Les marques sont les nouveaux dieux antiques. La société de consommation globalisée va basculer dans le polythéisme.
La "marque" est par excellence un concept flou, un signifiant passe-partout, un "mot-valise" comme on dit, quelque chose qui a autant de définitions différentes que de consommateurs. Une marque est comme le reflet imaginaire et idéalisé d’une entreprise ; une entreprise n’étant qu’une organisation sommaire de la production, souvent peu reluisante et marquée par des mécanismes de domination d’une violence pouvant aller jusqu’à l’extrême dans le machisme et la xénophobie, quand bien même cette violence serait sublimée ou sa fondatrice une femme.
D’emblée, dans notre système économique, se pose la question de cette dichotomie fondamentale, entre la marque, idée forte, idéal, cristallisation, repère ; et l’entreprise, système, hiérarchie, bureaucratie, quotidien sale et repoussant. La puissance de la "marque" agit aussi bien sur les employés, via leur fierté et la valeur qu’ils donnent chaque matin à leur travail ; sur les clients, via le désir mimétique et l’acte d’achat, et sur les actionnaires, via les processus de valorisation (si ça pète, ça vaut cher) : elle nous déborde, littéralement, et sans fondement.
En parallèle à cet état de fait, on assiste à un désenchantement du monde, une perte de sens radicale, à une crise économique qui semble n’impliquer que ceux qui en bénéficient, paradoxe ultime et scandaleux. La science, garante du progrès, dépourvue de toute théorie de la subjectivité et encline à survaloriser le critère de l’utilité immédiate, ne peut satisfaire le désir humain.
Si l’on suit et accommode le philosophe Nietzsche dans ces développements libérés des schèmes monothéistes, on peut mieux comprendre cette dichotomie. Je propose ainsi d’établir un parallèle entre la société grecque antique et la société de consommation globalisée. Supposons que l’individu ne vaille jamais beaucoup et que son mérite soit toujours relativement médiocre. Alors, s’il se montre capable de faire émerger une organisation donnant naissance à une véritable marque, on n’y verra que l’expression d’une vérité collective, tout comme l’émergence d’une divinité grecque efface l’auteur de la fiction originelle. On pourra lever le doigt et décider que dans ce cadre, l’entrepreneur ne mérite aucun revenu. Mais c’est alors dire qu’on envie la richesse, et là n’est pas notre visée morale. L’envie est une faiblesse de l’âme, le besoin est du côté du producteur, pas du consommateur.
La valeur immatérielle de l’entreprise, la "marque" donc, va dépasser ses évaluations financières et comptables. Certains l’ont compris dès l’éclatement de la première bulle économique, d’autres ont entendu ensuite le message du dieu Google.
Les marques vont occuper le vide laissé par la mort de Dieu, et ressusciter les dieux mi-hommes mi-idéaux des sociétés antiques. Au-delà des raisonnements purement gestionnaires, on pourra les envisager comme des instruments du changement social.
C’est ce que le "marketing" dit "2.0" annonce : en voulant créer des communautés s’organisant partiellement autour du totem de l’entreprise, il promet l’émergence d’un nouveau polythéisme. La "fanitude" sur facebook en est annonciatrice. Eurostar est un dieu du passage, Google est un oracle, Facebook est un dieu de l’iconographie, etc.
La dite communauté n’est qu’un rassemblement d’humains autour de valeurs religieuses et politiques, organisée autour d’événements significatifs. Oui, nous sommes primitifs.
Et l’on assiste à une démocratisation du branding, l’approche en termes de "marque" ne se réduit pas au "business" : l’artiste devient marque, la personne devient marque, l’écrivain devient marque, ou style. Un ministère devient une marque, une nation devient une marque, une institution devient une marque.
La question qui va se poser à nous est de savoir si nous sommes prêts à accepter ce renouveau polythéiste, ou si nous souhaitons le dépasser. L’action ne sera pas aisée. Si l’apparence et le culte sont fondateurs de la société, si nous ne pouvons y échapper, le changement vers plus de réalité et moins d’illusions ne pourra pas se faire sans douleur. Et les contestataires devront en être conscients pour devenir des leaders.
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