par Philippe Leymarie
pour http://blog.mondediplo.net
[2] Membre de la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de La Menace nucléaire, Armand Colin, Paris, 2011, 160 pages, 14,90 euros.
[3] Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et président du Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (CIRPES).
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Sur la lancée des catastrophes au Japon, on se fait peur avec le nucléaire civil. Mais quid du militaire ? La « dissuasion » – qui absorbe un cinquième du budget des armées – reste l’alpha et l’oméga de la défense française, même si elle paraît en mal d’ennemi identifié. Mais, comme au sujet de l’Afghanistan ou de l’abandon de la défense européenne au profit d’un retour dans le giron américain de l’OTAN, pas de débat, ou presque, en France. Pas plus que sur le « bouclier » antimissile concocté par Washington, autour duquel les Européens vont bien devoir se positionner...
Le nucléaire français, civil comme militaire, est toujours resté mystérieux et opaque, apanage de l’Etat, maintenu sous le manteau du secret défense. C’est d’autant plus le cas pour les réacteurs des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ou des obus nucléaires de la composante aérienne de la dissuasion (Rafale et Mirage 2000), même si, tout au long de la chaîne industrielle et militaire qui y concourt, on assure que toutes les précautions sont prises, les matériels renouvelés à temps, les délais de maintenance respectés, les procédures de contrôle et de décision rodées, recoupées, multipliées, etc.
En Grande-Bretagne, grâce à la déclassification récente d’un rapport de novembre 2009 sur le renouvellement des sous-marins nucléaires, on sait que les machines actuelles – 7 SNA et 4 SNLE – sont dangereuses, ou en tout cas « potentiellement vulnérables », comme l’écrivent ses experts du ministère de la défense de Londres (MOD). Le site Zone militaire signale que le rapport, initialement réservé aux « UK eyes only », a été sérieusement expurgé, avant d’être divulgué (PDF).
Le contre-amiral Andrew McFarlane, responsable de la sécurité nucléaire au ministère de la défense, y estime que « les pratiques britanniques actuelles sont très loin des bonnes pratiques couramment admises » ailleurs. Les réacteurs à eau pressurisée pourraient être sujets à « une défaillance structurelle du circuit primaire » : en cas de « libération de produits de fission hautement radioactifs » (c’est-à-dire, de fuite), il existerait « un risque significatif pour la vie de ceux qui sont à proximité et un danger pour la sécurité du public dans un rayon de 1,5 km autour » du submersible. Ces problèmes de réacteur pourraient aussi causer « la perte du contrôle de l’immersion », avec risque d’être envoyé par le fond !
On comprend mieux, à la lecture de ce qui précède, pourquoi les Britanniques ont été intéressés par cette joint venture [1] Cette « entente frugale » a l’avantage, pour les Britanniques, de mettre de fait l’Europe hors jeu – ce qui est une constante de la diplomatie de Londres. L’accord permet à la Grande-Bretagne de renvoyer à plus tard une décision sur un démantèlement de son dispositif nucléaire, pour lequel plaidaient d’anciens responsables de la défense de ce pays, une opinion réticente, et… un budget militaire en baisse de 8 % cette année, avant d’autres révisions déchirantes.
Côté français, on peut se satisfaire d’avoir découplé, même en très petite partie, le dispositif britannique, jusqu’ici entièrement dépendant du parrain américain (qui fournit à son allié « caniche » les missiles Polaris, les plans, brevets, etc.). Et d’avoir, en s’alliant avec la seule autre puissance nucléaire européenne, mis à l’abri – si l’on peut dire – son propre dispositif de dissuasion, Paris remettant ainsi à plus tard un débat sur la dénucléarisation française. Et évitant donc de faire un geste supplémentaire en matière de désarmement (au risque d’un isolement diplomatique croissant, qui peut lui coûter cher).
Paris, bien que réintégré au commandement militaire de l’OTAN, ne participe pas à son comité des plans nucléaires, très largement dominé là encore par les Américains qui en sont le bras armé quasi unique. L’organisation transatlantique a entrepris à son tour une « revue des enjeux nucléaires », qui devrait déboucher à la fin de cette année. Entre-temps, une réunion à Paris des cinq puissances nucléaires traditionnelles est annoncée pour septembre prochain.
Ultra-suiviste, l’OTAN avait réaffirmé, lors de son sommet de novembre dernier à Lisbonne, que « tant qu’il y aurait des armes nucléaires, elle resterait une alliance nucléaire » : une mention exigée, et obtenue par la partie française. Dans le contexte européen, la posture très « blairiste » de Nicolas Sarkozy, le président français, a détonné, au moment où les quatre pays accueillant des armes nucléaires tactiques américaines en demandent au contraire le retrait.
Faute de débat sur un éventuel désarmement nucléaire français, partiel ou total, on ne pose pas non plus la question du transfert éventuel des crédits nucléaires sur le secteur conventionnel. L’engagement en Afghanistan a montré que les besoins peuvent être pressants : faute des matériels adéquats, il a fallu équiper les forces françaises en urgence (« crash programs »), en procédant à de coûteux achats sur étagères, pour les mettre à l’abri des mines posées par les talibans et leur fournir quelques drones d’observation.
Les partisans de la dissuasion rappellent qu’il n’y a pas eu de guerre entre grandes puissances depuis soixante-cinq ans : l’arme nucléaire, une sorte d’assurance tous risques, conçue pour ne pas avoir à être utilisée, y a largement contribué. Ils font remarquer que l’arsenal français actuel – qui a été réduit par étapes depuis vingt ans, au point d’être ramené à ce que les spécialistes appellent une « stricte suffisance » – n’est pas surdimensionné : un SNLE en moins, par exemple, et il n’y aura plus la possibilité d’assurer en permanence une patrouille à la mer. Ou que les 3 milliards d’euros annuels qui seraient libérés par une sortie du nucléaire militaire iraient sans doute au remboursement de la dette publique, et non à l’équipement des armées…
« En dehors des cercles spécialisés, on ne sait plus très bien à quoi sert la dissuasion », renchérit Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la défense : « Une assurance contre quoi exactement ? » Mais il invite à la prudence : « Opposer le monde réel du nucléaire au virtuel du désarmement, c’est porter le discrédit à la posture de type Obama, qui change tout de même du style Bush ». En France, « le président est maître du feu nucléaire, mais un parlement, des députés, pour quoi faire ? ».
L’Iran, pour Jacques Fath, responsable des relations internationales au PCF, a droit au développement du nucléaire civil ; il doit appliquer le Traité de non-prolifération (TNP), mais cela ne vaut que si son respect est exigé de tous, alors que certains pays se moquent des résolutions internationales depuis des dizaines d’années. Il faut remettre l’ONU au centre, refonder le système des Nations unies, « acquis décisif du XXe siècle », menacé aujourd’hui par les G8, G20, Davos, OTAN, etc., estime Jacques Fath.
A quoi s’ajoutent des interrogations sur le programme antimissile adopté également au sommet de l’OTAN de novembre à Lisbonne : selon le Mouvement de la Paix, il va « coûter cher, relancer la course aux armements, et porter un coup final à l’indépendance européenne ». On ne comprend d’ailleurs toujours pas très bien, au stade actuel, comment, pourquoi, et avec qui sera mené ce projet, même si on voit bien les profits qu’en attend le lobby militaro-industriel du nucléaire, élément moteur de l’économie américaine. Certes, il sert de message à l’Iran : « Vos missiles ne serviront à rien, on pourra les arrêter. » Mais on ne sait toujours pas si cette garantie de dissuasion sera valable pour toute l’Europe.
Pour l’heure, le bouclier antimissile est virtuel. Les 200 millions de dollars de budget annoncés par l’OTAN ne représentent que le coût de la liaison entre le système préparé par les Américains, avec les moyens antimissiles des Européens. Mais cela en vaut-il la peine, alors qu’existe déjà un dispositif de dissuasion nucléaire ? Est-ce, là aussi, une alternative adaptée et crédible, face aux types de menaces qui se profilent ? Beaucoup plus de questions que de réponses...
En Grande-Bretagne, grâce à la déclassification récente d’un rapport de novembre 2009 sur le renouvellement des sous-marins nucléaires, on sait que les machines actuelles – 7 SNA et 4 SNLE – sont dangereuses, ou en tout cas « potentiellement vulnérables », comme l’écrivent ses experts du ministère de la défense de Londres (MOD). Le site Zone militaire signale que le rapport, initialement réservé aux « UK eyes only », a été sérieusement expurgé, avant d’être divulgué (PDF).
Le contre-amiral Andrew McFarlane, responsable de la sécurité nucléaire au ministère de la défense, y estime que « les pratiques britanniques actuelles sont très loin des bonnes pratiques couramment admises » ailleurs. Les réacteurs à eau pressurisée pourraient être sujets à « une défaillance structurelle du circuit primaire » : en cas de « libération de produits de fission hautement radioactifs » (c’est-à-dire, de fuite), il existerait « un risque significatif pour la vie de ceux qui sont à proximité et un danger pour la sécurité du public dans un rayon de 1,5 km autour » du submersible. Ces problèmes de réacteur pourraient aussi causer « la perte du contrôle de l’immersion », avec risque d’être envoyé par le fond !
Posture blairiste
Lors d’un colloque organisé fin janvier à Paris par la sénatrice communiste Michelle Demessine, il a été rappelé, par exemple, que la batterie d’accords signés en novembre dernier entre Paris et Londres – laquelle comporte pour la première fois un volet sur la dissuasion – revient pour la France à prendre en charge une partie des coûts de recherche britanniques dans le domaine nucléaire.On comprend mieux, à la lecture de ce qui précède, pourquoi les Britanniques ont été intéressés par cette joint venture [1] Cette « entente frugale » a l’avantage, pour les Britanniques, de mettre de fait l’Europe hors jeu – ce qui est une constante de la diplomatie de Londres. L’accord permet à la Grande-Bretagne de renvoyer à plus tard une décision sur un démantèlement de son dispositif nucléaire, pour lequel plaidaient d’anciens responsables de la défense de ce pays, une opinion réticente, et… un budget militaire en baisse de 8 % cette année, avant d’autres révisions déchirantes.
Côté français, on peut se satisfaire d’avoir découplé, même en très petite partie, le dispositif britannique, jusqu’ici entièrement dépendant du parrain américain (qui fournit à son allié « caniche » les missiles Polaris, les plans, brevets, etc.). Et d’avoir, en s’alliant avec la seule autre puissance nucléaire européenne, mis à l’abri – si l’on peut dire – son propre dispositif de dissuasion, Paris remettant ainsi à plus tard un débat sur la dénucléarisation française. Et évitant donc de faire un geste supplémentaire en matière de désarmement (au risque d’un isolement diplomatique croissant, qui peut lui coûter cher).
Paris, bien que réintégré au commandement militaire de l’OTAN, ne participe pas à son comité des plans nucléaires, très largement dominé là encore par les Américains qui en sont le bras armé quasi unique. L’organisation transatlantique a entrepris à son tour une « revue des enjeux nucléaires », qui devrait déboucher à la fin de cette année. Entre-temps, une réunion à Paris des cinq puissances nucléaires traditionnelles est annoncée pour septembre prochain.
Ultra-suiviste, l’OTAN avait réaffirmé, lors de son sommet de novembre dernier à Lisbonne, que « tant qu’il y aurait des armes nucléaires, elle resterait une alliance nucléaire » : une mention exigée, et obtenue par la partie française. Dans le contexte européen, la posture très « blairiste » de Nicolas Sarkozy, le président français, a détonné, au moment où les quatre pays accueillant des armes nucléaires tactiques américaines en demandent au contraire le retrait.
Assurance tous risques ?
Ce n’est pas la tendance lourde du moment, considère le chercheur Bruno Tertrais [2], pour qui le « global zero » défendu par Barack Obama « a fait un flop ». Selon lui, « le vrai but d’Obama n’est pas le désarmement nucléaire, mais la lutte contre le terrorisme nucléaire ». L’affaiblissement de sa majorité au sénat interdira désormais au numéro un américain ce type de rhétorique. En outre, ses partenaires européens sont divisés sur le nucléaire : entre pays, et parfois même à l’intérieur des pays (comme en Allemagne).Faute de débat sur un éventuel désarmement nucléaire français, partiel ou total, on ne pose pas non plus la question du transfert éventuel des crédits nucléaires sur le secteur conventionnel. L’engagement en Afghanistan a montré que les besoins peuvent être pressants : faute des matériels adéquats, il a fallu équiper les forces françaises en urgence (« crash programs »), en procédant à de coûteux achats sur étagères, pour les mettre à l’abri des mines posées par les talibans et leur fournir quelques drones d’observation.
Les partisans de la dissuasion rappellent qu’il n’y a pas eu de guerre entre grandes puissances depuis soixante-cinq ans : l’arme nucléaire, une sorte d’assurance tous risques, conçue pour ne pas avoir à être utilisée, y a largement contribué. Ils font remarquer que l’arsenal français actuel – qui a été réduit par étapes depuis vingt ans, au point d’être ramené à ce que les spécialistes appellent une « stricte suffisance » – n’est pas surdimensionné : un SNLE en moins, par exemple, et il n’y aura plus la possibilité d’assurer en permanence une patrouille à la mer. Ou que les 3 milliards d’euros annuels qui seraient libérés par une sortie du nucléaire militaire iraient sans doute au remboursement de la dette publique, et non à l’équipement des armées…
Maître du feu
Pour Alain Joxe [3], cette arme nucléaire ne sert à rien dans les conflits réels. « On ne peut s’en servir : une petite salve est déjà effrayante ! » Face aux soulèvements, on recourt aux kalachnikov, aux drones, pas aux bombes atomiques. Il ne sert à rien de donner l’illusion que la France a la même taille que de vraies grandes puissances comme l’Inde, alors que les Etats-Unis eux-mêmes perdent de l’influence, que la souveraineté bancaire paraît aussi forte ou supérieure à celle des Etats (et « on ne peut leur balancer une arme nucléaire ! »). Le chercheur conclut : « Comment se débarrasser de ce mythe », qui n’est plus adapté aux réalités du monde ?« En dehors des cercles spécialisés, on ne sait plus très bien à quoi sert la dissuasion », renchérit Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la défense : « Une assurance contre quoi exactement ? » Mais il invite à la prudence : « Opposer le monde réel du nucléaire au virtuel du désarmement, c’est porter le discrédit à la posture de type Obama, qui change tout de même du style Bush ». En France, « le président est maître du feu nucléaire, mais un parlement, des députés, pour quoi faire ? ».
L’Iran, pour Jacques Fath, responsable des relations internationales au PCF, a droit au développement du nucléaire civil ; il doit appliquer le Traité de non-prolifération (TNP), mais cela ne vaut que si son respect est exigé de tous, alors que certains pays se moquent des résolutions internationales depuis des dizaines d’années. Il faut remettre l’ONU au centre, refonder le système des Nations unies, « acquis décisif du XXe siècle », menacé aujourd’hui par les G8, G20, Davos, OTAN, etc., estime Jacques Fath.
Bouclier virtuel
« Le nucléaire militaire, arme de puissance, structure toute la géopolitique internationale. Le remettre en question, c’est s’en prendre à l’ordre du monde », fait valoir Arielle Denis, co-présidente du Mouvement de la Paix. Le TNP, soi-disant universel, est inégalitaire, violé par un de ses signataires (Iran), foulé aux pieds par les Etats nucléaires qui n’y ont jamais adhéré (Israël, Inde, Pakistan). Pourtant, d’anciens responsables de la nucléarisation du monde (les Henry Kissinger et d’autres) en sont venus à la prise de conscience que conserver ces arsenaux, aujourd’hui, est devenu dangereux...A quoi s’ajoutent des interrogations sur le programme antimissile adopté également au sommet de l’OTAN de novembre à Lisbonne : selon le Mouvement de la Paix, il va « coûter cher, relancer la course aux armements, et porter un coup final à l’indépendance européenne ». On ne comprend d’ailleurs toujours pas très bien, au stade actuel, comment, pourquoi, et avec qui sera mené ce projet, même si on voit bien les profits qu’en attend le lobby militaro-industriel du nucléaire, élément moteur de l’économie américaine. Certes, il sert de message à l’Iran : « Vos missiles ne serviront à rien, on pourra les arrêter. » Mais on ne sait toujours pas si cette garantie de dissuasion sera valable pour toute l’Europe.
Pour l’heure, le bouclier antimissile est virtuel. Les 200 millions de dollars de budget annoncés par l’OTAN ne représentent que le coût de la liaison entre le système préparé par les Américains, avec les moyens antimissiles des Européens. Mais cela en vaut-il la peine, alors qu’existe déjà un dispositif de dissuasion nucléaire ? Est-ce, là aussi, une alternative adaptée et crédible, face aux types de menaces qui se profilent ? Beaucoup plus de questions que de réponses...
Notes
[1] Dans un entretien accordé au quotidien Le Télégramme, le chef d’état-major de la marine française a précisé qu’un sous-marin français est passé récemment « sous commandement britannique dans le grand Nord pour surveiller de plus près les Russes » – une démarche qui « témoigne d’un niveau de confiance élevé entre les pays concernés ».[2] Membre de la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de La Menace nucléaire, Armand Colin, Paris, 2011, 160 pages, 14,90 euros.
[3] Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et président du Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (CIRPES).
1 commentaire:
salut, je dirais juste ceci; au large les amis, la confiance m'a trahie, go offshore !
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