par Jean Ortiz
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Au Chili, pour parler de la compagnie minière Los Pelambres, la multinationale Luksic à capitaux japonais et chiliens, on dit « la Minera ». Comme on disait jadis « la Frutera », au Guatemala ou au Costa Rica, pour la United Fruit Company.
La Minera, donc, a installé la plus grande poubelle chimique d’Amérique latine (douze bassins de décantation) entre deux massifs de la Cordillère des Andes, dans la zone étroite de la « ceinture du Chili », sur la commune de Los Vilos, province de Choapa, région de Coquimbo. Le site – sans doute classé à haut risque – apparaît masqué sur Google Earth.
La décharge, qui finira par mesurer 240 mètres de haut, a été construite – selon la multinationale – « en toute légalité »… De cette légalité – qui lui permet de ne pas payer d’impôts –, les populations ont appris à se méfier. D’ores et déjà, le tranque de relave (le dépotoir) de El Mauro assoiffe les habitants de la vallée du Choapa, située à 8 km en contrebas. Elle empoisonne les nappes phréatiques, les quelques filets d’eau fraîche restants, l’air, les animaux, les oiseaux… Nous avons vu des cultures mortes, des plantations de noyers rachitiques.
La Minera a acheté populations, médias et élus. Le maire de Salamanca la décrit comme « un bon citoyen de sa commune », selon le bimensuel El Ciudadano (2e quinzaine de décembre 2010). Pour laver son image, elle multiplie les « gestes » : elle a versé 130 millions de pesos de dons au Téléthon, fait apporter l’eau par conteneurs dans diverses communes. Elle a aussi déstructuré les communautés et, toujours d’après El Ciudadano, détruit plus de 500 sites archéologiques et dévasté 70 hectares de canelo (arbre à cannelle).
Selon les habitants de la communauté de Caimanes – mille six cent personnes en lutte depuis dix ans, drapeau noir sur les toits des maisons –, une décision du Tribunal suprême déclare le site géologique impropre à cette installation (sol trop friable, risques sismiques, pluies abondantes, inadaptation du rideau de sable qui ne prend pas en compte la pression, etc.). La Minera nie.
Dans ce bout du bout du monde, onze membres de la communauté, dont trois femmes, viennent d’accomplir 81 jours de grève de la faim, du 27 septembre au 17 décembre 2010 : la société refuse toujours de discuter. Pire, elle les accuse de « vouloir obtenir des avantages économiques en mettant en danger leur vie ». Plusieurs grévistes souffrent de graves séquelles oculaires. Ils n’en ont pas moins été condamnés au silence politique et médiatique – alors que se déroulait le « show » du sauvetage des trente-trois mineurs de San José de Atacama, devenus de véritables stars (dont une société privée se charge aujourd’hui de gérer l’image).
Juan Villalobos et Juan Ruiz, porte-parole du Comité de défense de Caimanes, nous indiquent que « mille huit cents tonnes de déchets sont déversés chaque jour. L’eau que nous buvons est jaune, et les récipients qui la font bouillir deviennent verts. C’est à cause de l’arsenic, du plomb, et des autres métaux lourds qu’utilise la société. La Minera joue avec nos vies. Un jour, en quelques secondes, le village de Caimanes sera rayé de la carte ».
Le maire « piñeriste » (du nom du président chilien, Sebastián Piñera) de Los Vilos – ville à laquelle est rattachée Los Caimanes –, M. Juan Jorquera Nino de Cépeda, nous reçoit sans langue de bois : « Je n’ai pas de faculté légale pour intervenir face à la Minera. Je ne peux même pas accéder au site. » L’Etat ayant décidé que les normes légales avaient été remplies, « nous sommes des municipalités “mendiantes”. Pendant les 81 jours de la grève, jamais la presse n’a dit un mot. La Minera est au-dessus de nos lois ».
Le ministre de l’industrie minière considère, toute honte bue, qu’il s’agit d’une « affaire privée ». Le président du Sénat, M. Jorge Pizarro, reconnaît devant nous « la faiblesse des normes de 1994, lorsque la Minera s’est installée, l’inexistence d’un cadre légal environnemental. Notre pays, et plus particulièrement la région minière d’Illapel, est semé de nombreux relaves, sans aucun contrôle, sans cadastre pour les recenser ». Et de conclure : « Nous sommes face à un grave problème et nous commençons à prendre des mesures, mais les multinationales ont beaucoup d’argent et de force de persuasion. »
A voir : « Les damnés de l’eau », un documentaire de Jean Ortiz et Dominique Gautier :
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Au Chili, pour parler de la compagnie minière Los Pelambres, la multinationale Luksic à capitaux japonais et chiliens, on dit « la Minera ». Comme on disait jadis « la Frutera », au Guatemala ou au Costa Rica, pour la United Fruit Company.
La Minera, donc, a installé la plus grande poubelle chimique d’Amérique latine (douze bassins de décantation) entre deux massifs de la Cordillère des Andes, dans la zone étroite de la « ceinture du Chili », sur la commune de Los Vilos, province de Choapa, région de Coquimbo. Le site – sans doute classé à haut risque – apparaît masqué sur Google Earth.
La décharge, qui finira par mesurer 240 mètres de haut, a été construite – selon la multinationale – « en toute légalité »… De cette légalité – qui lui permet de ne pas payer d’impôts –, les populations ont appris à se méfier. D’ores et déjà, le tranque de relave (le dépotoir) de El Mauro assoiffe les habitants de la vallée du Choapa, située à 8 km en contrebas. Elle empoisonne les nappes phréatiques, les quelques filets d’eau fraîche restants, l’air, les animaux, les oiseaux… Nous avons vu des cultures mortes, des plantations de noyers rachitiques.
La Minera a acheté populations, médias et élus. Le maire de Salamanca la décrit comme « un bon citoyen de sa commune », selon le bimensuel El Ciudadano (2e quinzaine de décembre 2010). Pour laver son image, elle multiplie les « gestes » : elle a versé 130 millions de pesos de dons au Téléthon, fait apporter l’eau par conteneurs dans diverses communes. Elle a aussi déstructuré les communautés et, toujours d’après El Ciudadano, détruit plus de 500 sites archéologiques et dévasté 70 hectares de canelo (arbre à cannelle).
Selon les habitants de la communauté de Caimanes – mille six cent personnes en lutte depuis dix ans, drapeau noir sur les toits des maisons –, une décision du Tribunal suprême déclare le site géologique impropre à cette installation (sol trop friable, risques sismiques, pluies abondantes, inadaptation du rideau de sable qui ne prend pas en compte la pression, etc.). La Minera nie.
Dans ce bout du bout du monde, onze membres de la communauté, dont trois femmes, viennent d’accomplir 81 jours de grève de la faim, du 27 septembre au 17 décembre 2010 : la société refuse toujours de discuter. Pire, elle les accuse de « vouloir obtenir des avantages économiques en mettant en danger leur vie ». Plusieurs grévistes souffrent de graves séquelles oculaires. Ils n’en ont pas moins été condamnés au silence politique et médiatique – alors que se déroulait le « show » du sauvetage des trente-trois mineurs de San José de Atacama, devenus de véritables stars (dont une société privée se charge aujourd’hui de gérer l’image).
Juan Villalobos et Juan Ruiz, porte-parole du Comité de défense de Caimanes, nous indiquent que « mille huit cents tonnes de déchets sont déversés chaque jour. L’eau que nous buvons est jaune, et les récipients qui la font bouillir deviennent verts. C’est à cause de l’arsenic, du plomb, et des autres métaux lourds qu’utilise la société. La Minera joue avec nos vies. Un jour, en quelques secondes, le village de Caimanes sera rayé de la carte ».
Le maire « piñeriste » (du nom du président chilien, Sebastián Piñera) de Los Vilos – ville à laquelle est rattachée Los Caimanes –, M. Juan Jorquera Nino de Cépeda, nous reçoit sans langue de bois : « Je n’ai pas de faculté légale pour intervenir face à la Minera. Je ne peux même pas accéder au site. » L’Etat ayant décidé que les normes légales avaient été remplies, « nous sommes des municipalités “mendiantes”. Pendant les 81 jours de la grève, jamais la presse n’a dit un mot. La Minera est au-dessus de nos lois ».
Le ministre de l’industrie minière considère, toute honte bue, qu’il s’agit d’une « affaire privée ». Le président du Sénat, M. Jorge Pizarro, reconnaît devant nous « la faiblesse des normes de 1994, lorsque la Minera s’est installée, l’inexistence d’un cadre légal environnemental. Notre pays, et plus particulièrement la région minière d’Illapel, est semé de nombreux relaves, sans aucun contrôle, sans cadastre pour les recenser ». Et de conclure : « Nous sommes face à un grave problème et nous commençons à prendre des mesures, mais les multinationales ont beaucoup d’argent et de force de persuasion. »
A voir : « Les damnés de l’eau », un documentaire de Jean Ortiz et Dominique Gautier :
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