Lundi 10 septembre, une cérémonie solennelle a, théoriquement, marqué la fin de la «
» internationale de l’indépendance du Kosovo. Celui-ci aurait donc accédé à la «
».
Pourtant, la reconnaissance de cet Etat ne fait toujours pas l’objet du
moindre consensus et le petit territoire reste toujours le «
» de nombreuses missions internationales, aux mandats flous et aux compétences incertaines.
Le
Groupe d’orientation sur le Kosovo (International Steering Group, ISG)
s’est réuni une dernière fois à Pristina le 10 septembre, avant
d’annoncer son autodissolution. Chargé de «
superviser
»
l’indépendance proclamée le 17 février 2008, il réunissait les
représentants de vingt-cinq Etats ayant tous reconnu le Kosovo. Son «
bras armé
»
était le Bureau civil international (ICO), dont l’activité a également
pris fin. Le gouvernement du Kosovo a cherché à donner le plus de lustre
possible à cette évolution mais, si les officiels répétaient que ce
10 septembre était
« la date la plus importante dans l’histoire du Kosovo depuis la proclamation d’indépendance », l’heure n’était guère à la liesse populaire.
Dans la pratique, la fermeture du Bureau civil international
(International civilian office, ICO) ne changera pas grand chose pour
les citoyens du Kosovo. Leur petit pays est toujours le «
terrain de jeu
»
d’un grand nombre de missions aux mandats flous et aux compétences
souvent incertaines. Ainsi, la mission d’administration intérimaire des
Nations unies (Minuk) reste déployée au titre de la résolution 1244 du
Conseil de sécurité, jamais abrogée, même si le champ d’action et les
effectifs de cette mission ont été drastiquement réduits. L’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) conserve également
d’importantes attributions dans les domaines aux contours bien imprécis
de la «
démocratisation
» et de la promotion des minorités.
Pour les citoyens ordinaires, toutefois, la présence internationale
la plus visible demeure sans aucun doute la mission militaire de l’OTAN,
la Kosovo Force (KFOR), dont les effectifs sont progressivement passés,
depuis juin 1999, de plus de 50 000 à moins de 5 000 hommes. Au cours
des douze derniers mois, cependant, la KFOR a dû faire appel à des
renforts pour réagir à la situation de crise dans les régions serbes du
Nord du Kosovo (
1). L’autre présence très visible est celle des policiers et des douaniers de la mission européenne Eulex.
Le 7 septembre, le Parlement du Kosovo a justement adopté la loi qui
permet de proroger le mandat de cette mission jusqu’au 15 juin 2014. En
théorie, Eulex est une mission «
technique
», qui doit rester «
neutre
»
sur le statut du pays. Son déploiement sur l’ensemble du territoire, y
compris les enclaves serbes, résulte en effet d’un accord passé avec
Belgrade grâce à la médiation des Nations unies. De surcroît, cinq Etats
membres de l’Union européenne ne reconnaissent toujours pas
l’indépendance du Kosovo (
2). Cette mission doit apporter son appui aux institutions locales dans trois secteurs qui n’ont pourtant rien de «
techniques
», mais touchent au cœur des fonctions régaliennes, à savoir la police, la justice et le contrôle des frontières.
Selon leur zone d’affectation, leur pays d’origine, voire leurs
convictions personnelles, les fonctionnaires, les policiers, les juges
ou les procureurs de cette mission considèrent pourtant tantôt le Kosovo
comme un Etat indépendant, tantôt comme une province méridionale de la
Serbie, voire toujours comme un territoire placé sous administration
provisoire des Nations unies, conformément à la résolution 1244 du
Conseil de sécurité...
Dans ce dense maquis des missions et des organisations
internationales présentes sur le territoire, l’ICO a toujours eu du mal à
trouver sa place. De fait, cet organisme était chargé de mettre en
application les recommandations du médiateur des Nations unies,
M. Martti Ahtisaari. Or, le plan présenté en février 2007 par l’ancien
président finlandais, et qui prévoyait l’accession du Kosovo à une
indépendance «
sous supervision internationale
», n’a jamais reçu l’assentiment de Belgrade ni de ses alliés au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. De ce fait, le «
plan Ahtisaari
» ne repose sur une aucune base juridique internationale et n’a jamais engagé que les pays ayant choisi de l’approuver...
Le modèle institutionnel mis en place au Kosovo ne brillait
d’ailleurs pas par son originalité, n’étant guère qu’un décalque du
dispositif international en Bosnie-Herzégovine, où le Haut représentant
international est chargé de mettre en pratique les décisions prises par
le Conseil de mise en œuvre de la paix (Peace Implementation Council,
PIC). Le cadre mis en place en Bosnie-Herzégovine est assurément plus
solide qu’au Kosovo, puisque le Haut représentant dispose d’une autorité
reconnue par tous les acteurs locaux et est placé sous la double
responsabilité du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’Union
européenne. De plus, le PIC regroupe les représentants de cinquante-cinq
Etats, au nombre desquels la Russie. Malgré cela, cette lourde tutelle
internationale n’a pas permis à la Bosnie de sortir du blocage
institutionnel et de la crise politique qui la ronge depuis le retour à
la paix, en 1995 (
3).
Une nouvelle crise se profile même, la plupart des pays européens
contestant l’équilibre des pouvoirs au sein de la tutelle internationale
et réclamant des pouvoirs décisionnels accrus pour le représentant
spécial de l’Union européenne (RSUE) au détriment du haut représentant
international. A l’inverse, les Etats-Unis ont réaffirmé leur soutien au
haut représentant, avec l’approbation du Royaume-Uni et le silence gêné
de l’Autriche, l’actuel haut représentant, Valentin Inzko, étant un
diplomate de ce dernier pays (
4).
Cette cacophonie au sein de la tutelle internationale fait bien sûr les
gorges chaudes de Sarajevo, alors que la situation au Kosovo est
autrement plus délicate...
En effet, faute de consensus international, jamais la présence ni le
rôle du représentant civil et de son bureau (IC) n’ont été approuvés par
le conseil de sécurité des Nations unies. Plus gênant encore, l’ICO ne
s’inscrivait pas davantage sous le parapluie de l’Union européenne,
alors que son chef, le diplomate néerlandais Pieter Feith, a longtemps
cumulé cette fonction avec celle de représentant spécial de l’Union.
Cela signifie en pratique que, dans ses fonctions de représentant civil,
M. Fieth devait apporter son soutien à la construction de l’Etat du
Kosovo, tandis que, dans son habit de RSUE, il devait veiller à
respecter la plus stricte «
neutralité
»
quant au statut du territoire... Depuis un an, les deux charges avaient
été dissociées, permettant de mettre un terme à cette situation
schizophrénique, et l’Union est représentée au Kosovo depuis
décembre 2011 par M. Samuel Zbogar, l’ancien ministre des affaires
étrangères de Slovénie.
De fait, depuis cette scission des deux charges, la question de la
survie de l’ICO était posée, de nombreux pays européens, même parmi ceux
ayant reconnu l’indépendance du Kosovo, exprimant leurs réserves. Les
désaccords agitant la communauté diplomatique occidentale au Kosovo sont
de plus en plus ouverts et visibles. L’ambassadeur italien à Pristina,
M. Michael Giffoni, qui assume également la charge de «
coordinateur
» de l’Union européenne pour le nord du Kosovo, exige ainsi depuis des mois une «
nouvelle stratégie
» pour faire face aux problèmes posés dans cette zone, stratégie qui ne saurait être trouvée dans le cadre du plan Ahtisaari...
L’analyste kosovar Augustin Palokaj note d’ailleurs qu’avec le départ
de l’ICO, s’en va du Kosovo la seule mission internationale qui le
considérait comme un Etat, car ni la KFOR, ni l’OSCE, ni la
représentation de l’UE, ni Eulex ne traitent le Kosovo comme tel (
5). Si les Kosovars ne regretteront pas l’ICO, ils n’ont donc pas lieu non plus de se réjouir du départ de cette mission.
Il est vrai que le bilan de la présence internationale au Kosovo est
singulièrement faible. M. Feith avait estimé, au printemps 2012, que
l’ICO avait rempli
« 80 % de ses objectifs », mais l’ancien adjoint de M. Ahtisaari, le diplomate autrichien Albert Rohan reconnaissait lui-même que
« les choses n’avaient pas évolué dans le bon sens », notamment dans le nord du Kosovo (
6), plus proche que jamais de la sécession. La souveraineté de Pristina sur cette zone qui correspond à 18
%
du territoire n’est qu’une fiction juridique — tout comme les
fonctionnaires de Pristina, les employés de l’ICO ne pouvaient
d’ailleurs pas y pénétrer. Sauf à envisager une nouvelle épreuve
militaire, à laquelle personne ne semble tenir, la solution à la
question du nord ne pourra résulter que de nouvelles discussions avec
Belgrade. Pour l’instant, le dialogue amorcé depuis un an sous l’égide
de l’Union européenne, ne concerne que des questions «
techniques
» et n’a d’ailleurs guère apporté d’avancées concrètes.
La Serbie réclame la reprise d’un dialogue politique sur le statut du
Kosovo, que les autorités de Pristina refusent catégoriquement,
estimant que tout ce qui pouvait être négocié l’avait déjà été, en 2007,
lors de la «
médiation
»
de M. Ahtisaari, et que l’indépendance est un fait acquis. S’il semble
effectivement très peu réaliste de remettre en cause cette indépendance,
il n’en demeure pas moins qu’un nouveau dialogue politique sera
nécessaire, sauf à voir le statu quo perdurer durant des années sur un «
modèle
» chypriote.
En réalité, la fin de la «
supervision
»
exercée par l’ICO marque avant tout une volonté des pays occidentaux de
se dégager au moins partiellement tout en laissant un rôle accru à
l’ONU. Or, le voyage du secrétaire général Ban Ki-Moon au Kosovo, fin
juillet, a été l’occasion de dresser un bilan désastreux. Dans son
rapport, M. Ban Ki-Moon pointe notamment les très faibles retours de
non-Albanais, les menaces auxquelles sont toujours exposées les
minorités, le manque de professionnalisme de la police, et enfin la
situation préoccupante du nord du Kosovo (
7).
Cette visite a rappelé que l’ONU demeurait un acteur incontournable (
8).
Or, le Kosovo reste toujours tenu à l’écart des Nations unies, même
s’il est, à ce jour, reconnu par un peu plus de 90 Etats. Durant l’été,
le gouvernement de Pristina avait annoncé la reconnaissance du pays par
le Mali et le Nigeria, avant que ces deux pays n’opposent des démentis
catégoriques. De toute manière, le blocage de la Russie et de la Chine
empêche d’envisager une prochaine admission du Kosovo au sein de l’ONU —
et, par conséquent, l’accès de Pristina à la plupart des organisations
internationales demeure interdit, depuis le Conseil de l’Europe
jusqu’aux fédérations sportives internationales (
9)...
Alors que le mouvement Vetëvendosja (Autodétermination), qui
constitue l’une des principales forces d’opposition, réclame l’arrêt de
toute forme de tutelle internationale et s’est prononcé au Parlement
contre la prorogation du mandat d’Eulex, les Kosovars savent bien que la
fermeture de l’ICO ne va pas changer grand chose.
« Les
décisions importantes sont prises à l’ambassade des Etats-Unis. Les
Européens ne sont consultés que pour la forme, et nos dirigeants
politiques sont de simples exécutants », estime ainsi Agron, un sympathisant de Vetëvendosja.