Par Philippe Leymarie
05/04/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English The treaty limits on weapons
[2] « L’ONU adopte le premier traité sur le commerce des armes conventionnelles », Elisabeth Guedel, RFI, 2 avril 2013.
[3] Les transferts sous forme de dons, prêts ou aides militaires ne sont pas couverts par le traité.
05/04/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English The treaty limits on weapons
Les pays exportateurs sauvent leur peau
Certes moins romanesque que les mensonges « les yeux dans les yeux » de l’ex-ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, mais plus réjouissant : l’adoption mardi soir, par l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, d’un premier traité sur le commerce international des armes dites classiques ou conventionnelles. Aux termes de ce texte, qui était en discussion depuis sept ans, chaque pays devra désormais évaluer, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre un génocide ou des « violations graves » des droits humains, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels.
Certes moins romanesque que les mensonges « les yeux dans les yeux » de l’ex-ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, mais plus réjouissant : l’adoption mardi soir, par l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, d’un premier traité sur le commerce international des armes dites classiques ou conventionnelles. Aux termes de ce texte, qui était en discussion depuis sept ans, chaque pays devra désormais évaluer, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre un génocide ou des « violations graves » des droits humains, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels.
En dépit des cris de victoire du secrétaire général de l’ONU M. Ban Ki Moon qui évoque « un succès diplomatique historique » supposé donner « un nouvel élan bienvenu à d’autres efforts de désarmement », l’adoption du traité n’est qu’un commencement :
Le texte, adopté par cent cinquante-quatre voix pour, trois contre et vingt-trois abstentions, doit à présent être signé et ratifié par chacun des pays : il n’entrera en vigueur qu’à la cinquantième ratification, ce qui pourrait prendre encore plusieurs années.
Le consensus général des cent quatre-vingt-treize pays-membres de l’ONU n’a pu être obtenu en raison de l’opposition résolue de trois Etats, à savoir la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran. C’est pourquoi il a été décidé d’en passer par un vote à l’Assemblée, où il suffisait de réunir les deux tiers des voix, ce qui — politiquement — est cependant moins fort qu’une adoption par consensus.
Parmi les vingt-trois pays qui se sont abstenus, il y a surtout des pays émergents, dont certains des principaux exportateurs (Russie, Chine) et acheteurs de ces armes (Egypte, Inde, Indonésie).
Explicitement, le texte ne fait pas référence aux livraisons d’armes à des « acteurs non-étatiques » (tels que les rebelles en Tchétchénie ou en Syrie), qui est la raison invoquée par Damas pour voter contre, ou encore par la Russie pour s’abstenir.
L’Inde, un des principaux acheteurs d’armes actuels, considère par ailleurs ce traité comme « déséquilibré », car privilégiant les exportateurs au détriment des importateurs, et permettant aux premiers d’annuler unilatéralement des contrats de livraison d’armes sur la base de soupçons souvent invérifiables.
Le gouvernement américain a finalement voté en faveur de la résolution ouvrant le traité à la signature. Pour autant, cela ne garantit pas que le Congrès ratifiera le texte, en dépit de la satisfaction exprimée par le secrétaire d’Etat John Kerry pour qui l’accord « n’empiète pas sur la Constitution américaine » (qui garantit à tous citoyens américains le droit de posséder une arme, y compris de guerre).
En outre, l’annonce par la France et le Royaume-Uni, à la mi-mars, de leur intention de fournir des armes aux rebelles syriens — quitte à violer l’embargo imposé par l’Union européenne — ne pouvait pas plus mal tomber, à l’heure où les délégués aux Nations-unies entamaient leur dernier round de négociations sur ce projet d’accord.
Une écrasante majorité d’Etats a voté « pour », bien au-delà des deux tiers nécessaires.
La majorité des armements, y compris « lourds », entre dans son champ d’application, qui s’étend du fusil d’assaut aux avions et navires de guerre, en passant par les missiles, les chars, etc.
Les volumes de transactions concernés sont considérables : les estimations vont de 70 à 80, voire 100 milliards de dollars chaque année, avec une augmentation globale de 17 % des transferts internationaux d’armes conventionnelles sur la dernière décennie, selon les données communiquées il y a quelques jours par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Selon Louis Belanger (Oxfam), l’un des porte-parole de la coalition Control Arms, « c’est une grande victoire face aux dictatures et aux gens qui utilisent les armes pour brimer les droits humains : cent cinquante-quatre gouvernements sont pour, on ne peut pas envoyer un message plus fort que cela… On n’a pas de traité en ce moment, ni de loi internationale qui réglemente le commerce des armes, alors que l’on a des règles sur les voitures, sur les vêtements… [2] »
Anna MacDonald, en charge de la thématique des armes à Oxfam, se réjouit que « depuis les rues d’Amérique latine jusqu’aux camps de déplacés à l’Est du Congo, en passant par les vallées d’Afghanistan, les communautés vivant dans la peur des attaques rendues possibles par un commerce des armes non régulé puissent maintenant croire en un avenir plus sûr ».
La négociation a donné lieu à des compromis dangereux, selon Nicolas Vercken, d’Oxfam France : « Au-delà de ses belles déclarations en faveur du respect des droits humains et d’une transparence accrue, la France n’a eu de cesse de poursuivre son véritable objectif : aboutir à un traité que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pourraient éventuellement signer, comme le souhaitaient les lobbies industriels. Cette posture dans les négociations a eu un prix, celui d’ambiguïtés et de compromis potentiellement dangereux, notamment sur le contrôle des munitions, la possibilité de déroger au respect des droits humains et du droit international humanitaire, ou encore la possibilité de contourner les obligations du traité dans le cadre d’accords de coopération et de défense [3]. »
« Certes, le traité, en son article 6, rappelle l’interdiction d’autoriser tout transfert qui violerait un embargo ou contreviendrait aux obligations découlant des accords internationaux dont l’Etat exportateur est signataire. Mais en demandant l’interdiction des transferts d’armes seulement “s’il existe un risque prépondérant” d’utilisation— portant atteinte à la paix et à la sécurité ou pouvant servir à commettre des violations du droit international humanitaire et des droits humains et autres infractions aux regard des conventions internationales —, le traité ouvre la porte à des interprétations sans contrôle possible. Les Etats pourront toujours se targuer du droit à la légitime défense, reconnu dans l’article 51 de la Charte des Nations unies, voire même du risque terroriste, pour justifier telle ou telle exportation de système d’armement.
De fait, les auteurs du traité restent au milieu du gué en focalisant sur les trafics illicites plutôt qu’en limitant fortement le commerce “légal”, répondant ainsi au souhait des principaux Etats exportateurs, pour qui, l’objectif prioritaire était de limiter la concurrence déloyale, en imposant une réglementation plus stricte aux concurrents du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie. Mais certainement pas de diminuer leurs flux d’armes colossaux qui contribuent à alimenter les conflits et l’instabilité croissante de nos sociétés. De même, l’absence de référence, dans les critères d’évaluation avant tout transfert, au développement des droits économiques et sociaux que cet achat d’arme viendrait contrecarrer, est une grave entorse à cette “règle d’or” exigée par la coalition “Contrôlez les armes”. Et sur plusieurs autres points — comme, par exemple, l’absence d’obligation de transparence ou l’exclusion des accords de coopération entre deux Etats du champ d’application —, le traité n’est pas à la hauteur des enjeux. »
Le texte, adopté par cent cinquante-quatre voix pour, trois contre et vingt-trois abstentions, doit à présent être signé et ratifié par chacun des pays : il n’entrera en vigueur qu’à la cinquantième ratification, ce qui pourrait prendre encore plusieurs années.
Le consensus général des cent quatre-vingt-treize pays-membres de l’ONU n’a pu être obtenu en raison de l’opposition résolue de trois Etats, à savoir la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran. C’est pourquoi il a été décidé d’en passer par un vote à l’Assemblée, où il suffisait de réunir les deux tiers des voix, ce qui — politiquement — est cependant moins fort qu’une adoption par consensus.
Parmi les vingt-trois pays qui se sont abstenus, il y a surtout des pays émergents, dont certains des principaux exportateurs (Russie, Chine) et acheteurs de ces armes (Egypte, Inde, Indonésie).
Acteurs non-étatiques
Le traité, même s’il concerne une large palette d’armements, exclut les équipements destinés aux forces de l’ordre, les transports de troupes (même blindés), les drones, une partie des munitions et pièces.
Explicitement, le texte ne fait pas référence aux livraisons d’armes à des « acteurs non-étatiques » (tels que les rebelles en Tchétchénie ou en Syrie), qui est la raison invoquée par Damas pour voter contre, ou encore par la Russie pour s’abstenir.
L’Inde, un des principaux acheteurs d’armes actuels, considère par ailleurs ce traité comme « déséquilibré », car privilégiant les exportateurs au détriment des importateurs, et permettant aux premiers d’annuler unilatéralement des contrats de livraison d’armes sur la base de soupçons souvent invérifiables.
Mauvais signal
Les Etats-Unis, traditionnellement réticents à tout ce qui peut entraver un commerce des armes dont ils restent les champions dans le monde [1], ont obtenu que les munitions (dont ils produisent la moitié des volumes vendus dans le monde) bénéficient de contrôles moins stricts.
Le gouvernement américain a finalement voté en faveur de la résolution ouvrant le traité à la signature. Pour autant, cela ne garantit pas que le Congrès ratifiera le texte, en dépit de la satisfaction exprimée par le secrétaire d’Etat John Kerry pour qui l’accord « n’empiète pas sur la Constitution américaine » (qui garantit à tous citoyens américains le droit de posséder une arme, y compris de guerre).
En outre, l’annonce par la France et le Royaume-Uni, à la mi-mars, de leur intention de fournir des armes aux rebelles syriens — quitte à violer l’embargo imposé par l’Union européenne — ne pouvait pas plus mal tomber, à l’heure où les délégués aux Nations-unies entamaient leur dernier round de négociations sur ce projet d’accord.
Volumes considérables
Les organisations non-gouvernementales (ONG), qui se sont battues depuis une quinzaine d’années pour obtenir l’examen et l’adoption de ce traité, préfèrent insister sur les progrès réalisés, même si elles relèvent des ambiguïtés :
Une écrasante majorité d’Etats a voté « pour », bien au-delà des deux tiers nécessaires.
La majorité des armements, y compris « lourds », entre dans son champ d’application, qui s’étend du fusil d’assaut aux avions et navires de guerre, en passant par les missiles, les chars, etc.
Les volumes de transactions concernés sont considérables : les estimations vont de 70 à 80, voire 100 milliards de dollars chaque année, avec une augmentation globale de 17 % des transferts internationaux d’armes conventionnelles sur la dernière décennie, selon les données communiquées il y a quelques jours par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Selon Louis Belanger (Oxfam), l’un des porte-parole de la coalition Control Arms, « c’est une grande victoire face aux dictatures et aux gens qui utilisent les armes pour brimer les droits humains : cent cinquante-quatre gouvernements sont pour, on ne peut pas envoyer un message plus fort que cela… On n’a pas de traité en ce moment, ni de loi internationale qui réglemente le commerce des armes, alors que l’on a des règles sur les voitures, sur les vêtements… [2] »
Anna MacDonald, en charge de la thématique des armes à Oxfam, se réjouit que « depuis les rues d’Amérique latine jusqu’aux camps de déplacés à l’Est du Congo, en passant par les vallées d’Afghanistan, les communautés vivant dans la peur des attaques rendues possibles par un commerce des armes non régulé puissent maintenant croire en un avenir plus sûr ».
Lobbies industriels
Cependant, des bémols conséquents sont à souligner, exprimés par les mêmes ONG :
La négociation a donné lieu à des compromis dangereux, selon Nicolas Vercken, d’Oxfam France : « Au-delà de ses belles déclarations en faveur du respect des droits humains et d’une transparence accrue, la France n’a eu de cesse de poursuivre son véritable objectif : aboutir à un traité que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pourraient éventuellement signer, comme le souhaitaient les lobbies industriels. Cette posture dans les négociations a eu un prix, celui d’ambiguïtés et de compromis potentiellement dangereux, notamment sur le contrôle des munitions, la possibilité de déroger au respect des droits humains et du droit international humanitaire, ou encore la possibilité de contourner les obligations du traité dans le cadre d’accords de coopération et de défense [3]. »
Au milieu du gué
Selon le directeur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret, également membre de la coalition « Contrôlez les armes », les ambitions contradictoires du traité en marquent les limites :
« Certes, le traité, en son article 6, rappelle l’interdiction d’autoriser tout transfert qui violerait un embargo ou contreviendrait aux obligations découlant des accords internationaux dont l’Etat exportateur est signataire. Mais en demandant l’interdiction des transferts d’armes seulement “s’il existe un risque prépondérant” d’utilisation— portant atteinte à la paix et à la sécurité ou pouvant servir à commettre des violations du droit international humanitaire et des droits humains et autres infractions aux regard des conventions internationales —, le traité ouvre la porte à des interprétations sans contrôle possible. Les Etats pourront toujours se targuer du droit à la légitime défense, reconnu dans l’article 51 de la Charte des Nations unies, voire même du risque terroriste, pour justifier telle ou telle exportation de système d’armement.
De fait, les auteurs du traité restent au milieu du gué en focalisant sur les trafics illicites plutôt qu’en limitant fortement le commerce “légal”, répondant ainsi au souhait des principaux Etats exportateurs, pour qui, l’objectif prioritaire était de limiter la concurrence déloyale, en imposant une réglementation plus stricte aux concurrents du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie. Mais certainement pas de diminuer leurs flux d’armes colossaux qui contribuent à alimenter les conflits et l’instabilité croissante de nos sociétés. De même, l’absence de référence, dans les critères d’évaluation avant tout transfert, au développement des droits économiques et sociaux que cet achat d’arme viendrait contrecarrer, est une grave entorse à cette “règle d’or” exigée par la coalition “Contrôlez les armes”. Et sur plusieurs autres points — comme, par exemple, l’absence d’obligation de transparence ou l’exclusion des accords de coopération entre deux Etats du champ d’application —, le traité n’est pas à la hauteur des enjeux. »
Notes
[1] Ils en sont les principaux exportateurs (30 %), devant la Russie (26 %), l’Allemagne (7 %), la France (6 %), et la Chine (5 %) — ce dernier pays déclassant, pour la première fois depuis 1950, le Royaume-Uni qui figurait constamment parmi les cinq premiers mondiaux.
[2] « L’ONU adopte le premier traité sur le commerce des armes conventionnelles », Elisabeth Guedel, RFI, 2 avril 2013.
[3] Les transferts sous forme de dons, prêts ou aides militaires ne sont pas couverts par le traité.
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