Par Martine Bulard
01/03/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English Marketing operation for Xi Jinping
[2] Elle comprend des membres du PCC (40 %) des huit « partis démocratiques » officiellement reconnus (parmi lesquels le Comité révolutionnaire du Guomindang de Chine, la Ligue démocratique de Chine, l’Association pour la construction démocratique de la Chine, l’Association chinoise pour la Démocratie, le Parti démocratique paysan et ouvrier de Chine, la Ligue pour l’Autonomie démocratique de Taiwan...), des personnalités sans parti.
[3] China daily, Pékin, 6 février 2013.
[4] Lire Stephanie Kleine-Ahlbrandt, « Guerre des nationalismes en mer de Chine, Le Monde diplomatique, novembre 2012.
01/03/2013
Source : http://blog.mondediplo.net
English Marketing operation for Xi Jinping
On ne
peut pas dire que M. Xi Jinping soit resté inactif entre le 14 novembre,
où il a été porté à la tête du parti communiste chinois (PCC), et le
10 mars, où il est officiellement nommé président de la République, lors
de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP) [1],.
Il a multiplié les voyages en province et les discours sur les sujets
les plus divers : pauvreté en zones rurales, inégalités, droits des
migrants, corruption, justice, éthique des communistes, pollution, sans
oublier les questions militaires...
Le nouveau leader s’est ainsi attaché à sculpter une image d’homme populaire, simple et volontariste. Il était jusqu’alors peu connu du grand public, à la différence de sa femme Peng Liyuan (49 ans), chanteuse de l’Armée populaire de libération (APL), vedette régulière des galas du nouvel an chinois à la télévision officielle. Célèbre dans tout le pays, elle lui apporte d’emblée une touche glamour, plutôt inattendue chez les dirigeants chinois. Mais il lui en faut plus.
M. Xi Jinping a donc pris son bâton de pèlerin, calculé chacune de ses sorties, joué des caméras, manié les symboles. Son premier déplacement s’est effectué dans le sud du pays, réputé pour son dynamisme et son innovation — à la manière de Deng Xiaoping, qui avait lancé les réformes et ouvert le pays lors d’un périple dans la région, à la fin des années 1970. En se mettant délibérément dans les pas de ce dernier, le secrétaire général du PCC entend montrer sa volonté « d’approfondir les réformes », comme il l’a déclaré, sans toutefois en préciser les contours. Il s’est ensuite rendu auprès des militaires affirmant haut et fort sa volonté de prêter attention à l’armée et lui fixer un cap clair. Pour son troisième voyage ultra médiatisé, il s’est rendu dans un village rural du Hebei, l’une des provinces les plus pauvres du pays. Enfin, en plein nouvel an chinois, il a rendu hommage aux migrants (mingongs), ces ruraux venus travailler dans les villes se pliant à des conditions de travail et de vie souvent très difficiles.
Rompu au marketing, il a fait nommer des personnalités très populaires à la Conférence consultative politique du peuple chinois qui compte 2 337 membres [2] et qui se réunit un jour avant l’ANP : le prix Nobel de littérature Mo Yan ; l’ancien joueur de basket de la NBA Yao Ming ; l’acteur Jackie Chan... Succès assuré. Mais le rôle de la docte Conférence sera-t-il valorisé pour autant ? Rien n’est moins sûr.
L’ANP entérine également la constitution du gouvernement dirigé par M. Li Keqiang, vice premier ministre exécutif dans le précédent. De toute évidence, la nouvelle équipe a du pain sur la planche. Les dossiers à traiter d’urgence sont nombreux.
Corruption. Il s’agit là de l’une des questions les plus sensibles. M. Xi ne prend pas de gants pour souligner l’urgence d’un plan d’attaque, parlant du « combat du tigre et des mouches » : « les problèmes de corruption, a t-il déclaré, mettent un mur entre notre parti et le peuple, et nous allons perdre nos racines, notre force vitale et notre force tout court ». [Xinhua, 11 janvier]
Depuis le Congrès, plusieurs responsables ont été mis sur la touche : le secrétaire adjoint de la province du Sichuan, qui avait été propulsé au Comité central du PCC, a été démis de ses fonctions pour avoir fricoté avec le groupe Borui (hôtellerie, pharmacie, construction...) et empoché de sérieuses commissions. Le cas n’est pas unique. La traque, souvent menée avec l’aide des réseaux sociaux, est prise au sérieux par les fonctionnaires et les cadres communistes. La presse officielle et les microblogs regorgent d’exemples de biens immobiliers soudainement vendus, de voitures officielles un peu moins luxueuses...
A la veille du nouvel an, période de fêtes dans tout le pays, M. Xi a appelé les responsables à modérer leurs dépenses et à faire preuve de « frugalité ». Appel immédiatement compris comme une directive politique et des « millions de repas d’affaires [dans les restaurants de luxe] ont été annulés » si l’on en croit le quotidien hongkongais South China Morning Post (9 février). Toujours sous l’œil des internautes. Le (futur) président de la République semble déterminé à entreprendre un grand nettoyage, sans pour autant remettre en cause bien des positions acquises, y compris au plus haut niveau de l’Etat. A la veille du Congrès, il avait été envisagé que les dirigeants nationaux et provinciaux déclarent leurs revenus et leur patrimoine au début de leur mandat. La proposition a été enterrée... Faut-il y voir un signe prémonitoire ?
Inégalités. C’est le deuxième gros dossier de la nouvelle équipe. Lors de son déplacement dans le village rural du Hebei, M. Xi est passé de maison en maison, a mangé une pomme de terre cuite au feu de bois, tandis que les caméras de la télévision s’attardaient sur le délabrement des maisons, la misère des habitants. Quelques jours plus tard, ses rencontres avec les paysans et les migrants de Lanzhou au Gansu ont été sous le feu des projecteurs. « Il faut, a-t-il dit alors, que les dirigeants passent plus de temps avec les populations afin de mieux comprendre leurs problèmes et de travailler résolument à développer les régions restées à l’écart. [3] »
En tout cas, pour la première fois depuis dix ans, l’agence officielle Xinhua a publié le dernier indice de Gini (de mesure des inégalités) qui frôle les 0,5 — soit l’un des plus hauts du monde. Dans la foulée, le gouvernement sortant a dévoilé les trente-cinq points d’une future réforme pour « une nouvelle redistribution des revenus » : hausse du salaire minimum devant représenter 40 % du salaire moyen, augmentation des traitements des fonctionnaires du bas de l’échelle dans les zones rurales, hausse des dépenses publiques pour l’éducation et la santé... Le calendrier de la mise en œuvre n’a pas encore été fixé. Mais la nouvelle équipe ne pourra pas différer trop longtemps les initiatives, tant le mécontentement est grand et le risque d’explosion sociale prégnant.
Droits des migrants. Ils sont plus de 253 millions dans tout le pays. Or en Chine, les droits sociaux (faibles mais néanmoins essentiels) sont attachés au lieu de naissance, notés sur un houku (sorte de passeport intérieur) et non au lieu de vie. Les migrants n’ont donc pas les mêmes avantages que les urbains notamment pour le logement, la santé, l’inscription des enfants à l’école. Si la première génération, trop heureuse d’avoir un travail et portée par l’espoir de rentrer un jour au village, a accepté la situation, il n’en va pas de même pour la seconde. Plus éduquée, plus sûre d’elle-même et apte à faire jouer la concurrence entre les entreprises à la recherche de main-d’œuvre, elle s’avère plus revendicative. Du côté du patronat, le besoin d’un personnel plus qualifié le pousse à essayer de fidéliser les salariés. Cela pourrait se traduire par une égalisation des droits et une réforme en profondeur du houku, qui pour les riches et pour certains cadres qualifiés n’existe déjà plus.
- Pollution. L’épais brouillard qui s’est abattu sur Pékin a révélé l’ampleur de la dégradation. Il suffit d’avoir expérimenté un voyage en voiture au-delà du cinquième périphérique pour comprendre que la saturation menace, malgré les restrictions de circulation. Les usines polluantes autour de la capitale et le chauffage au charbon (pourtant interdit dans Pékin) ont fait le reste. Moins spectaculaires, la contamination et la raréfaction de l’eau entraînent également des conséquences humaines désastreuses. L’ancienne équipe avait commencé à s’attaquer à la tâche, avec notamment la fermeture de certaines unités de production, la construction de transports en commun, le financement de recherche sur le moteur électrique et les nouveaux matériaux... . Mais lentement. Trop lentement. Celle-ci ira-t-elle plus vite ? Impossible de répondre. En revanche, elle a reconnu publiquement le problème en faisant publier la liste de quatre cents « villages cancer », où la maladie s’est propagée et la mortalité envolée. Des analyses de terres y sont lancées. Des taxes pénalisant l’émission de carbone sont dans les tuyaux.
- Réforme politique. Pas encore président, M. Xi a déjà insisté à plusieurs reprises sur les bienfaits d’une justice qui protége les faibles contre les forts : « Le contrôle de l’application de la loi devrait être renforcé, toute ingérence [des pouvoirs] illégale éliminée, tout protectionnisme local et départemental empêché, et toute corruption pénalisée. » (« Xi stresses judicial indenpdance », Xinhua, 24 février). Et d’émailler son discours de référence à l’« Etat de droit » — expression jusqu’alors quasiment jamais utilisée par les dirigeants. S’il insiste sur l’indépendance de la justice, il l’assortit d’un « aux caractéristiques chinoises », dont les contours restent encore flous. La séparation de la justice et de l’Etat ne semble pas à l’ordre du jour. Toutefois, la fermeture des camps de travail, toujours si sombrement actifs, a été annoncée. Ce qui peut augurer d’un réel tournant.
Dans le domaine strictement politique, on perçoit peu de signes d’ouverture, si ce n’est une volonté de placer les dirigeants sous la vigie des citoyens et des internautes... Au moins tant que cela n’entrave pas les objectifs du pouvoir. Hier absente, l’opinion publique commence à peser, à l’instar de la campagne contre la corruption locale ou contre la pollution (Lire Cholé Froissart, « Visage de la démocratisation chinoise », blog Planète Asie du Monde diplomatique, 12 décembre 2012.). Pour le PCC, l’avantage est double : prendre le pouls de la population afin d’éviter les débordements incontrôlés et rester maître du jeu, puisque la censure peut s’abattre à tout moment.
Toutefois, un début de progrès démocratique pourrait voir le jour dans les très grandes entreprises, marquées par un flot continu de grèves et par le discrédit du syndicat maison. Foxconn, le sous-traitant d’Apple et premier employeur privé de Chine, a annoncé haut et fort dans la presse anglo-saxonne, qu’il organiserait des élections « libres » dans ses usines (Lire « Foxconn plans Chinese Union vote », Financial Times, 3 février 2013, ). Sans doute cherche-t-il avant tout à calmer les consommateurs occidentaux qui mettent en cause ses méthodes archaïques et inhumaines d’exploitation des ouvriers. Mais, cela reflète également le rejet par les salariés du syndicat unique — la Fédération des syndicats de toute la Chine (All-China Federation of Trade Unions, ACFTU), véritable émanation du Parti communiste — qui choisit les représentants des travailleurs en coopération avec les directions d’entreprises (publiques ou privées). Chez Foxconn, le dirigeant syndical qui s’appelle Chen Peng n’est autre que l’ancien directeur de cabinet du grand patron du groupe taïwanais Terry Gou... Inutile de dire qu’il était peu revendicatif. _A la veille du Congrès, le dirigeant communiste du Guangdong Wang Yang promettait d’organiser de telles élections dans trois cents grandes entreprises de la province, conscient qu’il valait mieux avoir de vrais interlocuteurs pour négocier que d’être contraints d’éteindre des incendies. Il espérait alors bénéficier d’une promotion au sein du PCC ; il est resté à la porte. M. Xi le laissera-t-il expérimenter cette démarche pour éventuellement en tirer des leçons plus générales ?
Mer de Chine. La fin de règne du président Hu Jintao a été marquée par la multiplication des incidents, notamment avec les Philippines autour du récif de Scarborough [4], mais aussi avec le Vietnam autour des îles Spratleys et avec le Japon à propos des îles Senkaku/ Diaoyou. L’affirmation de la puissance maritime chinoise, tout comme la montée des nationalismes de part et d’autre, ont ravivé les querelles régionales, largement attisées par les Etats-Unis qui cherchent à contenir le rôle de Pékin en Asie. Longtemps discret, M. Xi a fini par mettre en garde Washington contre toute intervention dans ce que Pékin considère comme des problèmes bilatéraux.
Devant l’armée, il a tenu un discours aussi musclé qu’étonnant autour de ce qu’il nomme le « rêve chinois » de régénération du pays. « Ce rêve, a t-il précisé, peut être considéré comme le rêve d’une nation forte, et pour les militaires, c’est le rêve d’une armée forte. Nous devons atteindre le grand renouveau de la nation chinoise, et nous devons assurer l’union entre un pays prospère et une armée forte. » De quoi plaire aux nationalistes chinois dont une partie considère que l’ancien président Hu était beaucoup trop mou, face à Washington et Tokyo.
Corée du Nord. Cela fait des années que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et ses velléités nucléaires donnent des sueurs froides aux dirigeants chinois. Pékin voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une puissance nucléaire sur ses marges et redoute que Tokyo s’en serve comme prétexte pour relancer ses projets. Pour la première fois, la Chine a condamné le dernier essai nucléaire de Pyongyang et réclamé des sanctions aux côtés de Washington et de Moscou. Les pressions plus ou moins discrètes, dont les restrictions dans les livraisons de pétrole, comme l’avait indiqué le spécialiste chinois Shen Dingli dans Le Monde diplomatique dès novembre 2006, se sont avérées inefficaces. Aujourd’hui, l’entêtement nord-coréen « décrédibilise la diplomatie chinoise », explique-t-il dans Foreign Policy. Pourtant Pékin ira t-il au-delà de la simple condamnation verbale, au risque de déstabiliser son voisin réfractaire ? M. Xi est resté d’une discrétion exemplaire.
Cyberespionnage. Ces derniers mois, les relations avec les Etats-Unis se sont détériorées, en raison des condamnations verbales de l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton dans les conflits en mer de Chine et, plus récemment, à cause de l’accusation de cyberespionnage. Les révélations de Mandiant, au sujet d’une société de cybersécurité, ont mis le feu aux poudres. Une unité de l’armée chinoise, connue sous le numéro 61 398 coordonnerait l’activité de « hackers », ayant recours à 1 000 serveurs localisés dans une dizaine de pays afin de s’approprier aussi bien des données économiques que techniques ou militaires un peu partout dans le monde. Quelle est la part de vérité dans ces révélations qui fleurent bon la guerre froide ? Evidemment les dirigeants chinois démentent, faisant valoir qu’en matière de cybertechonologie, les Etats-Unis et le Pentagone n’ont rien à envier à la Chine et son armée. Le récent rapport des deux spécialistes américains Keneth Liberthal et Peter W. Singer appelle à se débarrasser des mentalités de guerre froide pour instaurer un dialogue et un code de bonne conduite (Lire « Cybersecurity ans US-China Relations », Brookings, février 2013).
Entre l’affirmation par Pékin de son émergence sur la scène mondiale et la volonté américaine de reprendre la main dans le Pacifique, les relations entre les deux premières économies mondiale connaissent un tournant. Mais aucune des deux n’a intérêt à l’affrontement. En tout cas, c’est à Moscou que M. Xi effectuera sa première sortie en tant que président de la République.
Le nouveau leader s’est ainsi attaché à sculpter une image d’homme populaire, simple et volontariste. Il était jusqu’alors peu connu du grand public, à la différence de sa femme Peng Liyuan (49 ans), chanteuse de l’Armée populaire de libération (APL), vedette régulière des galas du nouvel an chinois à la télévision officielle. Célèbre dans tout le pays, elle lui apporte d’emblée une touche glamour, plutôt inattendue chez les dirigeants chinois. Mais il lui en faut plus.
M. Xi Jinping a donc pris son bâton de pèlerin, calculé chacune de ses sorties, joué des caméras, manié les symboles. Son premier déplacement s’est effectué dans le sud du pays, réputé pour son dynamisme et son innovation — à la manière de Deng Xiaoping, qui avait lancé les réformes et ouvert le pays lors d’un périple dans la région, à la fin des années 1970. En se mettant délibérément dans les pas de ce dernier, le secrétaire général du PCC entend montrer sa volonté « d’approfondir les réformes », comme il l’a déclaré, sans toutefois en préciser les contours. Il s’est ensuite rendu auprès des militaires affirmant haut et fort sa volonté de prêter attention à l’armée et lui fixer un cap clair. Pour son troisième voyage ultra médiatisé, il s’est rendu dans un village rural du Hebei, l’une des provinces les plus pauvres du pays. Enfin, en plein nouvel an chinois, il a rendu hommage aux migrants (mingongs), ces ruraux venus travailler dans les villes se pliant à des conditions de travail et de vie souvent très difficiles.
Rompu au marketing, il a fait nommer des personnalités très populaires à la Conférence consultative politique du peuple chinois qui compte 2 337 membres [2] et qui se réunit un jour avant l’ANP : le prix Nobel de littérature Mo Yan ; l’ancien joueur de basket de la NBA Yao Ming ; l’acteur Jackie Chan... Succès assuré. Mais le rôle de la docte Conférence sera-t-il valorisé pour autant ? Rien n’est moins sûr.
L’ANP entérine également la constitution du gouvernement dirigé par M. Li Keqiang, vice premier ministre exécutif dans le précédent. De toute évidence, la nouvelle équipe a du pain sur la planche. Les dossiers à traiter d’urgence sont nombreux.
Corruption. Il s’agit là de l’une des questions les plus sensibles. M. Xi ne prend pas de gants pour souligner l’urgence d’un plan d’attaque, parlant du « combat du tigre et des mouches » : « les problèmes de corruption, a t-il déclaré, mettent un mur entre notre parti et le peuple, et nous allons perdre nos racines, notre force vitale et notre force tout court ». [Xinhua, 11 janvier]
Depuis le Congrès, plusieurs responsables ont été mis sur la touche : le secrétaire adjoint de la province du Sichuan, qui avait été propulsé au Comité central du PCC, a été démis de ses fonctions pour avoir fricoté avec le groupe Borui (hôtellerie, pharmacie, construction...) et empoché de sérieuses commissions. Le cas n’est pas unique. La traque, souvent menée avec l’aide des réseaux sociaux, est prise au sérieux par les fonctionnaires et les cadres communistes. La presse officielle et les microblogs regorgent d’exemples de biens immobiliers soudainement vendus, de voitures officielles un peu moins luxueuses...
A la veille du nouvel an, période de fêtes dans tout le pays, M. Xi a appelé les responsables à modérer leurs dépenses et à faire preuve de « frugalité ». Appel immédiatement compris comme une directive politique et des « millions de repas d’affaires [dans les restaurants de luxe] ont été annulés » si l’on en croit le quotidien hongkongais South China Morning Post (9 février). Toujours sous l’œil des internautes. Le (futur) président de la République semble déterminé à entreprendre un grand nettoyage, sans pour autant remettre en cause bien des positions acquises, y compris au plus haut niveau de l’Etat. A la veille du Congrès, il avait été envisagé que les dirigeants nationaux et provinciaux déclarent leurs revenus et leur patrimoine au début de leur mandat. La proposition a été enterrée... Faut-il y voir un signe prémonitoire ?
Inégalités. C’est le deuxième gros dossier de la nouvelle équipe. Lors de son déplacement dans le village rural du Hebei, M. Xi est passé de maison en maison, a mangé une pomme de terre cuite au feu de bois, tandis que les caméras de la télévision s’attardaient sur le délabrement des maisons, la misère des habitants. Quelques jours plus tard, ses rencontres avec les paysans et les migrants de Lanzhou au Gansu ont été sous le feu des projecteurs. « Il faut, a-t-il dit alors, que les dirigeants passent plus de temps avec les populations afin de mieux comprendre leurs problèmes et de travailler résolument à développer les régions restées à l’écart. [3] »
En tout cas, pour la première fois depuis dix ans, l’agence officielle Xinhua a publié le dernier indice de Gini (de mesure des inégalités) qui frôle les 0,5 — soit l’un des plus hauts du monde. Dans la foulée, le gouvernement sortant a dévoilé les trente-cinq points d’une future réforme pour « une nouvelle redistribution des revenus » : hausse du salaire minimum devant représenter 40 % du salaire moyen, augmentation des traitements des fonctionnaires du bas de l’échelle dans les zones rurales, hausse des dépenses publiques pour l’éducation et la santé... Le calendrier de la mise en œuvre n’a pas encore été fixé. Mais la nouvelle équipe ne pourra pas différer trop longtemps les initiatives, tant le mécontentement est grand et le risque d’explosion sociale prégnant.
Droits des migrants. Ils sont plus de 253 millions dans tout le pays. Or en Chine, les droits sociaux (faibles mais néanmoins essentiels) sont attachés au lieu de naissance, notés sur un houku (sorte de passeport intérieur) et non au lieu de vie. Les migrants n’ont donc pas les mêmes avantages que les urbains notamment pour le logement, la santé, l’inscription des enfants à l’école. Si la première génération, trop heureuse d’avoir un travail et portée par l’espoir de rentrer un jour au village, a accepté la situation, il n’en va pas de même pour la seconde. Plus éduquée, plus sûre d’elle-même et apte à faire jouer la concurrence entre les entreprises à la recherche de main-d’œuvre, elle s’avère plus revendicative. Du côté du patronat, le besoin d’un personnel plus qualifié le pousse à essayer de fidéliser les salariés. Cela pourrait se traduire par une égalisation des droits et une réforme en profondeur du houku, qui pour les riches et pour certains cadres qualifiés n’existe déjà plus.
- Pollution. L’épais brouillard qui s’est abattu sur Pékin a révélé l’ampleur de la dégradation. Il suffit d’avoir expérimenté un voyage en voiture au-delà du cinquième périphérique pour comprendre que la saturation menace, malgré les restrictions de circulation. Les usines polluantes autour de la capitale et le chauffage au charbon (pourtant interdit dans Pékin) ont fait le reste. Moins spectaculaires, la contamination et la raréfaction de l’eau entraînent également des conséquences humaines désastreuses. L’ancienne équipe avait commencé à s’attaquer à la tâche, avec notamment la fermeture de certaines unités de production, la construction de transports en commun, le financement de recherche sur le moteur électrique et les nouveaux matériaux... . Mais lentement. Trop lentement. Celle-ci ira-t-elle plus vite ? Impossible de répondre. En revanche, elle a reconnu publiquement le problème en faisant publier la liste de quatre cents « villages cancer », où la maladie s’est propagée et la mortalité envolée. Des analyses de terres y sont lancées. Des taxes pénalisant l’émission de carbone sont dans les tuyaux.
- Réforme politique. Pas encore président, M. Xi a déjà insisté à plusieurs reprises sur les bienfaits d’une justice qui protége les faibles contre les forts : « Le contrôle de l’application de la loi devrait être renforcé, toute ingérence [des pouvoirs] illégale éliminée, tout protectionnisme local et départemental empêché, et toute corruption pénalisée. » (« Xi stresses judicial indenpdance », Xinhua, 24 février). Et d’émailler son discours de référence à l’« Etat de droit » — expression jusqu’alors quasiment jamais utilisée par les dirigeants. S’il insiste sur l’indépendance de la justice, il l’assortit d’un « aux caractéristiques chinoises », dont les contours restent encore flous. La séparation de la justice et de l’Etat ne semble pas à l’ordre du jour. Toutefois, la fermeture des camps de travail, toujours si sombrement actifs, a été annoncée. Ce qui peut augurer d’un réel tournant.
Dans le domaine strictement politique, on perçoit peu de signes d’ouverture, si ce n’est une volonté de placer les dirigeants sous la vigie des citoyens et des internautes... Au moins tant que cela n’entrave pas les objectifs du pouvoir. Hier absente, l’opinion publique commence à peser, à l’instar de la campagne contre la corruption locale ou contre la pollution (Lire Cholé Froissart, « Visage de la démocratisation chinoise », blog Planète Asie du Monde diplomatique, 12 décembre 2012.). Pour le PCC, l’avantage est double : prendre le pouls de la population afin d’éviter les débordements incontrôlés et rester maître du jeu, puisque la censure peut s’abattre à tout moment.
Toutefois, un début de progrès démocratique pourrait voir le jour dans les très grandes entreprises, marquées par un flot continu de grèves et par le discrédit du syndicat maison. Foxconn, le sous-traitant d’Apple et premier employeur privé de Chine, a annoncé haut et fort dans la presse anglo-saxonne, qu’il organiserait des élections « libres » dans ses usines (Lire « Foxconn plans Chinese Union vote », Financial Times, 3 février 2013, ). Sans doute cherche-t-il avant tout à calmer les consommateurs occidentaux qui mettent en cause ses méthodes archaïques et inhumaines d’exploitation des ouvriers. Mais, cela reflète également le rejet par les salariés du syndicat unique — la Fédération des syndicats de toute la Chine (All-China Federation of Trade Unions, ACFTU), véritable émanation du Parti communiste — qui choisit les représentants des travailleurs en coopération avec les directions d’entreprises (publiques ou privées). Chez Foxconn, le dirigeant syndical qui s’appelle Chen Peng n’est autre que l’ancien directeur de cabinet du grand patron du groupe taïwanais Terry Gou... Inutile de dire qu’il était peu revendicatif. _A la veille du Congrès, le dirigeant communiste du Guangdong Wang Yang promettait d’organiser de telles élections dans trois cents grandes entreprises de la province, conscient qu’il valait mieux avoir de vrais interlocuteurs pour négocier que d’être contraints d’éteindre des incendies. Il espérait alors bénéficier d’une promotion au sein du PCC ; il est resté à la porte. M. Xi le laissera-t-il expérimenter cette démarche pour éventuellement en tirer des leçons plus générales ?
Mer de Chine. La fin de règne du président Hu Jintao a été marquée par la multiplication des incidents, notamment avec les Philippines autour du récif de Scarborough [4], mais aussi avec le Vietnam autour des îles Spratleys et avec le Japon à propos des îles Senkaku/ Diaoyou. L’affirmation de la puissance maritime chinoise, tout comme la montée des nationalismes de part et d’autre, ont ravivé les querelles régionales, largement attisées par les Etats-Unis qui cherchent à contenir le rôle de Pékin en Asie. Longtemps discret, M. Xi a fini par mettre en garde Washington contre toute intervention dans ce que Pékin considère comme des problèmes bilatéraux.
Devant l’armée, il a tenu un discours aussi musclé qu’étonnant autour de ce qu’il nomme le « rêve chinois » de régénération du pays. « Ce rêve, a t-il précisé, peut être considéré comme le rêve d’une nation forte, et pour les militaires, c’est le rêve d’une armée forte. Nous devons atteindre le grand renouveau de la nation chinoise, et nous devons assurer l’union entre un pays prospère et une armée forte. » De quoi plaire aux nationalistes chinois dont une partie considère que l’ancien président Hu était beaucoup trop mou, face à Washington et Tokyo.
Corée du Nord. Cela fait des années que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et ses velléités nucléaires donnent des sueurs froides aux dirigeants chinois. Pékin voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une puissance nucléaire sur ses marges et redoute que Tokyo s’en serve comme prétexte pour relancer ses projets. Pour la première fois, la Chine a condamné le dernier essai nucléaire de Pyongyang et réclamé des sanctions aux côtés de Washington et de Moscou. Les pressions plus ou moins discrètes, dont les restrictions dans les livraisons de pétrole, comme l’avait indiqué le spécialiste chinois Shen Dingli dans Le Monde diplomatique dès novembre 2006, se sont avérées inefficaces. Aujourd’hui, l’entêtement nord-coréen « décrédibilise la diplomatie chinoise », explique-t-il dans Foreign Policy. Pourtant Pékin ira t-il au-delà de la simple condamnation verbale, au risque de déstabiliser son voisin réfractaire ? M. Xi est resté d’une discrétion exemplaire.
Cyberespionnage. Ces derniers mois, les relations avec les Etats-Unis se sont détériorées, en raison des condamnations verbales de l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton dans les conflits en mer de Chine et, plus récemment, à cause de l’accusation de cyberespionnage. Les révélations de Mandiant, au sujet d’une société de cybersécurité, ont mis le feu aux poudres. Une unité de l’armée chinoise, connue sous le numéro 61 398 coordonnerait l’activité de « hackers », ayant recours à 1 000 serveurs localisés dans une dizaine de pays afin de s’approprier aussi bien des données économiques que techniques ou militaires un peu partout dans le monde. Quelle est la part de vérité dans ces révélations qui fleurent bon la guerre froide ? Evidemment les dirigeants chinois démentent, faisant valoir qu’en matière de cybertechonologie, les Etats-Unis et le Pentagone n’ont rien à envier à la Chine et son armée. Le récent rapport des deux spécialistes américains Keneth Liberthal et Peter W. Singer appelle à se débarrasser des mentalités de guerre froide pour instaurer un dialogue et un code de bonne conduite (Lire « Cybersecurity ans US-China Relations », Brookings, février 2013).
Entre l’affirmation par Pékin de son émergence sur la scène mondiale et la volonté américaine de reprendre la main dans le Pacifique, les relations entre les deux premières économies mondiale connaissent un tournant. Mais aucune des deux n’a intérêt à l’affrontement. En tout cas, c’est à Moscou que M. Xi effectuera sa première sortie en tant que président de la République.
Notes
[1] L’Assemblée nationale populaire se tient du 3 au 10 mars.
[2] Elle comprend des membres du PCC (40 %) des huit « partis démocratiques » officiellement reconnus (parmi lesquels le Comité révolutionnaire du Guomindang de Chine, la Ligue démocratique de Chine, l’Association pour la construction démocratique de la Chine, l’Association chinoise pour la Démocratie, le Parti démocratique paysan et ouvrier de Chine, la Ligue pour l’Autonomie démocratique de Taiwan...), des personnalités sans parti.
[3] China daily, Pékin, 6 février 2013.
[4] Lire Stephanie Kleine-Ahlbrandt, « Guerre des nationalismes en mer de Chine, Le Monde diplomatique, novembre 2012.
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