C’est en homme satisfait que l’ancien premier ministre britannique Tony Blair déclarait à l’automne 2012 que « les
forces britanniques devaient être fières de leur intervention en Irak,
lors de l’invasion américaine, car le pays a connu une forte croissance
économique depuis que Saddam Hussein a été chassé du pouvoir en 2003 », et se réjouissait d’« une chute de la mortalité infantile ».
Ces déclarations enthousiastes ont indigné les médecins irakiens, qui
doivent faire face à une progression alarmantes des cancers et des
malformations congénitales des nouveaux-nés dans les villes bombardées
par la coalition internationale.
La situation environnementale de l’Irak est calamiteuse. En cause,
les industries polluantes et l’absence de règlement pour les contrôler.
Les guerres et les insurrections qui ravagent le pays depuis trente ans
ont, elles aussi, des conséquences désastreuses sur l’environnement,
notamment lorsque pipelines et sites industriels sont bombardés. Mais ce
n’est pas tout. Il semble que les munitions utilisées pour soumettre
les villes irakiennes pendant la guerre du Golfe (1990-1991) et
l’invasion en 2003 par les Etats-Unis et ses alliés (Lire «
Une guerre à mille milliards de dollars », Défense en ligne (blog du
Monde diplomatique),
janvier 2011) soient devenues un agent majeur de pollution
environnementale, avec de graves conséquences sur la santé publique.
« Atomisées » dans la nature lors des bombardements, elles continuent
de tuer à petit feu les populations civiles plusieurs années après que
les combats aient cessé. Les militaires réfutent, la science dénonce.
Constats sanitaires alarmants
En 2005, le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport intitulé
« Assessment of environmental hot spots in Iraq »,
estimait à plusieurs milliers le nombre de zones contaminées cumulant
— à des degrés divers — pollutions industrielles et contaminations
militaires. Plus de trois cents « points chauds » — comprendre hautement
toxiques —, ont été identifiés, parmi lesquels quarante-deux sites
concentrant des taux considérables de dioxine et d’uranium appauvri, et
dont dix avec des taux très élevés de radioactivité.

- Utilisation de munitions à uranium appauvri
- Carte : Agnès Stienne, 2012.
On retrouve une forte accumulation de dioxine aux abords des
installations industrielles détruites pendant la guerre du Golfe, alors
que la stratégie consistait à pilonner systématiquement les sites
industriels civils et militaires, pipelines et raffineries. Dans la
région de Bassorah, l’une des plus touchées par les bombardements, c’est
un véritable désastre sanitaire.
« Business is business » :
après 2003, la priorité fut donnée à la remise en service des
installations pétrolières et gazières. Hélas, les pluies de pétrodollars
— loués par M. Blair — n’ont pas encore réussi à lessiver les zones
contaminées.
L’uranium appauvri, interdit par certains pays, provient des munitions utilisées par la coalition en 1991 et 2003 [
1].
Ce métal lourd a les faveurs de l’industrie de l’armement en raison de
son fort pouvoir de pénétration des matériels blindés. Une fois la
charge explosée, ce composant chimique se disperse et s’infiltre dans le
sol et dans l’eau, occasionnant des pollutions durables dans les rues,
les jardins, les champs ou les aires de jeu pour enfants… Il
contamine aussi les soldats sans que le commandement ne s’en émeuve.
D’autres métaux lourds, comme le plomb et le mercure, entrent dans la
composition des munitions et se retrouvent aussi disséminés en quantités
significatives dans l’environnement.
Passé l’orage, le cauchemar se prolonge malgré tout pour les civils.
Le ciel ne tonne certes plus, les armes se sont tues, la rue s’anime, on
circule et on commerce. La vie reprend, semble-t-il, comme avant. Pas
tout à fait, pourtant. Partout le même constat tragique : une hausse
alarmante de la mortalité infantile, des leucémies, des cancers, des
tumeurs, des malformations congénitales.
La coalition réfute, la science dénonce
En dépit des avertissements successifs lancés par les médecins,
aucune étude sérieuse n’a été menée pour déterminer l’origine de ces
symptômes. Washington refuse de reconnaître un lien de causalité entre
les contaminations militaires et ce très inquiétant problème de santé
publique, et semble même déterminé à entraver toute recherche
scientifique [
2].
En 2009, les médecins de l’hôpital général de Falloujah, effrayés par
ce qu’ils constataient au fil des années, adressèrent un courrier
commun aux Nations unies pour réclamer des investigations
indépendantes :
« En septembre 2009, sur 170 nouveaux-nés , 24 %
d’entre eux sont morts dans leur première semaine, parmi lesquels 75 %
présentaient des malformations importantes. » Des enquêtes
partielles seront ensuite menées à Falloujah et à Bassorah quelques mois
plus tard et les résultats publiés dans le
« Bulletin of environmental contamination and toxicology » de l’université du Michigan [
3]. Les auteurs résument leurs observations en une phrase qui veut tout dire :
« Le
taux de cancers, de leucémies et de mortalité infantile observé à
Falloujah est plus élevé qu’il ne le fut à Hiroshima et Nagasaki
en 1945. » [
4]
Il est rappelé que l’exposition aux métaux toxiques (dont les effets
morbides sont reconnus) est source de complications sévères pour les
femmes enceintes et le développement du fœtus. En conclusion, il est
plus que probable que les munitions utilisées pour les bombardements
dans ces deux villes soient à l’origine de ces tragédies.

- Géographie des bébés à Falloujah
- Carte : Ag. St. 2012.
A Falloujah, cinquante-six familles se sont mises à la disposition du
personnel hospitalier pendant trois mois pour répondre à un
questionnaire type et se soumettre à des examens.
Entre 2004 et 2006, le taux de fausses couches s’élève à 45 % du
nombre de grossesses et celui de bébés malformés à 30 % du nombre de
naissances.
Entre 2007 et 2012, le nombre de fausses couches diminue et tombe à
15 %, tandis que celui de bébés souffrant de malformations augmente
sensiblement pour atteindre 54 %.
Plus de la moitié des nouveaux-nés souffrent de malformations
congénitales affectant le cœur, le cerveau, la moelle épinière, les
poumons et le palais.

- Natalité déréglée
- Graphique : Ag. St. 2012.
Petit retour en arrière et gros plan sur la ville
Située à soixante-cinq kilomètres à l’ouest de Bagdad, Falloujah est
toujours, en cette année 2004, un bastion des fidèles de Saddam Hussein
et, pour cette raison, l’objet de fréquentes attaques menées par l’armée
américaine. La situation s’embrase lorsque les corps de quatre
mercenaires américains tués au combat sont exhibés à travers la ville.
En représailles, l’artillerie lourde et l’aviation sont déployées. Un
premier assaut meurtrier est lancé pour y déloger les insurgés — sans
réel succès —, puis quelques mois plus tard, une seconde offensive,
pendant laquelle les bombardements intensifs dureront plusieurs
semaines. Le Pentagone reconnaîtra plus tard, dans une brève note, avoir
utilisé des bombes au phosphore blanc [
5]. Le
nombre de morts côté irakien est incertain : plusieurs centaines d’insurgés et plusieurs milliers de civils. Côté américain, 95 soldats...
Sur la base des chiffres fournis par le département de la défense, à Washington, John Pike, le directeur du groupe de recherche
GlobalSecurity.org,
estime que les soldats américains ont tiré en moyenne entre deux
cents cinquante à trois-cents mille munitions de petit calibre par
insurgé tué en Irak et en Afghanistan [
6].
Voilà des chiffres qui laissent perplexe. Et s’ajoute à cela
l’artillerie lourde. C’est au bas mot des milliers de tonnes de
munitions éclatées en petites particules toxiques de métaux lourds,
notamment du mercure et du plomb, qui contaminent les sols et l’eau. Ce
n’est donc pas un hasard, si les analyses de cheveux des enfants de
Falloujah souffrant de malformations congénitales révèlent la présence
de plomb et de mercure à des taux très supérieurs par rapport au reste
de la population.

- Les enfants au plomb
- Graphique : Ag. St. 2012.
À Bassorah, l’étude présente des résultats similaires. Les voix
s’élèvent pour que des recherches plus poussées et exhaustives soient
entreprises à travers tout le pays, afin que la situation soit enfin
reconnue avec précision et des mesures adéquates mises en place. Pour la
justice et les réparations, il faudra bien un jour mettre la coalition
— principalement les Etats-Unis et le Royaume-Uni — face à ses
responsabilités pour qu’elle reconnaisse enfin son rôle dans ce qu’il
faut bien appeler un crime. Un crime de plus, puisque les crimes d’hier
— Hiroshima, Nagasaki, Vietnam — demeurent, aujourd’hui encore, impunis.
A consulter
Depuis que les munitions à l’uranium appauvri (UA) ont été testées
par les Etats-Unis contre l’Irak, décès et maladies inexpliquées se
multiplient chez les combattants ayant servi dans le Golfe, mais aussi
en Bosnie et au Kosovo. A des degrés divers, les agences des Nations
unies ont imposé une chape de silence sur la dangerosité radiologique et
chimique de cette arme. N’a-t-il pas fallu attendre janvier 2001 pour
que l’Organisation mondiale de la santé « envisage » d’enquêter sur les
effets de l’UA sur les populations du Golfe ?