Par Philippe Leymarie
pour http://blog.mondediplo.net
[2] Comme s’en est ému le directeur de la CIA, Léon Panetta, de passage à Islamabad à la mi-juin. Le sort de 170 soldats et agents serait en jeu.
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« La planète a un appétit insatiable pour les drones… » constatait ces jours-ci, en marge du Salon aéronautique du Bourget, l’un des patrons de Northrop Grumman, parmi les principaux constructeurs d’UAV (Unmanned aerial vehiculs – ou appareils sans pilote) : il se plaint du classement des drones, selon la règlementation américaine, dans la même catégorie que les missiles de croisière, et des restrictions à la vente et à l’export qui en découlent. D’autres, comme Susan Breau, professeur à la Flinders university (Australie), s’inquiètent de la clandestinité juridique dans laquelle évoluent les drones – une nouvelle arme maniée à discrétion, d’Afghanistan en Libye, sans rendre de comptes à quiconque, par la poignée de pays qui en sont dotés, à commencer par les Etats-Unis et Israël.
Ce rapport collectif, publié jeudi 23 juin par l’Oxford Research Group – un think-tank influent sur les questions de sécurité, dont Susan Breau est consultante – sous le titre « Drone Attacks, International Law, and the Recording of Civilian Casualties of Armed Conflict », aborde la question des drones [1] à travers le sort de leurs victimes, jusque-là ignorées. Les drones, affirme cette équipe de juristes, « ne donnent pas le droit de tirer et de disparaître [« Hit and run ») : si vous en utilisez, il faut le reconnaître, et indiquer qui ils ont tué ».
Il existe une obligation légale d’identifier toutes les victimes engendrées par l’utilisation de drones, en toutes circonstances.
Le droit humain universel, qui affirme que nul ne peut être « arbitrairement » privé de sa vie, dépend de l’établissement de l’identité du défunt, tout comme d’éventuelles réparations ou compensations en cas de mort, blessure, ou autre dommage « irrégulier ».
La responsabilité de consigner correctement les données et les événements concernant ces victimes est une exigence s’étendant aux Etats qui autorisent ou acceptent l’utilisation de drones, ainsi qu’à ceux qui les lancent et les contrôlent. Mais, souligne ce texte, l’obligation légale (aussi bien que morale) pèse le plus lourdement sur celui qui manipule en dernier ressort ces engins sans pilote.
Il existe une obligation légale d’enterrer les morts selon les rites de la religion à laquelle ils appartiennent, et cela ne peut se faire dans des fosses communes ou anonymes. Le site d’ensevelissement doit être localisé, surtout dans le cas où une enquête plus approfondie s’avère nécessaire.
La particularité des attaques de drones dissuade souvent d’exhumer et d’identifier les restes du défunt, en raison des dommages corporels causés par toute attaque à l’explosif. Cependant, cette difficulté n’absout en aucune manière de la responsabilité d’identifier toutes les victimes des attaques de drones.
Une autre caractéristique des attaques de drones étant qu’il s’agit de frappes isolées (plutôt que faisant partie d’une bataille rangée), il n’est pas nécessaire d’attendre la cessation des hostilités pour entreprendre la recherche, le recueil et l’évacuation des morts.
C’est ce que souligne également Paul Rogers, consultant sur la sécurité internationale, professeur au Département d’études de la paix de l’université de Bradford, pour qui la question de la légalité de l’utilisation de ces drones armés – qui sont en train de devenir l’arme de choix pour les Etats-Unis et leurs alliés en Asie du Sud et au Moyen-Orient –, et notamment celle de leurs victimes, doit être posée chez les militaires, mais aussi dans les milieux juridiques et politiques, avec comme base ce rapport établi par Susan Breau.
En décembre dernier, Peter Bergen et Katherine Tiedemann, de la New America Foundation – qui ne passe pas pour une institution très critique de la politique fédérale – relevaient, carte à l’appui, que durant les vingt premiers mois de l’administration Obama, la CIA aurait effectué au moins cent vingt-six attaques de drones au Pakistan, soit près du triple de ce qu’avait fait l’administration Bush, tuant au moins huit cents personnes, dont – selon les dires officiels – une quinzaine de dirigeants d’Al-Qaida, et des chefs des talibans afghans ou pakistanais.
Les consultants de la NAF relèvent que l’usage de ces drones est « immensément impopulaire au Pakistan », les politiciens de ce pays accusant couramment les Etats-Unis de violer leur souveraineté nationale. La Maison-Blanche n’a jamais reconnu officiellement l’existence du programme de frappes par drones opéré par la CIA. Mais, en privé, des responsables défendent l’usage de cette arme, considérée comme l’atout maître de la lutte antiterroriste menée par les Etats-Unis, surtout en zone urbaine, à la fois pour des raisons d’efficacité technique, mais aussi parce que la mise en œuvre de cette flotte de drones par la centrale de renseignements (et non par l’armée) permet d’agir dans le secret et hors des cadres légaux habituels.
Il est possible que l’élimination d’Oussama Ben Laden, tué le 1er mai dernier dans la ville pakistanaise d’Abbottabad, par un commando héliporté, rende moins intensive la campagne de tirs contre les chefs terroristes ou supposés tels au Pakistan, notamment dans les zones « tribales » du Waziristan. Des agents secrets américains, ainsi que des membres des forces spéciales, étaient menacés d’expulsion ou de non-renouvellement de visas, ces derniers jours [2], en représailles à l’opération héliportée menée sans concertation officielle avec les autorités pakistanaises : certains d’entre eux étaient justement chargés du guidage des frappes de drones. Mais d’autres opèrent, en ce moment, au Yémen ou en Libye, en toute impunité…
Légal et moral
Le rapport aboutit à une série de conclusions :
Il existe une obligation légale d’identifier toutes les victimes engendrées par l’utilisation de drones, en toutes circonstances.
Le droit humain universel, qui affirme que nul ne peut être « arbitrairement » privé de sa vie, dépend de l’établissement de l’identité du défunt, tout comme d’éventuelles réparations ou compensations en cas de mort, blessure, ou autre dommage « irrégulier ».
La responsabilité de consigner correctement les données et les événements concernant ces victimes est une exigence s’étendant aux Etats qui autorisent ou acceptent l’utilisation de drones, ainsi qu’à ceux qui les lancent et les contrôlent. Mais, souligne ce texte, l’obligation légale (aussi bien que morale) pèse le plus lourdement sur celui qui manipule en dernier ressort ces engins sans pilote.
Il existe une obligation légale d’enterrer les morts selon les rites de la religion à laquelle ils appartiennent, et cela ne peut se faire dans des fosses communes ou anonymes. Le site d’ensevelissement doit être localisé, surtout dans le cas où une enquête plus approfondie s’avère nécessaire.
La particularité des attaques de drones dissuade souvent d’exhumer et d’identifier les restes du défunt, en raison des dommages corporels causés par toute attaque à l’explosif. Cependant, cette difficulté n’absout en aucune manière de la responsabilité d’identifier toutes les victimes des attaques de drones.
Une autre caractéristique des attaques de drones étant qu’il s’agit de frappes isolées (plutôt que faisant partie d’une bataille rangée), il n’est pas nécessaire d’attendre la cessation des hostilités pour entreprendre la recherche, le recueil et l’évacuation des morts.
Arme de choix
Le rapport fournit également un ensemble de recommandations spécifiques concernant la situation actuelle au Pakistan et au Yémen, où la question des frappes de drones par les Etats-Unis et de l’enregistrement de leurs pertes, serait « d’une urgence réelle et pratique ». Selon le rapport, « alors que des responsabilités incombent à toutes les parties mentionnées, ce sont les Etats-Unis (comme lanceurs et contrôleurs des drones) qui ont le moins de prétextes à se soustraire à leurs responsabilités ».
C’est ce que souligne également Paul Rogers, consultant sur la sécurité internationale, professeur au Département d’études de la paix de l’université de Bradford, pour qui la question de la légalité de l’utilisation de ces drones armés – qui sont en train de devenir l’arme de choix pour les Etats-Unis et leurs alliés en Asie du Sud et au Moyen-Orient –, et notamment celle de leurs victimes, doit être posée chez les militaires, mais aussi dans les milieux juridiques et politiques, avec comme base ce rapport établi par Susan Breau.
En décembre dernier, Peter Bergen et Katherine Tiedemann, de la New America Foundation – qui ne passe pas pour une institution très critique de la politique fédérale – relevaient, carte à l’appui, que durant les vingt premiers mois de l’administration Obama, la CIA aurait effectué au moins cent vingt-six attaques de drones au Pakistan, soit près du triple de ce qu’avait fait l’administration Bush, tuant au moins huit cents personnes, dont – selon les dires officiels – une quinzaine de dirigeants d’Al-Qaida, et des chefs des talibans afghans ou pakistanais.
Atout-maître
Mais, selon une synthèse des comptes rendus de presse – seule source disponible – environ 30 % de toutes les personnes tuées par des drones depuis 2004 auraient été non militants, cette proportion ayant diminué cependant ces dernières années, en raison d’un meilleur ciblage et de l’utilisation par la CIA de petits missiles. Pour 2010, selon leurs comptes, environ 8 % des victimes de tirs de drones auraient été des civils innocents, les responsables américains prétendant que ce taux ne serait que de 2 %.
Les consultants de la NAF relèvent que l’usage de ces drones est « immensément impopulaire au Pakistan », les politiciens de ce pays accusant couramment les Etats-Unis de violer leur souveraineté nationale. La Maison-Blanche n’a jamais reconnu officiellement l’existence du programme de frappes par drones opéré par la CIA. Mais, en privé, des responsables défendent l’usage de cette arme, considérée comme l’atout maître de la lutte antiterroriste menée par les Etats-Unis, surtout en zone urbaine, à la fois pour des raisons d’efficacité technique, mais aussi parce que la mise en œuvre de cette flotte de drones par la centrale de renseignements (et non par l’armée) permet d’agir dans le secret et hors des cadres légaux habituels.
Guidage des frappes
Une commission de l’ONU, rappellent Bergen et Tiedeman, s’était déjà interrogée en 2010 sur « le secret de ce programme, susceptible de violer les règles internationales de la guerre » ; mais la CIA n’a jamais voulu indiquer comment elle détermine ses objectifs…
Il est possible que l’élimination d’Oussama Ben Laden, tué le 1er mai dernier dans la ville pakistanaise d’Abbottabad, par un commando héliporté, rende moins intensive la campagne de tirs contre les chefs terroristes ou supposés tels au Pakistan, notamment dans les zones « tribales » du Waziristan. Des agents secrets américains, ainsi que des membres des forces spéciales, étaient menacés d’expulsion ou de non-renouvellement de visas, ces derniers jours [2], en représailles à l’opération héliportée menée sans concertation officielle avec les autorités pakistanaises : certains d’entre eux étaient justement chargés du guidage des frappes de drones. Mais d’autres opèrent, en ce moment, au Yémen ou en Libye, en toute impunité…
Notes
[1] Voir « article 7604 » et « article 6421 ».
[2] Comme s’en est ému le directeur de la CIA, Léon Panetta, de passage à Islamabad à la mi-juin. Le sort de 170 soldats et agents serait en jeu.
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