Arrivée à Quito : premier contact. Les boussoles de la gauche s’affolent facilement ; celles des « chefs d’entreprises » s’avèrent parfois plus fiables. La plupart de ceux que nous rencontrons dans les grandes villes du pays (Guayaquil, Quito, Cuenca, Riobamba) fulminent contre le gouvernement de M. Rafael Correa (élu en 2006), qui « gaspille l’argent pour les piojosos [pouilleux] » et subventionne « les fainéants et les pauvres afin d’obtenir leurs voix ». Allons voir plus loin.
Loin du déchaînement médiatique de l’opposition – un « melting-pot » de droite dure, de gauche « démocratique », de partis sociaux-chrétiens et socialistes, où l’on trouve aussi l’ancien allié « indigéniste » de M. Correa, le Mouvement de l’unité plurinational Pachakutik-Nouveau Pays –, l’incertaine pirogue qui fend les flots tumultueux du fleuve Napo nous ouvre sur d’autres réalités.
Les Indigènes d’Ahuano, ce début d’Amazonie, sont nés avec le fleuve. Pablo, indien quichua, explique : « Avant, nous n’avions qu’une existence folklorisée. » Grâce à la nouvelle Constitution – approuvée en 2008 par 63,93 % des électeurs –, il se sent citoyen « à part entière ». Désormais, l’Equateur reconnaît les droits des communautés indigènes (25 % de la population), leurs langues, leurs cultures (14 nationalités), au même titre que les droits de la nature (chapitre 7 de la Constitution). L’objectif ? Atteindre « une nouvelle forme de coexistence citoyenne, en diversité et en harmonie avec la nature, pour parvenir au “buen vivir” [bien vivre] ou Sumak Kawsay » (préambule de la Constitution).
La construction d’un « Etat interculturel, plurinational » ne va pas sans accrocs. Le président Correa, au pouvoir depuis janvier 2007, est récemment intervenu contre certaines traditions de justice coutumière : la justice indigène « doit être régulée (1) » estime-t-il, rappelant que le droit commun, national, prime pour les délits majeurs. On passe parfois outre : début juillet, la communauté La Cocha (Cotopaxi) rendait elle-même justice. Plusieurs personnes étaient lynchées.
Un conflit ouvert oppose le président à la direction de la Confédération des Nationalités Indigènes d’Equateur (Conaie), dont le président, M. Marlon Santi, dénonce un « Etat dictatorial (2) ». M. Mario Conejo, maire indigène de la ville d’Otavalo depuis 2000, reconnaît que les torts sont partagés : « Je crois en une société interculturelle, et pas dans une société où il y aurait des institutions, un système de santé et d’éducation indigènes séparés. » Or, selon lui, « après l’adoption de la nouvelle Constitution, des revendications extrêmes ont été avancées ».
Les effets de la « Révolution citoyenne » du président Correa (six victoires électorales consécutives) s’observent aussi dans le domaine économique, notamment avec la renégociation des contrats sur les hydrocarbures avec les multinationales. M. Juan Pérez, syndicaliste dans le secteur pétrolier explique : « Jadis, 70 % des bénéfices revenaient aux magnats du pétrole, et 30 % à l’Etat. C’est désormais l’inverse. Le gouvernement discute d’égal à égal avec les multinationales, et cherche une relation équilibrée entre la société, l’Etat et le marché ». Si le Parlement n’adopte pas la nouvelle loi réformant la Loi des hydrocarbures et fiscale (renégociation des contrats avec les compagnies pétrolières, pour que toute la production appartienne à l’Etat) (3), elle pourrait être soumise à consultation populaire.
Des réserves considérables de pétrole (850 millions de barils) ont été découvertes dans le sous-sol du Parc National du Yasuní (Amazonie). Afin d’en préserver la faune et la flore (endémiques), l’Equateur propose de ne pas exploiter ces gisements en échange d’une compensation internationale : « les pays riches doivent payer leur dette écologique », estime le M. Correa (4). Le 3 août 2010, Quito signera avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) un accord pour commencer à recueillir l’aide des pays qui soutiennent le projet. Toutefois, à part l’Allemagne, qui s’est engagée à hauteur de 50 millions d’euros par an sur treize ans, la « communauté internationale » fait la sourde oreille.
En Equateur – comme dans de nombreux pays d’Amérique latine –, les grands médias sont aux mains du secteur privé et donc… de l’opposition. C’est vrai de la télévision (chaînes 2, 4, 8, 10) et de la presse écrite (El Comercio, El Universo, El Expreso, El Mercurio, La Hora, Hoy sauf El Telégrafo). Pour ces organes de presse, la liberté d’expression n’a jamais été aussi vigoureuse. Ce n’est pas le point de vue de l’administration Correa.
Selon le journaliste Henry Ortiz, le projet de loi dite « de communication » vise à « mettre plus d’éthique et de pluralisme dans un univers de libertinage, de mercenariat, sans intervenir pour autant dans la ligne éditoriale des médias ». Si l’intention est louable, les bousculades au Parlement, la cacophonie, les divisions au sein du bloc majoritaire, ont desservi le projet. Les médias, qui bâillonnent le gouvernement, dénoncent, comble du cynisme, « la mordaza » (le bâillon) et les « mentalités totalitaires » d’un gouvernement qui ne respecterait pas la liberté… des grands groupes de presse.
Les classes populaires ne partagent pas la colère des classes dominantes. Et pour cause : toutes les études confirment une réduction de l’indice de pauvreté. Le taux de chômage a chuté de 8,6 % en 2009 à 7,7 % en juin 2010, en partie du fait des politiques publiques nationales qui contribuent, comme ailleurs en Amérique latine, à la sortie de crise. Les salaires ont été quasiment multipliés par deux : M. Galo Brunis, professeur à Babahoyo, gagnait 240 dollars (soit 185 euros) en 2007. Il en touche désormais 500 (soit 385 euros). L’Assemblée nationale propose une augmentation des pensions de retraite de 57 dollars (environ 43 euros). L’Etat attribue 5 000 dollars (soit 3 850 euros) non-remboursables aux familles pauvres qui souhaitent édifier leur logement.
M. Gustavo Larrea – ancien « numéro deux » de M. Correa, puis ministre de la Sécurité intérieure et extérieure en 2008, et aujourd’hui opposant en passe de créer son propre parti –, reconnaît au gouvernement une « politique sociale audacieuse, et une avancée historique en matière économique ». Pour preuve, selon lui, « le FMI ne fait plus la loi ». Mais il pointe du doigt « une révolution citoyenne sans citoyens », rejoignant en cela d’autres critiques, au sujet d’un « présidentialisme excessif (5) »…
Peut-être mais, petit pays au centre du monde, l’Equateur – fier de sa ligne équinoxiale – recherche un équilibre nouveau entre les « indigènes » et les « autres », entre les démunis et les puissants, et entre les Hommes et la Nature.
Loin du déchaînement médiatique de l’opposition – un « melting-pot » de droite dure, de gauche « démocratique », de partis sociaux-chrétiens et socialistes, où l’on trouve aussi l’ancien allié « indigéniste » de M. Correa, le Mouvement de l’unité plurinational Pachakutik-Nouveau Pays –, l’incertaine pirogue qui fend les flots tumultueux du fleuve Napo nous ouvre sur d’autres réalités.
Les Indigènes d’Ahuano, ce début d’Amazonie, sont nés avec le fleuve. Pablo, indien quichua, explique : « Avant, nous n’avions qu’une existence folklorisée. » Grâce à la nouvelle Constitution – approuvée en 2008 par 63,93 % des électeurs –, il se sent citoyen « à part entière ». Désormais, l’Equateur reconnaît les droits des communautés indigènes (25 % de la population), leurs langues, leurs cultures (14 nationalités), au même titre que les droits de la nature (chapitre 7 de la Constitution). L’objectif ? Atteindre « une nouvelle forme de coexistence citoyenne, en diversité et en harmonie avec la nature, pour parvenir au “buen vivir” [bien vivre] ou Sumak Kawsay » (préambule de la Constitution).
La construction d’un « Etat interculturel, plurinational » ne va pas sans accrocs. Le président Correa, au pouvoir depuis janvier 2007, est récemment intervenu contre certaines traditions de justice coutumière : la justice indigène « doit être régulée (1) » estime-t-il, rappelant que le droit commun, national, prime pour les délits majeurs. On passe parfois outre : début juillet, la communauté La Cocha (Cotopaxi) rendait elle-même justice. Plusieurs personnes étaient lynchées.
Un conflit ouvert oppose le président à la direction de la Confédération des Nationalités Indigènes d’Equateur (Conaie), dont le président, M. Marlon Santi, dénonce un « Etat dictatorial (2) ». M. Mario Conejo, maire indigène de la ville d’Otavalo depuis 2000, reconnaît que les torts sont partagés : « Je crois en une société interculturelle, et pas dans une société où il y aurait des institutions, un système de santé et d’éducation indigènes séparés. » Or, selon lui, « après l’adoption de la nouvelle Constitution, des revendications extrêmes ont été avancées ».
Les effets de la « Révolution citoyenne » du président Correa (six victoires électorales consécutives) s’observent aussi dans le domaine économique, notamment avec la renégociation des contrats sur les hydrocarbures avec les multinationales. M. Juan Pérez, syndicaliste dans le secteur pétrolier explique : « Jadis, 70 % des bénéfices revenaient aux magnats du pétrole, et 30 % à l’Etat. C’est désormais l’inverse. Le gouvernement discute d’égal à égal avec les multinationales, et cherche une relation équilibrée entre la société, l’Etat et le marché ». Si le Parlement n’adopte pas la nouvelle loi réformant la Loi des hydrocarbures et fiscale (renégociation des contrats avec les compagnies pétrolières, pour que toute la production appartienne à l’Etat) (3), elle pourrait être soumise à consultation populaire.
Des réserves considérables de pétrole (850 millions de barils) ont été découvertes dans le sous-sol du Parc National du Yasuní (Amazonie). Afin d’en préserver la faune et la flore (endémiques), l’Equateur propose de ne pas exploiter ces gisements en échange d’une compensation internationale : « les pays riches doivent payer leur dette écologique », estime le M. Correa (4). Le 3 août 2010, Quito signera avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) un accord pour commencer à recueillir l’aide des pays qui soutiennent le projet. Toutefois, à part l’Allemagne, qui s’est engagée à hauteur de 50 millions d’euros par an sur treize ans, la « communauté internationale » fait la sourde oreille.
En Equateur – comme dans de nombreux pays d’Amérique latine –, les grands médias sont aux mains du secteur privé et donc… de l’opposition. C’est vrai de la télévision (chaînes 2, 4, 8, 10) et de la presse écrite (El Comercio, El Universo, El Expreso, El Mercurio, La Hora, Hoy sauf El Telégrafo). Pour ces organes de presse, la liberté d’expression n’a jamais été aussi vigoureuse. Ce n’est pas le point de vue de l’administration Correa.
Selon le journaliste Henry Ortiz, le projet de loi dite « de communication » vise à « mettre plus d’éthique et de pluralisme dans un univers de libertinage, de mercenariat, sans intervenir pour autant dans la ligne éditoriale des médias ». Si l’intention est louable, les bousculades au Parlement, la cacophonie, les divisions au sein du bloc majoritaire, ont desservi le projet. Les médias, qui bâillonnent le gouvernement, dénoncent, comble du cynisme, « la mordaza » (le bâillon) et les « mentalités totalitaires » d’un gouvernement qui ne respecterait pas la liberté… des grands groupes de presse.
Les classes populaires ne partagent pas la colère des classes dominantes. Et pour cause : toutes les études confirment une réduction de l’indice de pauvreté. Le taux de chômage a chuté de 8,6 % en 2009 à 7,7 % en juin 2010, en partie du fait des politiques publiques nationales qui contribuent, comme ailleurs en Amérique latine, à la sortie de crise. Les salaires ont été quasiment multipliés par deux : M. Galo Brunis, professeur à Babahoyo, gagnait 240 dollars (soit 185 euros) en 2007. Il en touche désormais 500 (soit 385 euros). L’Assemblée nationale propose une augmentation des pensions de retraite de 57 dollars (environ 43 euros). L’Etat attribue 5 000 dollars (soit 3 850 euros) non-remboursables aux familles pauvres qui souhaitent édifier leur logement.
M. Gustavo Larrea – ancien « numéro deux » de M. Correa, puis ministre de la Sécurité intérieure et extérieure en 2008, et aujourd’hui opposant en passe de créer son propre parti –, reconnaît au gouvernement une « politique sociale audacieuse, et une avancée historique en matière économique ». Pour preuve, selon lui, « le FMI ne fait plus la loi ». Mais il pointe du doigt « une révolution citoyenne sans citoyens », rejoignant en cela d’autres critiques, au sujet d’un « présidentialisme excessif (5) »…
Peut-être mais, petit pays au centre du monde, l’Equateur – fier de sa ligne équinoxiale – recherche un équilibre nouveau entre les « indigènes » et les « autres », entre les démunis et les puissants, et entre les Hommes et la Nature.
Jean Ortiz
Maître de conférences, Université de Pau et des Pays de l’Adour.
(1) El Telégrafo, 19 juillet 2010.
(2) El Comercio, 14 juillet 2010.
(3) El Telégrafo, 27 juillet 2010.
(4) Rafael Correa, Ecuador : de « Banana Republic » a « No República », ed. Debate, Bogotá, 2010, pp. 186-187.
(5) Interview de Germán Muenala, Otavalo, 15 juillet 2010.
(1) El Telégrafo, 19 juillet 2010.
(2) El Comercio, 14 juillet 2010.
(3) El Telégrafo, 27 juillet 2010.
(4) Rafael Correa, Ecuador : de « Banana Republic » a « No República », ed. Debate, Bogotá, 2010, pp. 186-187.
(5) Interview de Germán Muenala, Otavalo, 15 juillet 2010.
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