Le fameux “miracle chilien » repose sur trois piliers : les prix élevés du cuivre, la production de cellulose impulsée par la dictature de Pinochet, et l’industrie du saumon, qui s’est développée depuis le retour de la démocratie. Mais la surexploitation a provoqué une grave crise sanitaire, environnementale, sociale et économique.
À un peu plus de mille kilomètres au sud de Santiago, vers Puerto Montt, après avoir traversé le canal de Chacao, surgit cette île fantastique, Chiloé. Chiloé aux paysages de plaines et de collines où se mélangent les tons de verts du fait des abondantes pluies australes. Au printemps, à cette symphonie de verts s’ajoutent d’innombrables fleurs sauvages, jaunes, violettes et rouges, alors que sur les collines surgissent les chênes, les noisetiers, la myrte ou la rhubarbe.
Ces bois sur lesquels tombent chaque années 2500 mm de pluie, sont tapissés de fougères et de mousses, qui, aux pieds des espèces d’arbres natives, donnent un environnement plutôt mystérieux. La grande biodiversité de l’île et l’existence d’espèces animales et végétales endémiques ont impressionné Charles Darwin au 19ème siècle, qui crut que la pomme de terre était originaire de Chiloé. Même s’il a été démontré plus tard qu’elle est originaire du Pérou, 400 variétés différentes sont encore conservées sur l’île, à partir desquelles ont été obtenues la majorité de pommes de terre qui sont aujourd’hui consommées dans le monde.
Mais l’isolement dû à l’insularité n’a pas seulement permis l’apparition et la conservation d’une impressionnante diversité de la vie, incarnée par cheval chilote qui mesure 1,25 mètre de haut, ou le pudú, le cerf le plus petit du monde. L’isolement a aussi fait que les Chilotes préservent des tournures linguistiques propres, leur artisanat, la pêche artisanale et une architecture particulière, qui fait appel à des tuiles de bois. Les églises, d’inspiration bavaroise, et les pilotis, indiquent que les traditions ont perduré plus longtemps ici que dans d’autres régions.
Ce paradis enclavé dans l’extrémité sud orientale de l’océan pacifique est une des cinq aires marines les plus productives au monde. D’après le rapport de l’organisation environnementaliste Ecoceanos[1], « bien qu’elle représente moins de 1% de la superficie des océans, les volumes pêchés représentent 25% des tonnages mondiaux ». Une telle productivité ne peut qu’attirer les investisseurs du monde entier, avides de juteux profits.
Il y a quinze ans, l’île de Chiloé et la région autour de Puerto Montt ont connu une forte croissance de l’aquaculture, plus particulièrement l’élevage du saumon. Les investissements considérables réalisés par des entreprises d’Europe du nord et du Japon ont fait croître la salmoniculture chilienne de 15% par an. La production a été multipliée par 13 en quinze ans. En 2007, le Chili exportait pour 2,5 milliards de dollars de saumons vers les Etats-Unis, le Japon et l’Union Européenne. Ainsi, ce poisson joue un rôle clé dans la croissance de 70% des exportations nationales. Aux côtés du cuivre et de la cellulose, le saumon prend une part active dans le « miracle chilien[2] ».
Le Chili est aujourd’hui le cinquième pays au monde en tonnage de produits issus de la mer, le septième exportateur de produits de pêche et le deuxième exportateur de saumons d’élevage derrière la Norvège. Il y a une seule raison à cette impressionnante croissance : le Chili est le pays où les coûts de production du saumon sont les plus bas au monde.
Le talon d’Achille
Le 27 mars 2008, The New York Times publiait un article intitulé « Un virus chez les saumons révèle les méthodes de pêche au Chili[3] ». Un gros scandale. L’article attirait l’attention sur les millions de saumons qui étaient en train de mourir du virus ISA (anémie infectieuse du saumon), et sur le licenciement de milliers de travailleurs que la crise sanitaire avait provoqué.
« L’élevage des saumons dans des enclos sous-marins est en train de contaminer des eaux qui il y a peu étaient pures, et de produire des poissons potentiellement insalubres » précisait l’article. Le professeur Felipe Cabello, du département de microbiologie et d’immunologie de l’école de médecine de New York, signalait « le manque de contrôle sanitaire » et expliquait que les infections parasitaires, virales et mycotiques « se transmettent quand les poissons sont stressés et que les enclos sont très proches les uns des autres ». De plus, il assurait qu’au Chili, il est fait usage de dosages élevés d’antibiotiques pour les poissons, dont certains d’entre eux sont interdits aux Etats-Unis.
Sachant que 30% des exportations de saumon chilien arrivent aux Etats-Unis, la révélation du Times s’est révélée désastreuses. L’entreprise norvégienne Marine Harvest, la plus grande productrice de saumons d’élevage au monde, qui exporte 20% du saumon chilien, reconnût que ses élevages étaient à l’origine du virus ISA, et qu’elle utilisait des doses élevées d’antibiotiques au Chili. « Les biologistes et les défenseurs de l’environnement affirment que les excréments des saumons et l’alimentation en granulés absorbent l’oxygène de l’eau. Ils causent ainsi la mort d’autres espèces marines et participent à la propagation de maladies », signalait l’article.
La réponse apportée par la plus grande entreprise au monde, devant l’observation des problèmes environnementaux et sanitaires provoqués, attire l’attention : « Comme on faisait beaucoup d’argent et que tout se passait bien, il n’y avait pas de raison d’adopter des mesures plus strictes » déclarait au Times Arne Hjeltnes, le porte-parole de Marine Harvest à Oslo[4].
En 2005, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait déjà émis un rapport critiquant sévèrement l’industrie chilienne du saumon sur trois points notamment : la fuite d’un million de poissons par an, l’utilisation de fongicides comme le vert de malachite, un produit cancérigène interdit depuis 2002, et l’usage excessif d’antibiotiques. Le professeur Felipe Cabello estime que le Chili utilise entre 70 et 300 fois plus d’antibiotiques que la Norvège, et qu’il existe au Chili un marché noir d’antibiotiques pour saumons[5].
Les jours suivants, le gouvernement de Michelle Bachelet appuya l’industrie du saumon, préoccupé par le contexte commercial et par une éventuelle chute des exportations[6]. Malgré tout, la production chuta de 30 à 50% et 20.000 des 50.000 travailleurs du secteur furent licenciés. L’industrie du saumon entra dans une crise grave ; elle s’était endettée auprès des banques qui commencèrent à réclamer qu’on les rembourse, ce qui était devenu impossible du fait de la chute de la production.
Pourtant, plusieurs travaux de recherche avaient anticipé tout ce qui est arrivé ces dernières années (le virus a été découvert en juillet 2007).
Les coûts les plus bas du monde
Les mauvaises conditions de travail des 50.000 employés du secteur sont la première explication des bas coûts de production du saumon chilien. La salmoniculture enregistre les taux d’accident les plus élevés du pays ; il a été constaté qu’entre février 2005 et juin 2007, 42 travailleurs du secteur sont morts ou ont disparu en mer, d’après des données de la Marine chilienne et de la Direction nationale du travail. Entre 2003 et 2005, des inspections du travail prévues à l’avance ont été réalisées à 572 reprises, et même dans ces conditions, des amendes ont été infligées aux entreprises dans 70% des cas[7].
Les principaux problèmes rencontrés relèvent de l’hygiène et de la sécurité au travail, tant sur les lieux de « pêche » (d’énormes cages sous-marines) que sur les chaînes de transformation du poisson. Deux tiers des entreprises saumonières violent la législation du travail, alors que le travail informel occupe une place importante, notamment en ce qui concerne les tâches les plus dangereuses. Les femmes, qui représentent 70% des travailleurs du secteur et 90% sur les chaînes de production, souffrent du froid, de l’humidité, de la promiscuité ; on tente même de limiter leur accès aux toilettes. Ces pratiques ont également été observées auprès de femmes enceintes, certaines d’entre elles ont été licenciées.
Les plongeurs assurent les tâches les plus périlleuses. Des 4.000 plongeurs qui travaillaient en 2007, seuls 100 disposaient d’une formation certifiée d’après des normes internationales[8]. La sous-traitance, la pression et les menaces que pratiquent les chefs d’entreprises font que seuls 13 à 15% des travailleurs sont affiliés à un syndicat.
Mais les ouvriers ne sont pas les seuls à se plaindre. Les entreprises touristiques et les pêcheurs artisanaux souffrent aussi de la salmoniculture. Jusqu’en 2005, presque 5.000 hectares avaient été concédés aux saumoneries sur le bords des lacs, dans les fjords, les canaux et les estuaires (Marine Harvest contrôlait 1.215 ha). Autrement dit, elles occupaient les sites où se rendent les touristes et où pêchent les communautés locales.
Les gens se plaignent de la pollution et des fuites massives de saumons (2 millions de poissons se sont échappés en 2004), qui contribuent à la propagation de maladies contagieuses à d’autres espèces et aux humains, et qui menacent la survie des espèces sauvages. Mais c’est l’usage massif d’antibiotiques qui est le plus préoccupant et le plus scandaleux.
Le professeur Cabello soutient que l’usage d’antibiotiques dans la pisciculture peut stimuler la résistance bactérienne et ainsi provoquer la génération de souches résistantes affectant les humains et les poissons[9]. Au Japon et aux Etats-Unis, des résidus d’antibiotiques ont plusieurs fois été détectés dans les saumons chiliens. Un des objectifs de l’utilisation d’antibiotiques est le contrôle de la septicémie hémorragique virale. Les entreprises font usage de quinolones, mais la résistance bactérienne à ces substances croît de façon alarmante dans le monde entier.
Lors du séminaire organisé par Ecoceanos en mars 2007 à Puerto Montt, le directeur de l’école de chimie et de pharmacie de l’université australe, présenta des preuves convaincantes sur la croissance de la résistance bactérienne dans les hôpitaux de Puerto Montt et de Castro, sur l’île de Chiloé. De 1999 à 2003, la résistance au ciprofloxacine passa de 2,6 à 9% à Puerto Montt, alors qu’elle passa de 4,4 à 8,3% à Castro[10].
Les saumoneries ont décidé de diminuer leurs coûts et de travailler au maximum de leur capacité productive. Conséquences : « Leur apport à la recherche scientifique a été infime, elles ont engendré des concentrations de salmonidés très élevées dans les centres de culture, elles ont employé de manière indiscriminée et sans rotation des antiparasitaires comme l’emamectine benzoate et des antimicrobiens. Elles ne se sont jamais préoccupé du respect des aspects les plus élémentaires de la gestion environnementale et sanitaire[11] ».
Par ailleurs, d’autres problèmes environnementaux graves sont liés à l’usage des filets de pêche et aux rejets. En 2005, dans la région de Aysén au sud de Chiloé, 100% des usines de fabrication de filets ont reçu des amendes de la part des autorités environnementales chiliennes, car ils ne respectent pas les normes internationales. La même année, dans la région de Lagos (où se situe Puerto Montt), 50% des saumoneries ont été verbalisées pour mauvais traitements des résidus industriels liquides. En 2006, aucune décharge industrielle de Los Lagos ne remplissait les normes, ce qui a conduit à la fermeture de 30 d’entre elles, sur les 49 existantes.
Juans Carlos Cárdenas, vétérinaire et directeur de Ecoceanos, affirme que « les multinationales européennes font au Chili ce qui leur est interdit dans leurs pays[12] ». Il pense que le sud du Chili est une des dernières zones d’expansion des multinationales de la pêche, minières et forestières. Les région de Puerto Montt et de Chiloé présentent des avantages comparatifs par rapport à l’Europe du nord parce l’eau y est moins froide, et par conséquent la productivité du saumon y est supérieure. C’est la concentration qui est à l’origine des problèmes de pollution. « Ici, sur 300 kilomètres, il y a 600 centres de salmonicultures qui produisent 120 millions de poissons. En Norvège, les mêmes quantités sont produites sur 1000 kilomètres », explique Cárdenas.
Les saumons grandissent dans des cages circulaires de 30 mètres de diamètre sur 60 mètres de profondeur. Cette culture intensive a conduit les exportations de saumons à passer de 190 millions de dollars en 1991 à 2,4 milliards en 2008. Les prix sont imbattables : le Chili produit des saumons à 2,9 dollars le kilo alors que le prix sur le marché international est de 7,9 dollars. « Mais ici au Chili, le kilo de saumon se vend à 10 dollars en supermarché, c’est plus cher qu’à New York », affirme Cárdenas.
Maintenant que les régions de Puerto Montt et de Chiloé sont contaminées, les saumoneries cherchent à aller plus au sud, vers les régions de Aysén et de Magallanes. Mais la contamination suit les mêmes sentiers, à tel point que le virus ISA a déjà été détecté dans ces zones, ce qui indique que la maladie s’est étendue sur 2.000 kilomètres de côtes en dix mois, d’après Cárdenas. « Rien de cela ne serait arrivé si l’État avait joué son rôle et si la corruption n’atteignait pas des niveaux si élevés », ajoute-t-il.
Cela semble évident au regard d’une seule donnée tirée du dernier rapport annuel de Marine Harvest : en 2007, l’entreprise a utilisé 0,02 gramme d’antibiotiques par tonne de saumon produite en Norvège. La même année, elle a utilisé 732 grammes par tonne produite au Chili. En 2008, 0,07gramme en Norvège et 560 grammes au Chili[13]. Soit 36.000 fois plus en 2007 et 8.000 fois plus en 2008, sans qu’aucune autorité formule la moindre remarque ou la moindre question.
En juillet dernier, à la demande de l’organisation Oceana, le gouvernement chilien a déclassé un rapport de 2008 qui signale que l’industrie chilienne du saumon a utilisé 325 tonnes de produits pharmaceutiques, pendant que la Norvège, leader du marché mondial utilisait une tonne seulement. Le rapport assure que presque 40% des antibiotiques utilisés appartiennent à la famille des quinolones, un produit interdit par l’Administration des denrées alimentaires et des médicaments (FDA, Food and Drug Administration) aux États-Unis[14].
Le professeur Cabello soutient qu’il est démontré que le virus ISA fut introduit au Chili en 1996, probablement depuis la Norvège. Sa dissémination « a vraisemblablement été facilitée par d’importantes populations de virus générées par les pernicieuses conditions sanitaires présentes dans l’élevage des salmonidés au Chili[15] ». D’un point de vue biologique, il compare les faits chiliens aux influences porcine et aviaire.
La privatisation de l’océan
« Ils sont en train de transformer les biens communs en capital financier », fait remarquer Lucio Cuenca, de l’Observatoire latino-américain des conflits environnementaux[16]. Cela dure depuis des années avec le consentement total des autorités. Un exemple : en avril 2007, la Chambre des députés a approuvé un rapport de la Commision de pêche, d’agriculture et des ressources naturelles, qui soutenait que l’industrie chilienne du saumon « travaille selon les niveaux élevés d’exigence des standards mondiaux (environnementaux inclus), déterminés par les marchés modernes auxquels elle s’adresse ».
Le rapport a été approuvé par 67 voix pour, une voix contre et une abstention. Trois mois plus tard, l’épidémie du virus ISA était déclarée, et nombreux étaient ceux qui assuraient que l’existence de la maladie était occultée depuis longtemps déjà. Quoi qu’il en soit, l’omission du Parlement chilien est évidente.
Récemment, un fait s’est produit qui met en évidence tous ces problèmes. Felipe Sandoval fut sous-secrétaire du ministère de la Pêche sous le gouvernement de Ricardo Lagos (2000-2006), poste à partir duquel il a impulsé la privatisation de l’industrie étatique de la pêche. Actuellement il est secrétaire exécutif de la Table du saumon et de la corporation aquicole, qui réunit les entrepreneurs et l’État pour repositionner l’industrie du saumon. Il représente la présidente Michelle Bachelet pour les questions liées au saumon.
Le 5 février 2009, l’Inspection des finances de la région de Valparaíso a accusé Sandoval d’avoir abusé du principe de probité administrative en faisant usage de 740.000 dollars d’argent public en notes de services fausses ou falsifiées, alors qu’il était sous-secrétaire de la Pêche. L’accusation de l’organisme de contrôle a été rendue publique au moment où une nouvelle loi sur la pêche et l’agriculture, rédigée sur mesure pour les entrepreneurs, était débattue au Parlement. Le 21 juillet, le gouvernement de Michelle Bachelet a émis un décret suprême par lequel il absout Sandoval des charges qui pesaient contre lui, argumentant que sa responsabilité est caduque du fait du temps qui s’est écoulé.
D’après le rapport de Ecoceanos News du 3 août, Sandoval a géré depuis son poste de sous-secrétaire de la Pêche, des crédits de 450 millions de dollars destinés à l’industrie du saumon, comptant avec 60% d’aval des contribuables chiliens. Dans ce cas précis, l’État travaille en faveur de l’industrie, alors que celle-ci a démontré son incapacité à respecter la législation du travail, environnementale et sanitaire.
La loi de la pêche cherche la réactivation de l’industrie du saumon par la cession à vie de droits sur le territoire maritime à des entreprises privées[17]. D’après le ministre de l’Économie, Hugo Lavados, la loi permet « le droit d’usage et de jouissance » de l’espace maritime et côtier pour les entreprises. De cette manière, elles s’approprient un bien hypothécable, élément décisif pour que les banques concèdent de nouveaux prêts et refinancent les dettes. Juan Carlos Cárdenas affirme que les articles 81 et 81 bis permettent « aux entreprises endettées de pouvoir hypothéquer des biens nationaux d’utilité publique, comme les concessions aquicoles, grâce aux banques de crédits ».
Le candidat aux élections présidentielles de décembre, le sénateur Marco Enríquez-Ominami, comme d’autres parlementaires, affirme que la loi « privatise la mer en remettant aux saumoneries des concessions aquicoles à vie et hypothécables ». En cela, il la considère « inconstitutionnelle[18] ».
Fin juillet, le Sénat a interposé 160 observations à la loi de la pêche, ce qui a enthousiasmé les défenseurs de l’environnement qui ne s’attendaient pas à une opposition aussi forte. « Ce qui s’est passé au Sénat est un pas important franchi contre l’inconstitutionnalité, l’impunité et la tentative de vol de nos biens nationaux d’utilité publique », a déclaré Cárdenas.
Pendant ce temps, il y a ceux qui investissent en pleine crise du saumon. Marine Harvest a annoncé que malgré les pertes qu’elle enregistre au Chili, elle s’apprête à acheter des saumoneries chiliennes pour participer au processus de restructuration de l’industrie, vu que chaque crise offre des « opportunités » (achats, ventes, fusions) comme l’a reconnu Jorgen Andersen, le président de l’entreprise[19].
Dans la mesure où le Chili a signé des accords de libre échange avec 24 pays, où les élites soutiennent, d’après les propos de Lucio Cuenca, « une projection stratégique qui amène le Chili à se convertir en puissance alimentaire », tout indique que la salmoniculture va continuer de croître. Les régions les plus australes, où les entreprises sont en train de se déplacer, peuvent se regarder dans un miroir, elles y verront Chiloé. Il y a quinze ans, l’île était habitée par des petits agriculteurs, des éleveurs et des artisans pêcheurs. « Aujourd’hui ils sont devenus des ouvriers qui dépendent de l’industrie transnationale », font remarquer les membres de Ecoceanos.
« À moins que – ajoute Lucio Cuenca – le processus de politisation en cours, soutenu par des dizaines de petites luttes contre la contamination des productions de minéraux, de saumons et de cellulose, et qui a déjà obtenu que des questions stratégiques comme celle de l’eau figure dans l’agenda public, continue de croître jusqu’à ce qu’un véritable mouvement social se mette en marche ». Les critiques qui fusent dans les couloirs du Sénat reflètent dans une bonne mesure cette nouvelle politisation de la société chilienne.
Notes :
[1] Radiografía de la industria del salmón en Chile. Rapport rédigé par Patricio Igor Melillanca et Isabel Díaz Medina, Ecoceanos, 2007, p. 5.
[2] Idem.
[3] Salmon Virus Indicts Chile’s Fishing Methods. Alexei Barrionuevo, The New York Times, 27 mars 2008.
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Reuters, 2 avril 2008.
[7] Radiografía de la industria del salmón en Chile. Rapport rédigé par Patricio Igor Melillanca et Isabel Díaz Medina, Ecoceanos, 2007, p. 10.
[8] Idem, p. 14.
[9] Heavy use of prophilactic antibiotics in acquaculture: a growing problem for human and animal health and for the environment. Felipe C. Cabello in Environmental Microbiology, 2006, cité dans Radiografía de la industria del salmón en Chile. Rapport rédigé par Patricio Igor Melillanca et Isabel Díaz Medina, Ecoceanos, 2007, p. 28.
[10] Idem, p. 30.
[11] Idem.
[12] Entretien personnel.
[13] Marine Harvest Sustainability Report 2008. p. 16.
[14] Sergio Jara Román, ob cit.
[15] Felipe Cabello, ob cit.
[16] Entretien personnel.
[17] Agence Xinhua, 31 juillet 2009.
[18] Ecoceanos News, 5 août 2009.
[19] La Tercera, 15 juillet 2009.
Article original publié en anglais par Programa de las Américas, Consecuencias del « milagro chileno »: Las salmoneras y la privatización del mar, le 17 août 2009.
Traduit et publié en français par info sud télé.
Chili : le saumon pollue la vie des chiliens et de leur océan
Pas un jour sans que la presse chilienne ne parle du saumon. Grève, pollution, fugue, moratoire, manifestation, maladie isa, licenciement, exportation, multinationale, subvention, concentration, Norvège. Le saumon, ce poisson originaire de l'hémisphère Nord fait la « une » de l’actualité alors qu’il ne représente rien dans la culture marine si riche du Chili. Il y aurait beaucoup à dire sur les espèces autochtones tant les productions halieutiques sont abondantes et variées sur cette côte du Pacifique baignée par le courant bienfaiteur de Humbolt.
Une culture marine originale…
Qui a séjourné au Chili, mangé dans les petites gargotes sur les marchés et longé les côtes de caleta en caleta (de port en port), mesurera la richesse de cette mer et son importance pour la subsistance des milliers de pêcheurs et des dizaines de communautés littorales. Il comprendra aussi leur attachement à cette culture marine si bien traduite par le conteur et nouvelliste, Francisco Coloane, fils de chasseur de baleines, et lui-même pêcheur.
Les côtes chiliennes qui se déroulent sur une longueur de plus de 5000 km, recèlent une grande variété de produits de la mer très originaux qui démarquent la cuisine chilienne des autres :
- Curanto à Puerto Montt et à Chiloe (association de coquillages et viandes avec des pommes de terre cuit à l’étouffée dans un trou),
- Ceviche de almejas à Antofagasta (préparation à base de « grosse palourde »),
- Centolla à Punta Arenas (grosse araignée pêchée dans les fjords australs),
- Merluza frita à la Caleta Portales -Valparaiso (merlu frit dégusté directement dans le restaurant des pêcheurs artisanaux en haut de la plage),
- Caldillo de congrio à San Antonio (Pablo Neruda avait dédié un poème à ce plat traditionnel à base de congre),
- Erizo et piure à Chiloe (oursin et ascidie mangés crus et fortement iodés),
- Et toujours à Chiloe, tout autour de cette île, les animaux marins ont développé de grandes dimensions : les couteaux, les palourdes (almejas), les bulots (caracoles), les ormeaux (locos) et surtout les moules géantes (choros zapatos de plus de 20 cm) et les balanes géantes (picorocos d’une chaire délicate).
…Polluée par le saumon
C’est dans ce royaume des produits de la mer à Chiloe que les élevages de saumon ont commencé à s’installer dans les années 1980. Petit à petit, les cages à saumons, le Salar de l’Atlantique et le Coho du Pacifique Nord, vont coloniser toutes les baies, tous les fjords et autres côtes abritées de cette région côtière de la Patagonie chilienne.
Sous l’impulsion d’investisseurs chiliens et surtout étrangers (de Norvège), le Chili est devenu, en quelques années, l’un des plus grands pays aquacoles dans le monde en entrant dans le club des 10 grands producteurs rien qu’avec le saumon. Malgré les dysfonctionnements et le mal-développement dénoncés par les associations environnementalistes, les organisations de pêcheurs artisanaux et les associations des droits de l’homme, la course frénétique à la production devait faire du Chili, le leader mondial du saumon en 2008, devant le pionnier norvégien.
Mais la machine infernale à produire s’est enraillée. Dès la fin de l’année 2007, une maladie avait touché quelques élevages à Chiloe dans la zone à la plus forte concentration de saumon au monde. C’était un avertissement auquel les éleveurs ne tinrent pas compte tant ils étaient sûrs d’eux. Mais la maladie « ISA » était bien ancrée, et elle se diffusa au cours de l’année 2008 dans tous les élevages et contre toute attente jusqu’au Sud du pays à plus de 2000 km de son foyer, en Terre de feu qui est considérée comme la future grande région de la salmoniculture chilienne.
A la fin de l’année écoulée, des milliers ouvriers piscicoles sont mis sur le carreau. Grèves et manifestations se multiplient. En pleine crise financière mondiale, le gouvernement chilien vient au secours des entrepreneurs en injectant dans la filière une somme considérable pour le pays : 450 millions de US$. Cette aide est condamnée par les organisations de la pêche artisanale, représentées au niveau national par la CONAPACH (Confédération nationale à la pêche artisanale chilienne) car cette subvention ne règlera pas les problèmes fondamentaux de cette activité aquacole au développement industriel, à savoir :
- la pollution environnementale et infectieuse, avec la modification des écosystèmes côtiers, et la transmission des maladies dans le milieu naturel. Des milliers de saumons d’élevage s’échappent chaque année et mettent en péril les poissons sauvages à qui ils transmettent des parasites,
- la pollution alimentaire, une menace pour la sécurité alimentaire locale avec le rejet de produits chimiques, de matières fécales et d'aliments piscicoles dans le milieu aquatique : (1) produits chimiques anti-salissures, (2) antibiotiques, (3) colorants, (4) des tonnes d'azote et de phosphore favorisant le développement d'algues toxiques,
- la pollution sociale et culturelle à savoir : (1) non respect des règles de sécurité et infractions aux droits du travail, (2) menaces sur les économies locales, (3) dégradation des ressources alimentaires traditionnelles, (4) non respect des droits des pêcheurs artisanaux.
En désespoir de cause, certains prédisent la fin du saumon au Chili comme Francisco Marin dans un article publié en novembre 2008 dans El Ciudadano : Salmoneras Asquerosas : El Fin de un sucio negocio (Salmonicultures dégoutantes : la fin d'une activité "sale"). La Conapach qui regroupent près de 60 000 pêcheurs, vient de rappeler au gouvernement chilien dans un communiqué de presse du 9 janvier 2008 (Prensa CONAPACH) tous les méfaits de la salmoniculture sur les communautés littorales.
Mais seront-ils écoutés en cette période où il est programmé d'augmenter les concessions d'élevage en mer ?
Philippe FAVRELIERE
Autres articles : Saumon de Norvège, en maître sur la salmoniculture mondiale, toujours aux petits soins des consommateurs français
Articles sur le sujet :
- Dossier : Saumon / Salmoniculture
- Voir aussi : OLACH et Fundacion Terram
Revue de Presse
Le 25 septembre 2009
Marine Harvest ferme l’usine de Tepual au Chili (Seafoodsource)
Marine Harvest a annoncé la fermeture de son usine de transformation du saumon à Tepual avec le licenciement de 513 ouvriers, a rapporté le journal chilien El Mercurio.
Selon Alvaro Jimenez, directeur général de Marine Harvest Chile, la fermeture est temporaire et l'usine rouvrira à la mi-octobre 2010.
L’industrie du saumon d'élevage au Chili est en difficulté depuis la contagion par le virus de l'anémie du saumon à partir de la mi-2007. L'épidémie a conduit à licencier 20.000 personnes au Chili, a déclaré El Mercurio. Marine Harvest est le plus grand producteur mondial de saumon d'élevage.
En avril, la compagnie norvégienne avait fermé son usine de Chinquihue et mis à pied environ 600 travailleurs.
Les activités chiliennes de Marine Harvest ont produit 9283 tonnes de saumon au deuxième trimestre de 2009, soit près de la moitié moins que l’année passée. En Juillet, la société a réaffirmé son engagement à long terme au Chili.
Le août 2009
Un délice, le saumon antibiotique du Chili (Effets de Terre)
Ça fait longtemps que les écologistes avaient des soupçons. Le boom spectaculaire de l’élevage de saumon au Chili se fait dans de drôles de conditions sanitaires. On lit dans le New York Times qu’une ONG a enfin obtenu du gouvernement des données sur les quantités de médicaments utilisés pour lutter contre les maladies du saumon encagé. Accrochez vous à l’arète, j’enlève les écailles: l’an dernier, les saumons chiliens ont avalé 325 tonnes d’antibiotiques, révèle Océana… Suite Effets de Terre
Le 28 août 2009
Au Chili, deuxième producteur mondial de saumon, l'"or rose" se tarit (Le Monde)
A 1 000 km au sud de Santiago du Chili, Quellon, dans l'archipel de Chiloé, est devenu une ville fantôme. Les rues sont vides, sauf pour quelques pêcheurs désoeuvrés. "Nous sommes durement touchés par la fermeture de nombreuses fermes aquacoles, car l'industrie salmonicole faisait vivre une grande partie de la population", se lamente le maire, Ivan Haro. Ce port était l'épicentre de la ruée vers "l'or rose", dès les années 1980. Aujourd'hui, 60 % des habitants sont au chômage, et il est au bord de l'explosion sociale.
Deuxième producteur mondial de saumon, le Chili doit abandonner son ambition de détrôner la Norvège. Une épidémie du virus AIS (anémie infectieuse du saumon), apparue en juillet 2007, ne cesse de s'étendre, faisant des ravages. Ce virus, détecté à l'origine en Norvège dès 1984, entraîne une forte mortalité dans les élevages.
La production est en chute libre selon le n° 1 mondial, le groupe norvégien Marine Harvest, qui domine le secteur au Chili. Elle s'est réduite de moitié en 2009. Le virus se propage vite. Cinq sites étaient infectés en juillet 2007, et 74 un an plus tard. L'épidémie oblige à massacrer les poissons malades et à fermer les sites contaminés.
Les compagnies chiliennes accumulent les pertes et doivent licencier. Multiexport Food, la plus grande compagnie chilienne, a perdu près de 49 millions de dollars depuis juin. Marine Harvest a licencié 15 000 employés depuis 2008, selon les syndicats. Au total, le nombre de chômeurs pourrait atteindre 40 000 fin 2009. Ceux qui ont encore du travail doivent accepter des réductions de salaire. Le maire de Quellon se remémore l'époque du "miracle du saumon". Les gains avaient grimpé au Chili de 159 millions de dollars en 1991 à 2,5 milliards de dollars en 2006. A Quellon, le coup de grâce a été "la marée rouge", une bactérie qui rend les fruits de mer impropre à la consommation. Les pêcheurs artisanaux, sans travail, accusent la salmoniculture d'avoir pollué les fjords.
Il y a 550 "fermes à saumons" au Chili, dont 40 % sont entre les mains de multinationales. Le filon le plus exploité est l'archipel de Chiloé, composé d'une quarantaine d'îles, riches en baies protégées, fjords, lacs et fleuves profonds, ce qui lui a valu le surnom de "Salmon Valley".
L'épidémie dévoile les abus de l'élevage intensif et le manque de régulation de la part du gouvernement. "C'est un nouveau Far West, mais sans shérif", lance Juan Carlos Cardenas, directeur du Centre pour le développement durable (Ecoceanos). Cette ONG dénonce les méfaits irréparables sur l'environnement, en raison notamment des déchets organiques rejetés par les saumons. "L'aquaculture est une industrie très polluante, explique M. Cardenas, car elle utilise beaucoup de produits chimiques et d'antibiotiques."
Au mois de juillet, l'ONG Oceana a contraint le gouvernement chilien à révéler que la salmoniculture avait utilisé 385 tonnes d'antibiotiques en 2007, soit 600 fois plus que la Norvège, pour une production quasiment identique cette année-là. "Nous ne sommes pas opposés à l'activité même, mais à la façon dont elle se déroule", précise M. Cardenas. Il réclame un meilleur contrôle des conditions sanitaires. Il est convaincu que le virus AIS a été introduit dans des algues importées de Norvège.
Dures conditions de travail
Au Chili, les multinationales ne respectent pas toujours les normes qui ont cours dans leurs pays. Marine Harvest a été plusieurs fois condamnée pour infractions à la réglementation du travail. Il y a eu 42 décès entre 2005 et 2007, en particulier parmi les plongeurs chargés d'inspecter les cages sous l'eau. Les conditions de travail sont dures, les salaires sont bas, ce qui explique que le saumon chilien soit meilleur marché que ses concurrents norvégien, écossais ou canadien. La salmoniculture employait jusqu'à présent quelque 50 000 personnes, dont plus de 80 % sont des femmes qui travaillent dans des usines, de 10 à 12 heures par jour, debout, dans le froid et l'humidité.
Après le vin, le Chili s'était lancé dans l'aquaculture dans les années 1980, sous la dictature militaire du général Augusto Pinochet. Le "miracle de l'or rose" était censé sortir l'économie de sa dépendance au cuivre, "l'or rouge", dont le Chili est le premier producteur et exportateur mondial. En 2007, avant l'arrivée du virus, le Chili était près de rattraper le niveau de production de la Norvège, avec 650 000 tonnes de saumon, soit 22 fois plus qu'il y a vingt ans.
Aujourd'hui, la crise permet à la Norvège d'accroître encore sa part de marché, notamment aux Etats-Unis, qui étaient jusqu'à présent la chasse gardée des fournisseurs chiliens. La chute de la production chilienne contribue à réduire l'offre de saumon d'élevage et à faire grimper les prix mondiaux.
A Santiago, un projet de loi sur un "plan financier de sauvetage" de l'industrie salmonicole est à l'étude au Parlement. Il permettrait notamment aux multinationales de partir à la conquête de nouveaux sites, plus au sud, vers le détroit de Magellan. Christine Legrand
Le 25 octobre 2009 : Enquête britannique pour connaitre l'origine du saumon chilien
Investigation: How farm fishing boom in Chile threatens eco disaster (Telegraph)
Separated by an ocean, a continent and more than 7,000 miles, Chile seems an awfully long way to go to find sushi for millions of Britons.
The packaging gives no clue to the origins of the “salmon trout”.
Nor does it make clear the disastrous consequences of intensive fish farming along Chile’s once pristine coastline where, according to eco-activists, many farms are plagued by disease and pollution.
There is, of course, no suggestion that the fish served by Waitrose or Pret a Manger, two of Britain’s most environmentally friendly food suppliers, comes from a farm that has prompted concern.
The rise of Chile’s fish industry began about a decade ago when international corporations realised there was money to be made in the blue water off a short stretch of coast around Puerto Montt, 600 miles south of the capital Santiago.
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