Par Serge Halimi
01/2013
Source : http://www.monde-diplomatique.fr
English Version
01/2013
Source : http://www.monde-diplomatique.fr
English Version
Les puissances émergentes d’aujourd’hui ne sont pas de dignes
héritières des anticolonialistes et des anti-impérialistes d’hier. Les
pays du Sud contrôlent une part croissante de l’économie mondiale. Ce
n’est que justice. Mais cette richesse est tellement mal répartie que
l’inégalité des revenus est plus prononcée encore en Afrique du Sud ou
en Chine qu’aux Etats-Unis. Et les fortunes ainsi constituées servent
davantage à racheter des entreprises, des biens de prestige occidentaux
qu’à améliorer les conditions de vie et de santé des populations
indienne, chinoise, arabes, africaines.
C’est un peu l’ère des barons voleurs qui recommence. En Amérique, à la fin du XIXe siècle, s’imposèrent des dynasties industrielles à la rapacité légendaire (John D. Rockefeller, J. P. Morgan, Cornelius Vanderbilt). Elles supplantèrent progressivement les grandes familles européennes dans les secteurs du pétrole, des transports, de la banque. Rivaux au départ, les concurrents transatlantiques s’entendirent un peu plus tard pour exploiter les travailleurs du monde, accroître démesurément la rémunération de leurs actionnaires, épuiser les réserves de la Terre.
Les monarques du Golfe, les oligarques chinois, indiens ou russes rêvent au même type de relève — et d’entente. Tels les patrons américains hier, ils se font volontiers donneurs de leçons universelles. Interrogé sur le projet (trop) vite abandonné de nationaliser un de ses sites industriels lorrains (lire page 2), le milliardaire indien Lakshmi Mittal a qualifié cette idée de « bond en arrière ». Et il a prévenu : « Un investisseur réfléchira peut-être à deux fois avant d’investir en France (1). » Le premier ministre russe a eu recours à un argument du même tonneau pour commenter un relèvement de la fiscalité à Paris : « En Russie, que l’on soit riche ou pauvre, le taux d’imposition est de 13 %. On nous dit que les oligarques devraient payer plus, mais nous ne voulons pas que les capitaux partent à l’étranger, dans des circuits opaques (2). » Pékin n’est pas moins acharné à défendre les recettes libérales. En juin dernier, le président chinois avait fait connaître son soulagement après la victoire électorale de la droite grecque ; le patron du principal fonds souverain chinois, actionnaire de GDF Suez, a carrément fustigé l’existence en Europe de « lois sociales obsolètes » qui « conduisent à la paresse, à l’indolence plutôt qu’à travailler dur (3). »
L’historien britannique Perry Anderson rappelle qu’en 1815, lors du congrès de Vienne, cinq puissances — la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Autriche et la Prusse — s’étaient concertées pour prévenir la guerre et écraser les révolutions. Selon lui, l’ordre mondial est désormais gouverné par une nouvelle « pentarchie », informelle, qui réunit Etats-Unis, Union européenne, Russie, Chine et Inde. Cette Sainte-Alliance conservatrice, constituée de puissances rivales et complices, rêve de stabilité. Mais le monde qu’elle construit garantit que de nouveaux soubresauts économiques vont survenir. Et alimenter, quoi qu’elle fasse, les prochaines révoltes sociales.
C’est un peu l’ère des barons voleurs qui recommence. En Amérique, à la fin du XIXe siècle, s’imposèrent des dynasties industrielles à la rapacité légendaire (John D. Rockefeller, J. P. Morgan, Cornelius Vanderbilt). Elles supplantèrent progressivement les grandes familles européennes dans les secteurs du pétrole, des transports, de la banque. Rivaux au départ, les concurrents transatlantiques s’entendirent un peu plus tard pour exploiter les travailleurs du monde, accroître démesurément la rémunération de leurs actionnaires, épuiser les réserves de la Terre.
Les monarques du Golfe, les oligarques chinois, indiens ou russes rêvent au même type de relève — et d’entente. Tels les patrons américains hier, ils se font volontiers donneurs de leçons universelles. Interrogé sur le projet (trop) vite abandonné de nationaliser un de ses sites industriels lorrains (lire page 2), le milliardaire indien Lakshmi Mittal a qualifié cette idée de « bond en arrière ». Et il a prévenu : « Un investisseur réfléchira peut-être à deux fois avant d’investir en France (1). » Le premier ministre russe a eu recours à un argument du même tonneau pour commenter un relèvement de la fiscalité à Paris : « En Russie, que l’on soit riche ou pauvre, le taux d’imposition est de 13 %. On nous dit que les oligarques devraient payer plus, mais nous ne voulons pas que les capitaux partent à l’étranger, dans des circuits opaques (2). » Pékin n’est pas moins acharné à défendre les recettes libérales. En juin dernier, le président chinois avait fait connaître son soulagement après la victoire électorale de la droite grecque ; le patron du principal fonds souverain chinois, actionnaire de GDF Suez, a carrément fustigé l’existence en Europe de « lois sociales obsolètes » qui « conduisent à la paresse, à l’indolence plutôt qu’à travailler dur (3). »
L’historien britannique Perry Anderson rappelle qu’en 1815, lors du congrès de Vienne, cinq puissances — la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Autriche et la Prusse — s’étaient concertées pour prévenir la guerre et écraser les révolutions. Selon lui, l’ordre mondial est désormais gouverné par une nouvelle « pentarchie », informelle, qui réunit Etats-Unis, Union européenne, Russie, Chine et Inde. Cette Sainte-Alliance conservatrice, constituée de puissances rivales et complices, rêve de stabilité. Mais le monde qu’elle construit garantit que de nouveaux soubresauts économiques vont survenir. Et alimenter, quoi qu’elle fasse, les prochaines révoltes sociales.
Serge Halimi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire