Vingt minutes : c’est le temps qu’il aura fallu au président Barack Obama pour limoger le général Stanley McChrystal, commandant en chef des troupes américaines et de l’OTAN en Afghanistan. Et pour remplacer l’élève par le maître : le général David Petraeus, qui était déjà patron du Commandement pour le Moyen-Orient (Centcom), c’est-à-dire de l’ensemble des troupes américaines dans le Golfe, en Irak et en Afghanistan. « On se moque de savoir qui commande, a fait aussitôt savoir Yousouf Ahmadi, un des porte-paroles réguliers du commandement taliban : nous combattrons les envahisseurs jusqu’à leur départ. »
Ancien chef des opérations spéciales de l’US Army, McChrystal – qui remplaçait le général David McKiernan, remercié par le président américain en juin 2009 – avait :
remis la population au cœur de la stratégie de l’OTAN ;
mis un frein aux frappes aériennes (génératrices de « bavures » et autres « dommages colatéraux ») ;
demandé aux GI’s de sortir des casernements (et donc de prendre des risques avec leur propre sécurité) ;
convaincu l’exécutif américain d’envoyer 30 000 hommes en renfort (au prix d’une périlleuse annonce de début de retrait à partir de l’été 2011) ;
banni l’alcool sur les bases de l’OTAN ;
fait fermer des postes dans les secteurs les plus reculés, pour concentrer davantage de forces au sein des zones peuplées ;
et poursuivi la politique "d’afghanisation" (armée et police).
La « grande offensive » lancée en février dernier dans la région rurale de Marjah, dans le Helmand (sud), un des bastions talibans, n’avait pas convaincu. Le général en préparait une autre, plus importante, sur Kandahar, mais qui - de son propre aveu - avait pris du retard. Les chefs militaires de l’OTAN avaient prévenu que les premiers signes positifs du changement de stratégie ne pourraient être constatés avant la fin 2010, au plus tôt.
Le général, à défaut de rencontrer l’assentiment des populations, semblait au moins avoir gagné la confiance du président afghan, M. Hamid Karzaï, ainsi que celle d’une majorité de diplomates et chefs militaires étrangers : « Avant McChrystal, c’était une basse-cour, remplie de poulets courant dans tous les sens, commente un diplomate cité par l’AFP. Aujourd’hui, tout le monde marche dans la même direction ». [1]
Le limogeage du général tient à ses propos imprudents et cavaliers (dits « d’après-boire » !) recueillis par le périodique Rolling Stones, qui ne témoigneraient pas de « l’unité dans l’effort » exigée par la situation… et par le président américain. Mais McChrystal est aussi victime de la dégradation du contexte sécuritaire de ces dernières semaines : dès avant le 23 juin, on savait que ce mois serait le plus meurtrier pour les forces internationales (79 morts). A trois reprises, ce mois-ci, une dizaine de soldats de l’OTAN sont morts durant une même journée. Depuis le début de l’année, la coalition a essuyé plus de 300 pertes, ce qui laisse augurer d’une année plus difficile que 2009, considérée comme « l’année terrible » (520 morts).
ce général - un des plus décorés de l’armée américaine - avait réussi à retourner partiellement la situation en Irak, à partir de 2007, en saisissant l’opportunité de s’appuyer sur le ralliement des chefs de tribus sunnites (la branche ethno-religieuse à la quelle se rattachait le régime de Saddam Hussein, ainsi que la majorité de la population de la région de Bagdad).
Il est aussi le chef militaire qui, dès 2006, avait fait de son manuel de contre-insurrection un outil politico-militaire, porteur d’une alternative. Depuis – a relevé le colonel Michel Goya, de l’IRSEM, lors des Assises de la recherche stratégique, à Paris, le 24 juin dernier –, les experts en contre-insurrection débattent de cette question des tribus, et de leur place dans une stratégie de reconquête « du cœur et des esprits ».
Petraeus se retrouve à la tête d’un contingent militaire étranger en Afghanistan désormais plus important que celui d’ Irak, mais qui – au fil des renforts décidés par le président Obama – est de plus en plus américain : la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) qui regroupe les contingents de l’OTAN – une armée de Babel, quasi ingouvernable en raison de l’hétérogénéité des règles d’engagement (extrêmement restrictives pour le Japon, très limitatives pour les troupes allemandes, etc.) – sera désormais très minoritaire, et de plus en plus cantonnée aux tâches de formation, entraînement, conseil de l’armée et de la police afghanes.
Le secrétaire à la défense a rappelé que « l’armée afghane devrait être prête à assumer des responsabilités de base en matière de sécurité dans certaines régions d’Afghanistan d’ici un an, à compter de juillet 2011 ». Le général Petraeus, entendu par une commission du Sénat à la mi-juin, avait assorti le début de retrait des militaires américains d’une série de conditions : il sera en première ligne pour les valider sur le terrain ...
La nomination du « sauveur de l’Irak » est sans doute une des dernières cartouches dont dispose le président Obama, afin de « finir le travail » – pour reprendre une expression souvent utilisée dans le milieu militaire. Mais cette valse des grands chefs [3] , intervenant quelques mois après une autre, fait tout de même désordre, dans le contexte dramatique du moment. Elle souligne également, par défaut, combien les Européens et autres alliés au sein de l’OTAN sont à la remorque des Américains, dans ce conflit où ces derniers décident de tout.
Pendant ce temps, une enquête effectuée par cette même commission du Congrès américain a établi qu’en sous-traitant à des entreprises privées la protection des convois américains d’armes et de ravitaillement en Afghanistan, le Pentagone finançerait indirectement les chefs de guerre et peut-être même les talibans !
remis la population au cœur de la stratégie de l’OTAN ;
mis un frein aux frappes aériennes (génératrices de « bavures » et autres « dommages colatéraux ») ;
demandé aux GI’s de sortir des casernements (et donc de prendre des risques avec leur propre sécurité) ;
convaincu l’exécutif américain d’envoyer 30 000 hommes en renfort (au prix d’une périlleuse annonce de début de retrait à partir de l’été 2011) ;
banni l’alcool sur les bases de l’OTAN ;
fait fermer des postes dans les secteurs les plus reculés, pour concentrer davantage de forces au sein des zones peuplées ;
et poursuivi la politique "d’afghanisation" (armée et police).
La « grande offensive » lancée en février dernier dans la région rurale de Marjah, dans le Helmand (sud), un des bastions talibans, n’avait pas convaincu. Le général en préparait une autre, plus importante, sur Kandahar, mais qui - de son propre aveu - avait pris du retard. Les chefs militaires de l’OTAN avaient prévenu que les premiers signes positifs du changement de stratégie ne pourraient être constatés avant la fin 2010, au plus tôt.
Le général, à défaut de rencontrer l’assentiment des populations, semblait au moins avoir gagné la confiance du président afghan, M. Hamid Karzaï, ainsi que celle d’une majorité de diplomates et chefs militaires étrangers : « Avant McChrystal, c’était une basse-cour, remplie de poulets courant dans tous les sens, commente un diplomate cité par l’AFP. Aujourd’hui, tout le monde marche dans la même direction ». [1]
Le limogeage du général tient à ses propos imprudents et cavaliers (dits « d’après-boire » !) recueillis par le périodique Rolling Stones, qui ne témoigneraient pas de « l’unité dans l’effort » exigée par la situation… et par le président américain. Mais McChrystal est aussi victime de la dégradation du contexte sécuritaire de ces dernières semaines : dès avant le 23 juin, on savait que ce mois serait le plus meurtrier pour les forces internationales (79 morts). A trois reprises, ce mois-ci, une dizaine de soldats de l’OTAN sont morts durant une même journée. Depuis le début de l’année, la coalition a essuyé plus de 300 pertes, ce qui laisse augurer d’une année plus difficile que 2009, considérée comme « l’année terrible » (520 morts).
Armée de Babel
Petraeus est l’homme du « surge » (le sursaut, le retournement de situation, la montée en puissance), la politique finalement endossée par le président Obama :ce général - un des plus décorés de l’armée américaine - avait réussi à retourner partiellement la situation en Irak, à partir de 2007, en saisissant l’opportunité de s’appuyer sur le ralliement des chefs de tribus sunnites (la branche ethno-religieuse à la quelle se rattachait le régime de Saddam Hussein, ainsi que la majorité de la population de la région de Bagdad).
Il est aussi le chef militaire qui, dès 2006, avait fait de son manuel de contre-insurrection un outil politico-militaire, porteur d’une alternative. Depuis – a relevé le colonel Michel Goya, de l’IRSEM, lors des Assises de la recherche stratégique, à Paris, le 24 juin dernier –, les experts en contre-insurrection débattent de cette question des tribus, et de leur place dans une stratégie de reconquête « du cœur et des esprits ».
Petraeus se retrouve à la tête d’un contingent militaire étranger en Afghanistan désormais plus important que celui d’ Irak, mais qui – au fil des renforts décidés par le président Obama – est de plus en plus américain : la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) qui regroupe les contingents de l’OTAN – une armée de Babel, quasi ingouvernable en raison de l’hétérogénéité des règles d’engagement (extrêmement restrictives pour le Japon, très limitatives pour les troupes allemandes, etc.) – sera désormais très minoritaire, et de plus en plus cantonnée aux tâches de formation, entraînement, conseil de l’armée et de la police afghanes.
Exagérément négative
Officiellement, il n’est pas question de changer la stratégie dite « globale » qui a été adoptée par les Alliés au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, et confirmée au sommet de Strasbourg-Kehl en 2009. Le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, relevait à la mi-juin « des progrès », et soulignait que la nouvelle stratégie américaine n’était en œuvre que depuis quatre mois, l’ensemble des renforts annoncés n’étant pas encore à pied d’œuvre. Il jugeait alors « tragique mais inévitable » que de nouvelles victimes soient à déplorer parmi les soldats américains, alors que les troupes avancent vers des zones tenues par les talibans : « C’est dur et nous subissons des pertes significatives comme nous l’anticipions », a déclaré quelques jours plus tard Robert Gates, pour qui « la situation est dépeinte d’une manière exagérément négative ». [2]Le secrétaire à la défense a rappelé que « l’armée afghane devrait être prête à assumer des responsabilités de base en matière de sécurité dans certaines régions d’Afghanistan d’ici un an, à compter de juillet 2011 ». Le général Petraeus, entendu par une commission du Sénat à la mi-juin, avait assorti le début de retrait des militaires américains d’une série de conditions : il sera en première ligne pour les valider sur le terrain ...
La nomination du « sauveur de l’Irak » est sans doute une des dernières cartouches dont dispose le président Obama, afin de « finir le travail » – pour reprendre une expression souvent utilisée dans le milieu militaire. Mais cette valse des grands chefs [3] , intervenant quelques mois après une autre, fait tout de même désordre, dans le contexte dramatique du moment. Elle souligne également, par défaut, combien les Européens et autres alliés au sein de l’OTAN sont à la remorque des Américains, dans ce conflit où ces derniers décident de tout.
Pendant ce temps, une enquête effectuée par cette même commission du Congrès américain a établi qu’en sous-traitant à des entreprises privées la protection des convois américains d’armes et de ravitaillement en Afghanistan, le Pentagone finançerait indirectement les chefs de guerre et peut-être même les talibans !
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