission européenne tente de contourner le processus démocratique et d'imposer des mesures répressives pour les libertés en ligne à travers un accord commercial. Bien que le commissaire De Gucht prétende que les dispositions issues d'ACTA ne se trouvent plus dans la version actuelle de CETA, rien ne permettra de vérifier cette affirmation tant que les négociateurs conserveront ce document secret. La dernière version fuitée de CETA, datant de février 2012, reproduit mot pour mot les pires dispositions anti-citoyens d'ACTA, au nom cette fois du Canada et de l'UE.
La Quadrature du Net publie son web-dossier sur CETA et appelle les membres du Parlement européen à s'opposer, une fois encore, aux tentatives honteuses de contournement des processus démocratiques de la Commission européenne. Les députés européens doivent exiger de la Commission qu'elle publie la version actuelle de CETA avant le prochain – et probablement dernier – round de négociations à Bruxelles, prévu du 15 au 26 octobre.
Dans le cas où des dispositions répressives issues d'ACTA s'attaquant à l'Internet libre et aux libertés de ses utilisateurs seraient toujours présentes dans la version actuelle de CETA, les membres du Parlement européen doivent garantir aux citoyens qu'ils resteront fidèles à leurs engagements et rejetteront l'accord commercial dans son ensemble.
« Apparemment, la Commission européenne n'a pas tiré les leçons de sa défaite cinglante de juillet dernier. Il semble au contraire que le commissaire De Gucht cache de nouveau des informations essentielles aux citoyens et députés européens, et tente de contourner le processus démocratique avec CETA pour imposer ses mesures répressives. Les eurodéputés doivent rester fidèles à la position courageuse qu'ils ont adopté contre ACTA, et rejeter CETA dans son ensemble si jamais les dispositions issues d'ACTA se trouvaient toujours dans la version finale de l'accord. » a déclaré Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de l'organisation citoyenne La Quadrature du Net.
MEPs must be ready to reject an ACTA-like Canada/EU Trade Agreement
Ahead of the next round of negotiations of CETA, the Canada/EU Trade Agreement1, La Quadrature du Net publishes its dedicated web-dossier. The citizen organization urges the Members of the European Parliament to demand full transparency and be ready to reject CETA as they did with ACTA, if any of the anti-Internet, anti-citizens' freedoms provisions remain in the final agreement.Once again, the EU Commission is trying to bypass the democratic process by imposing general measures against freedoms online in a trade agreement. Although Commissioner De Gucht's asserts that ACTA measures are not present in current CETA draft anymore, this is a proof-less assertion, as the negotiators are keeping relevant documents secret. The latest leak – dated February 2012 – contains the exact same anti-citizen provisions as ACTA, pushed by both Canada and the EU.
La Quadrature du Net publishes its CETA web-dossier and urges Members of the European Parliament to stand, once more, against the Commission's shameful attempts to bypass the democratic process. MEPs are invited to demand the Commission publishes the current text of CETA, before the next round of negotiations in Brussels from October 15th to October 26th, even more so as negotiators claim it will be the final round.
If any of the ACTA provisions threatening a free Internet and users' freedoms online are still present in the current text, MEPs must give guarantees to EU citizens that they will honour their past commitment and reject CETA.
“Apparently the EU Commission didn't learn from its tremendous defeat last July on ACTA. It seems that Commissioner De Gucht is once again hiding key information from citizens and MEPs and trying to bypass the democratic processes with CETA in order to impose repressive measures. MEPs must stick to their courageous position against ACTA, and reject CETA as a whole if ACTA-like provisions are present in the final agreement.” declared Jérémie Zimmermann, co-founder and spokesperson of the citizen organisation La Quadrature du Net.
23 mai 2012
A la conférence de Cocoyoc, le Sud liait écologie et égalité
Par Aurélien Bernier
décembre 2011
pour http://www.monde-diplomatique.fr
En 1974, à Cocoyoc, au Mexique, un colloque de l’Organisation des Nations unies (ONU) formulait une critique radicale du « développement », du modèle libre-échangiste et des rapports Nord-Sud. Ses conclusions furent vite enterrées…
Programmées à quelques mois d’intervalle, deux rencontres
internationales sur l’écologie occupent les calendriers diplomatiques :
la conférence de Durban (Afrique du Sud) sur le changement climatique,
du 28 novembre au 9 décembre 2011, et le sommet de la Terre à Rio, du 20
au 22 juin 2012. Sur fond de crise économique, peu se risquent à parier
sur une avancée positive des négociations lors de ces rendez-vous.
Après les sommets de Copenhague (2009) et de Cancún (2010), le thème du changement climatique et de la réduction des gaz à effet de serre est rangé au rayon des préoccupations accessoires. Quant aux sommets de la Terre, qui ont lieu tous les dix ans, celui de Stockholm, en 1972, avait suscité l’espoir d’une action concertée pour protéger la planète ; celui de Nairobi, en 1982, a constaté l’échec complet de la « communauté internationale », et ceux de Rio en 1992 et Johannesburg en 2002 ont salué la récupération de l’écologie par les multinationales. A n’en pas douter, un concert de louanges adressées au capitalisme « vert » rythmera l’édition 2012, laquelle sera à nouveau accueillie par le Brésil.
Pourtant, des trésors oubliés dorment dans les archives de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ainsi, la déclaration la plus radicale sur l’environnement issue de cette institution est gommée de l’histoire officielle. Rédigée en octobre 1974 dans la ville mexicaine de Cocoyoc, elle dessinait les contours d’un nouvel ordre international aux antipodes de celui qui nous est imposé actuellement.
Tout commence en 1971 dans la ville suisse de Founex, près de Genève, où l’ONU réunit des personnalités chargées de préparer le sommet de la Terre de Stockholm : venus de pays du Nord et du Sud, ces experts sont sélectionnés pour leurs compétences en matière d’environnement, d’économie, de sciences sociales, de développement. Ils ne disposent d’aucun mandat de leur gouvernement et produisent un rapport non officiel, qui permettra pourtant d’orienter les négociations entre Etats.
Le « rapport Founex », synthèse des premiers travaux, estime que « la pauvreté est la pire des pollutions » et qu’il faut la combattre en priorité. Influencés par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt), les membres du « groupe Founex » défendent le droit à l’industrialisation des pays pauvres et pensent que le libre-échange est une bonne stratégie pour y parvenir. Quelques mois plus tard, le sommet de Stockholm puise dans ces réflexions. Les Etats concluent qu’il faut articuler les questions d’écologie avec les problèmes de développement et posent les bases d’un droit international de l’environnement, tout en prenant soin de confirmer le bien-fondé du libre-échange. Mécontents de ce compromis, certains pays du Sud réclament l’instauration d’un « nouvel ordre économique international » pour mettre un terme à l’hégémonie des puissances occidentales.
Parmi les intellectuels rassemblés à Cocoyoc, beaucoup affichent un penchant pour le socialisme. Corea fait partie, en tant que secrétaire permanent au ministère de la planification et des affaires économiques du Sri Lanka, d’un gouvernement qui nationalise les compagnies pétrolières, les banques, les assurances, les écoles... et se rapproche du bloc communiste. La coprésidence de la réunion mexicaine échoit à deux personnalités issues de pays en développement. Le premier, le docteur Wilbert K. Chagula, est ministre des affaires économiques et de la planification du développement de la Tanzanie, présidée par l’ancien instituteur Julius Nyerere — lequel, à partir de 1967, nationalise les principales industries et les sociétés de services, augmente les impôts pour financer des politiques sociales et lance une grande réforme agraire. Le second, Rodolfo Stavenhagen, un sociologue mexicain, chef du projet de recherche sur la réforme agraire dans son pays, a orienté ses travaux sur la lutte des classes dans le monde agricole.
Le Mexique, justement, qui accueille la conférence, est présidé depuis 1970 par M. Luis Echeverría Alvarez, qui nationalise les mines et l’énergie, redistribue des terres aux paysans et met en œuvre une politique sociale progressiste (bien que non révolutionnaire). Il affiche sa proximité avec le régime de Salvador Allende, au Chili, et avec Cuba (1). Le président Echeverría participe en personne au séminaire de Cocoyoc.
La déclaration finale, datée du 23 octobre 1974, est un réquisitoire contre les politiques occidentales. Son premier paragraphe souligne l’échec des Nations unies, dont la Charte, élaborée en 1945, a produit un ordre international injuste. « Les affamés, les sans-abri et les illettrés sont plus nombreux aujourd’hui que lorsque les Nations unies ont été créées. » Les rapports de forces issus de « cinq siècles de contrôle colonial qui ont massivement concentré le pouvoir économique entre les mains d’un petit groupe de nations » n’ont pas été modifiés. Pour les rapporteurs, le problème n’est pas lié à un manque de richesses produites, mais à leur « mauvaise répartition et [à leur] mauvais usage ».
Dans un registre que ne renieraient pas les objecteurs de croissance des années 2000, la déclaration de Cocoyoc remet ouvertement en cause la dictature de l’augmentation du produit intérieur brut : « Un processus de croissance qui bénéficie seulement à une très petite minorité et qui maintient ou accroît les disparités entre pays et à l’intérieur des pays n’est pas du développement. C’est de l’exploitation. (...) Par conséquent, nous rejetons l’idée de la croissance d’abord et d’une juste répartition des bénéfices ensuite. »
Le modèle de développement défendu à Cocoyoc ne se focalise pas sur les questions économiques. Il met en avant l’importance des modes de vie, des valeurs, de l’émancipation des peuples, des droits individuels et collectifs. Il inclut « le droit de travailler, ce qui ne signifie pas seulement le droit d’avoir un travail, mais celui d’y trouver un accomplissement personnel, le droit de ne pas être aliéné à travers des procédés de production qui utilisent les hommes comme des outils ».
Les mythes de l’économie de marché sont balayés. « Les solutions à ces problèmes ne peuvent pas provenir de l’autorégulation par les mécanismes de marché, y lit-on. Les marchés classiques donnent un accès aux ressources à ceux qui peuvent payer plutôt qu’à ceux qui en ont besoin ; ils stimulent une demande artificielle et génèrent des déchets dans le processus de production. Certaines ressources sont même sous-utilisées. »
A rebours des discours dominants du Gatt, on impute la dégradation de l’environnement aux relations économiques inéquitables et au prix dérisoire des matières premières sur les marchés. Les experts pensent que les pays du Sud doivent créer des alliances sur le modèle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) afin d’exiger des prix décents pour toutes les matières premières. En parallèle, ils recommandent de mettre en place une gestion internationale des « biens communs » (lire « Rendre inaliénables les biens communs »), grâce à l’édification d’un système juridique solide. L’objectif est de permettre l’autonomie des nations sans tomber dans l’autarcie. Pour y parvenir, les rapporteurs ne réclament pas une « aide » des pays riches, mais que ceux-ci payent au juste prix les matières premières.
Enfin, contrairement au « rapport Founex » préparatoire à la conférence de Stockholm, qui défendait le libre-échange et le rôle d’arbitre commercial tenu par le Gatt, la déclaration de Cocoyoc affirme la place centrale des Nations unies et du principe « un pays, une voix ». « Nous croyons fermement que, puisque les sujets du développement, de l’environnement et de l’utilisation des ressources sont des problèmes globaux essentiels et qui concernent le bien-être de toute l’humanité, les gouvernements devraient utiliser pleinement les mécanismes des Nations unies pour les résoudre et que le système des Nations unies devrait être rénové et renforcé pour faire face à ses nouvelles responsabilités. »
La déclaration de Cocoyoc impressionne par les perspectives politiques qu’elle dessine. Elle définit le sous-développement non comme un « retard » de développement, mais comme le produit du développement des pays riches. L’expansion du capitalisme passe en effet par la mainmise des multinationales sur les matières premières des pays du Sud, de sorte qu’il y aura toujours des exploiteurs et des exploités. C’est l’économie de marché qui est contestée et, en creux, le libre-échange. L’appel à la rupture ne souffre aucune ambiguïté. Il ne s’agit pas simplement d’aménager le système, mais d’en sortir : « L’autonomie au niveau national implique aussi un détachement temporaire du système économique actuel. Il est impossible de développer l’autonomie au travers de la participation pleine et entière à un système qui perpétue la dépendance économique. » Ainsi les Etats doivent-ils, selon la déclaration, refuser la soumission à une dépendance extérieure, organiser une autonomie collective et coopérer, notamment pour gérer les biens communs.
La déclaration lance donc un appel à la construction d’un socialisme écologique par des Etats souverains, dans une perspective internationaliste. Avec humour, les auteurs vont jusqu’à proposer d’offrir leurs services aux pays riches pour les aider à sortir de leur surconsommation et de leur mal-vivre. « Cela ne sert à rien de produire et de consommer de plus en plus s’il en résulte une augmentation de la prise d’antidépresseurs et des séjours en hôpital psychiatrique », soulignent-ils.
Immédiatement après la publication du texte, les présidents de la conférence reçoivent un long télégramme du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, qui rejette l’intégralité de la déclaration. Les grandes puissances économiques vont reprendre les choses en main, et la crise économique de 1973 offrira l’occasion de rediscipliner ou de marginaliser des Etats trop critiques, lesquels s’enfoncent dans la misère en voyant le prix de leurs importations grimper en flèche. Pour la suite des négociations sur le « nouvel ordre économique international », les pays riches multiplient les lieux de discussions pour diluer l’influence de l’ONU, où le Sud est majoritaire. En décembre 1975, la conférence sur la coopération économique internationale qui se tient à Paris ne réunit que vingt-sept Etats : huit pays riches, les principaux membres de l’Opep, mais aucun des pays qui contestent les fondements du capitalisme ou la division internationale du travail — laquelle n’a pas encore trouvé son nom de « mondialisation ». Certains grands pays du Sud font le jeu des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon en revendiquant une plus grande place dans l’économie mondiale, sans pour autant vouloir en changer les règles.
Aujourd’hui, une recherche sur le site des Nations unies ne donne accès qu’à quelques lignes évoquant le symposium d’octobre 1974. On y trouve une courte citation de la déclaration finale : « La voie à suivre ne passe pas par le désespoir, par la fin du monde, ou par un optimisme béat devant les solutions technologiques successives. Elle passe au contraire par une appréciation méticuleuse, sans passion, des “limites extérieures” [la préservation d’un environnement équilibré], par une recherche collective des moyens d’atteindre les “limites intérieures” des droits fondamentaux [la satisfaction des besoins humains fondamentaux], par l’édification de structures sociales exprimant ces droits et par tout le patient travail consistant à élaborer des techniques et des styles de développement qui améliorent et préservent notre patrimoine planétaire. » Pouvait-on évoquer les travaux de Cocoyoc tout en effaçant de façon aussi systématique la subversion et les perspectives politiques du texte d’origine ?
Après les sommets de Copenhague (2009) et de Cancún (2010), le thème du changement climatique et de la réduction des gaz à effet de serre est rangé au rayon des préoccupations accessoires. Quant aux sommets de la Terre, qui ont lieu tous les dix ans, celui de Stockholm, en 1972, avait suscité l’espoir d’une action concertée pour protéger la planète ; celui de Nairobi, en 1982, a constaté l’échec complet de la « communauté internationale », et ceux de Rio en 1992 et Johannesburg en 2002 ont salué la récupération de l’écologie par les multinationales. A n’en pas douter, un concert de louanges adressées au capitalisme « vert » rythmera l’édition 2012, laquelle sera à nouveau accueillie par le Brésil.
Pourtant, des trésors oubliés dorment dans les archives de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ainsi, la déclaration la plus radicale sur l’environnement issue de cette institution est gommée de l’histoire officielle. Rédigée en octobre 1974 dans la ville mexicaine de Cocoyoc, elle dessinait les contours d’un nouvel ordre international aux antipodes de celui qui nous est imposé actuellement.
Tout commence en 1971 dans la ville suisse de Founex, près de Genève, où l’ONU réunit des personnalités chargées de préparer le sommet de la Terre de Stockholm : venus de pays du Nord et du Sud, ces experts sont sélectionnés pour leurs compétences en matière d’environnement, d’économie, de sciences sociales, de développement. Ils ne disposent d’aucun mandat de leur gouvernement et produisent un rapport non officiel, qui permettra pourtant d’orienter les négociations entre Etats.
Le « rapport Founex », synthèse des premiers travaux, estime que « la pauvreté est la pire des pollutions » et qu’il faut la combattre en priorité. Influencés par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt), les membres du « groupe Founex » défendent le droit à l’industrialisation des pays pauvres et pensent que le libre-échange est une bonne stratégie pour y parvenir. Quelques mois plus tard, le sommet de Stockholm puise dans ces réflexions. Les Etats concluent qu’il faut articuler les questions d’écologie avec les problèmes de développement et posent les bases d’un droit international de l’environnement, tout en prenant soin de confirmer le bien-fondé du libre-échange. Mécontents de ce compromis, certains pays du Sud réclament l’instauration d’un « nouvel ordre économique international » pour mettre un terme à l’hégémonie des puissances occidentales.
Objecteurs de croissance avant la lettre
Du 8 au 12 octobre 1974, un nouveau colloque de l’ONU réunit à Cocoyoc des experts internationaux pour débattre « de l’utilisation des ressources, de l’environnement et des stratégies de développement ». L’événement est coordonné par l’homme d’affaires canadien Maurice Strong, directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), et par l’économiste et diplomate sri-lankais Gamani Corea, secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Du côté des rapporteurs, on trouve Barbara Ward — une économiste britannique — pour les questions de ressources naturelles et Johan Galtung — un politologue et sociologue norvégien ouvertement anticapitaliste et antiaméricain — pour les questions de développement.
Parmi les intellectuels rassemblés à Cocoyoc, beaucoup affichent un penchant pour le socialisme. Corea fait partie, en tant que secrétaire permanent au ministère de la planification et des affaires économiques du Sri Lanka, d’un gouvernement qui nationalise les compagnies pétrolières, les banques, les assurances, les écoles... et se rapproche du bloc communiste. La coprésidence de la réunion mexicaine échoit à deux personnalités issues de pays en développement. Le premier, le docteur Wilbert K. Chagula, est ministre des affaires économiques et de la planification du développement de la Tanzanie, présidée par l’ancien instituteur Julius Nyerere — lequel, à partir de 1967, nationalise les principales industries et les sociétés de services, augmente les impôts pour financer des politiques sociales et lance une grande réforme agraire. Le second, Rodolfo Stavenhagen, un sociologue mexicain, chef du projet de recherche sur la réforme agraire dans son pays, a orienté ses travaux sur la lutte des classes dans le monde agricole.
Le Mexique, justement, qui accueille la conférence, est présidé depuis 1970 par M. Luis Echeverría Alvarez, qui nationalise les mines et l’énergie, redistribue des terres aux paysans et met en œuvre une politique sociale progressiste (bien que non révolutionnaire). Il affiche sa proximité avec le régime de Salvador Allende, au Chili, et avec Cuba (1). Le président Echeverría participe en personne au séminaire de Cocoyoc.
La déclaration finale, datée du 23 octobre 1974, est un réquisitoire contre les politiques occidentales. Son premier paragraphe souligne l’échec des Nations unies, dont la Charte, élaborée en 1945, a produit un ordre international injuste. « Les affamés, les sans-abri et les illettrés sont plus nombreux aujourd’hui que lorsque les Nations unies ont été créées. » Les rapports de forces issus de « cinq siècles de contrôle colonial qui ont massivement concentré le pouvoir économique entre les mains d’un petit groupe de nations » n’ont pas été modifiés. Pour les rapporteurs, le problème n’est pas lié à un manque de richesses produites, mais à leur « mauvaise répartition et [à leur] mauvais usage ».
Dans un registre que ne renieraient pas les objecteurs de croissance des années 2000, la déclaration de Cocoyoc remet ouvertement en cause la dictature de l’augmentation du produit intérieur brut : « Un processus de croissance qui bénéficie seulement à une très petite minorité et qui maintient ou accroît les disparités entre pays et à l’intérieur des pays n’est pas du développement. C’est de l’exploitation. (...) Par conséquent, nous rejetons l’idée de la croissance d’abord et d’une juste répartition des bénéfices ensuite. »
Le modèle de développement défendu à Cocoyoc ne se focalise pas sur les questions économiques. Il met en avant l’importance des modes de vie, des valeurs, de l’émancipation des peuples, des droits individuels et collectifs. Il inclut « le droit de travailler, ce qui ne signifie pas seulement le droit d’avoir un travail, mais celui d’y trouver un accomplissement personnel, le droit de ne pas être aliéné à travers des procédés de production qui utilisent les hommes comme des outils ».
Les mythes de l’économie de marché sont balayés. « Les solutions à ces problèmes ne peuvent pas provenir de l’autorégulation par les mécanismes de marché, y lit-on. Les marchés classiques donnent un accès aux ressources à ceux qui peuvent payer plutôt qu’à ceux qui en ont besoin ; ils stimulent une demande artificielle et génèrent des déchets dans le processus de production. Certaines ressources sont même sous-utilisées. »
A rebours des discours dominants du Gatt, on impute la dégradation de l’environnement aux relations économiques inéquitables et au prix dérisoire des matières premières sur les marchés. Les experts pensent que les pays du Sud doivent créer des alliances sur le modèle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) afin d’exiger des prix décents pour toutes les matières premières. En parallèle, ils recommandent de mettre en place une gestion internationale des « biens communs » (lire « Rendre inaliénables les biens communs »), grâce à l’édification d’un système juridique solide. L’objectif est de permettre l’autonomie des nations sans tomber dans l’autarcie. Pour y parvenir, les rapporteurs ne réclament pas une « aide » des pays riches, mais que ceux-ci payent au juste prix les matières premières.
Favoriser l’indépendance économique
Au lieu de culpabiliser l’individu — registre en vogue ces dernières années —, la déclaration de Cocoyoc affirme que « chacun a le droit de comprendre pleinement la nature du système dont il fait partie comme producteur, consommateur, et surtout comme l’un des milliards d’habitants de la planète. Il a le droit de savoir qui tire les bénéfices de son travail, qui tire les bénéfices de ce qu’il achète et vend, et la façon dont cela enrichit ou dégrade l’héritage planétaire ». L’éducation à l’environnement doit trouver sa place dans un projet éducatif plus large, qui ne gomme pas les rapports de domination mais, à l’inverse, les explicite.
Enfin, contrairement au « rapport Founex » préparatoire à la conférence de Stockholm, qui défendait le libre-échange et le rôle d’arbitre commercial tenu par le Gatt, la déclaration de Cocoyoc affirme la place centrale des Nations unies et du principe « un pays, une voix ». « Nous croyons fermement que, puisque les sujets du développement, de l’environnement et de l’utilisation des ressources sont des problèmes globaux essentiels et qui concernent le bien-être de toute l’humanité, les gouvernements devraient utiliser pleinement les mécanismes des Nations unies pour les résoudre et que le système des Nations unies devrait être rénové et renforcé pour faire face à ses nouvelles responsabilités. »
La déclaration de Cocoyoc impressionne par les perspectives politiques qu’elle dessine. Elle définit le sous-développement non comme un « retard » de développement, mais comme le produit du développement des pays riches. L’expansion du capitalisme passe en effet par la mainmise des multinationales sur les matières premières des pays du Sud, de sorte qu’il y aura toujours des exploiteurs et des exploités. C’est l’économie de marché qui est contestée et, en creux, le libre-échange. L’appel à la rupture ne souffre aucune ambiguïté. Il ne s’agit pas simplement d’aménager le système, mais d’en sortir : « L’autonomie au niveau national implique aussi un détachement temporaire du système économique actuel. Il est impossible de développer l’autonomie au travers de la participation pleine et entière à un système qui perpétue la dépendance économique. » Ainsi les Etats doivent-ils, selon la déclaration, refuser la soumission à une dépendance extérieure, organiser une autonomie collective et coopérer, notamment pour gérer les biens communs.
La déclaration lance donc un appel à la construction d’un socialisme écologique par des Etats souverains, dans une perspective internationaliste. Avec humour, les auteurs vont jusqu’à proposer d’offrir leurs services aux pays riches pour les aider à sortir de leur surconsommation et de leur mal-vivre. « Cela ne sert à rien de produire et de consommer de plus en plus s’il en résulte une augmentation de la prise d’antidépresseurs et des séjours en hôpital psychiatrique », soulignent-ils.
Immédiatement après la publication du texte, les présidents de la conférence reçoivent un long télégramme du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, qui rejette l’intégralité de la déclaration. Les grandes puissances économiques vont reprendre les choses en main, et la crise économique de 1973 offrira l’occasion de rediscipliner ou de marginaliser des Etats trop critiques, lesquels s’enfoncent dans la misère en voyant le prix de leurs importations grimper en flèche. Pour la suite des négociations sur le « nouvel ordre économique international », les pays riches multiplient les lieux de discussions pour diluer l’influence de l’ONU, où le Sud est majoritaire. En décembre 1975, la conférence sur la coopération économique internationale qui se tient à Paris ne réunit que vingt-sept Etats : huit pays riches, les principaux membres de l’Opep, mais aucun des pays qui contestent les fondements du capitalisme ou la division internationale du travail — laquelle n’a pas encore trouvé son nom de « mondialisation ». Certains grands pays du Sud font le jeu des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon en revendiquant une plus grande place dans l’économie mondiale, sans pour autant vouloir en changer les règles.
Des prescriptions oubliées
Ainsi, malgré la signature d’un traité d’amitié, de paix et de coopération avec l’Union soviétique le 9 août 1971, l’Inde dirigée par Indira Gandhi poursuit une politique économique ambiguë, sorte de « troisième voie » entre le socialisme et le capitalisme ; au Brésil, la dictature militaire en place obtient un taux de croissance record grâce à un afflux de capitaux occidentaux. Au début des années 1980, la contre-révolution néolibérale emporte définitivement ce qu’il restait des revendications de Cocoyoc.
Aujourd’hui, une recherche sur le site des Nations unies ne donne accès qu’à quelques lignes évoquant le symposium d’octobre 1974. On y trouve une courte citation de la déclaration finale : « La voie à suivre ne passe pas par le désespoir, par la fin du monde, ou par un optimisme béat devant les solutions technologiques successives. Elle passe au contraire par une appréciation méticuleuse, sans passion, des “limites extérieures” [la préservation d’un environnement équilibré], par une recherche collective des moyens d’atteindre les “limites intérieures” des droits fondamentaux [la satisfaction des besoins humains fondamentaux], par l’édification de structures sociales exprimant ces droits et par tout le patient travail consistant à élaborer des techniques et des styles de développement qui améliorent et préservent notre patrimoine planétaire. » Pouvait-on évoquer les travaux de Cocoyoc tout en effaçant de façon aussi systématique la subversion et les perspectives politiques du texte d’origine ?
Aurélien Bernier
Auteur de Désobéissons à l’Union européenne !, Mille et une nuits, Paris, 2011.
(1) On découvrira plus tard sa proximité avec la Central Intelligence Agency (CIA). Lire Jean-François Boyer, « Et le Mexique cessa d’être indépendant », Le Monde diplomatique, mars 2011.
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