25 mars 2010

ACTA : chapitre deux

par Philippe Rivière

Le Monde diplomatique vient d’obtenir une copie de la section 2 du projet de traité ACTA, intitulée « Mesures aux frontières » (Border Measures). Soit une dizaine de pages qui exposent, dans un grand luxe de détails pratiques, le futur fonctionnement des douanes au regard de tous les « biens contrefaisant des droits de propriétés intellectuelle ».

Après trois ans de négociations si secrètes qu’on ignorait jusqu’au nom des négociateurs, le public commence enfin à pouvoir prendre connaissance, « fuite » après « fuite », du contenu de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC — plus connu sous l’acronyme anglais ACTA : Anti-Counterfeiting Trade Agreement).

Sur une cinquantaine de pages, cet accord — discuté par l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, l’Union européenne (UE), le Japon, la Corée, le Mexique, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Suisse — établit une liste de dispositions légales que les futurs pays signataires s’engageront à adopter dans leur droit national (et communautaire, pour ce qui concerne l’UE).

Mise à jour (23 mars) : le texte de l’ACTA est désormais disponible in extenso sur le site de La Quadrature du Net : http://www.laquadrature.net/en/0118....

Voici l’essentiel de la section 2, avec nos commentaires. [Du fait de la technicité de ce texte, on ne peut exclure que ce résumé comporte ici ou là une imprécision de traduction ou une interprétation juridique susceptible d’être discutée.]

Mesures aux frontières

Intitulée Border Measures, la section 2 de l’ACTA commence par l’examen de « l’étendue de l’accord ». Toutes les parties prenantes s’entendent pour laisser la liberté à chaque pays de ne pas poursuivre le touriste qui transporterait quelques produits contrefaits (CD acheté sur un marché, paire de chaussures “Noke” ou “Adidos”) dans ses bagages personnels.

Les négociateurs de l’UE souhaitent pour leur part que cet article englobe tous les droits « couverts par les ADPIC [1] » (article 2.2 proposé par l’UE) sur des produits « importés, exportés, ou en transit » (article 2.1 UE). Il est à noter que d’autres pays (Singapour, Canada et la Nouvelle-Zélande) estiment que seuls les copyrights et marques déposées devraient être concernés par cette section, et non les brevets [2].

Dans l’hypothèse toutefois où cette section de l’ACTA inclurait les brevets, il est à craindre que le cas, constaté à plusieurs reprises, de containers de médicaments génériques fabriqués en Inde, exportés à destination de pays pauvres, et que la douane avait interceptés au cours de leurs transit via des ports européens, ne devienne la norme.

La suite indique la manière dont les douanes seront mises à la disposition des détenteurs de droits de propriété intellectuelle (DPI) et droits associés.

L’article 2.6 exige que chaque pays prévoie une procédure par laquelle des détenteurs de droits pourront s’opposer à la sortie de douane de tout bien qu’ils suspectent de violer leurs DPI. Les exemples donnés relèvent de la marque déposée, marque similaire portant à confusion, logiciel piraté, etc. Une note signale que le texte s’étend à tout bien sous copyright ayant été copié sans l’accord des ayants-droits. Maroc, Etats-Unis et Nouvelle-Zélande insistent ici à leur tour sur le fait que ces procédures devront s’appliquer aux biens en transit.

Le fonctionnement de cette procédure est très détaillé : le requérant (le détenteur de DPI souhaitant faire contrôler certains produits aux frontières) devra livrer aux douanes un catalogue d’éléments leur permettant de distinguer les biens piratés de biens légitimes. Mais cela, est-il précisé, ne devra en aucun cas constituer un obstacle « déraisonnable » au recours à cette procédure.

Si certains cas ne souffrent pas de contestation (DVD de Windows ne portant pas d’étiquette hologramme, etc.), on peut imaginer que dans des cas plus subtils, ou plus complexes, les abus seront légions. Un article proposé par le Canada et la Nouvelle-Zélande prévoit cependant que la puissance publique pourra rejeter ou suspendre une procédure dès lors que le requérant accumule trop d’impayés (sur les coûts de stockage ou de destruction liés à ses demandes précédentes), ou abuse du processus « par exemple en fournissant des informations fausses ou trompeuses ».

Le processus devra être transparent (savoir qui a déposé un dossier devrait être une information publique), tout en respectant le secret commercial (le catalogue précis des éléments permettant de détecter qu’un bien est piraté pourra être tenu secret).

L’article 2.7 (Action ex-officio) indique que les autorités compétentes pourront se saisir d’elles-mêmes des dossiers, sans nécessairement attendre qu’un ayant-droit suive la procédure définie ci-dessus.

L’article 2.9 (« Security or equivalent assurance ») vise à prévenir les abus, en demandant au requérant de souscrire une assurance, ou un dépôt de garantie, afin d’indemniser les commerçants dont les biens légitimes seraient indûment bloqués en douane suite à la procédure. De nouveau, est-il précisé, cela ne doit pas constituer un obstacle « déraisonnable » au recours à la procédure.

Etats-Unis, Australie, Canada et Nouvelle-Zélande proposent ensuite que pour chaque transport intercepté, une information soit donnée au détenteur de DPI lui indiquant les nom et adresse de l’expéditeur, de l’importateur (ou exportateur) et du destinataire des biens, une description des biens et de leur quantité, et dans la mesure du possible le pays d’origine des biens ainsi que les nom et adresse de leur fabricant.

L’article 2.10 prévoit que chaque pays doit mettre en place une procédure permettant aux douanes d’établir dans un délai raisonnable la licéité d’un bien, que ce soit par un recours au tribunal ou par une procédure dédiée.

Mais — dans l’hypothèse où, par exemple, les médicaments seraient concernés — imagine-t-on que l’autorité douanière sera capable d’établir le statut d’un brevet, sa validité, l’existence ou non de licences obligatoires, et réfléchir à savoir si le brevet concerne effectivement le produit intercepté ? Des éléments que même un tribunal, dans une procédure contradictoire, peut avoir du mal à démêler ?

On passe ensuite à la répression : selon l’article 2.11, chaque pays doit s’assurer que les biens saisis peuvent être « détruits ». Aucun pays signataire de l’ACTA ne devra permettre que des biens interceptés puissent être « remis en circulation commerciale » ou « exportés », sauf dans des « circonstances exceptionnelles », non précisées. Par exemple, dans le cas des marques contrefaites, il ne suffit pas d’« ôter l’étiquette » : il faudra passer au broyeur chaussures, vêtements, etc.

L’article 2.12 interdit de facturer aux détenteurs de DPI des coûts de destruction trop élevés, et interdit de les faire payer dès lors que l’initiative de la saisie vient des pouvoirs publics.

L’article suivant (non numéroté) prévoit qu’un Etat ne peut être mis en cause par un détenteur de DPI pour avoir échoué à détecter des produits piratés. De même l’Etat ne saurait être contraint à compenser les dommages subis par les personnes visées à l’article 2.6.

Ainsi, les pages de ce projet de traité international confirment les craintes soulevées par le manque de transparence de son élaboration.

Négocié par une coalition ad hoc des pays les plus riches de la planète, le texte est une sorte de coup d’Etat contre l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), suspectée de ne plus être assez « dure » (lire l’article de Florent Latrive dans Le Monde diplomatique de mars, encore en kiosques). Le texte, par ses « arrangements institutionnels », prévoit de fait d’établir une institution anticontrefaçon parallèle, faite à la main des promoteurs de l’accord [3].

L’ACTA adopte une position maximaliste en matière de « protection » de la propriété intellectuelle, sans tenir compte des arbitrages sur lesquels reposent toutes les lois en la matière, et qui doivent traditionnellement concilier protection des créateurs et droits du public. Le texte vise ainsi à annuler de nombreux acquis, juridiques et politiques, que les grands comptes de l’économie dite « immatérielle » (musique, cinéma, logiciels, industrie pharmarceutique, luxe...) perçoivent comme des obstacles à leur puissance.

En ce qui concerne l’Internet — si l’on en croit certaines analyses, basées sur des « fuites » mais démenties avec vigueur lundi 22 mars par le négociateur de l’UE, M. Luc Devigne [4] — l’ACTA exigerait de chacun de ses signataires l’adoption de mesures de type « Hadopi », où un foyer dont l’adresse IP est détectée comme « pirate » verrait son accès restreint après trois avertissements. Il demande aussi à ses signataires de prévoir des charges pénales pour l’« incitation, l’assistance et la complicité » de contrefaçon, « au moins dans les cas de contrefaçon volontaire de marque et de droit d’auteur ou des droits connexes, et du piratage à l’échelle commerciale ». Ce qui permettrait, de fait, de criminaliser tout système ou plate-forme permettant la copie numérique, de la même manière que, dans les années 1980, les lobbies de Hollywood avaient tenté d’interdire... les magnétoscopes. Avec l’extension qu’a prise depuis lors la sphère numérique, toute l’informatique domestique serait dans le collimateur, avec au premier rang les logiciels libres, par définition incontrôlables. Comme le note James Love sur le blog de Knowledge Ecology International, « “l’échelle commerciale” est définie comme s’étendant à tout système de grande ampleur, indépendamment de la “motivation directe ou indirecte au gain financier” [5] ». Un moteur de recherche qui permettrait de localiser des fichiers illicites serait donc directement visé. C’est ce qu’on appelle le modèle de l’internet chinois [6].

Comme on l’a vu avec la Section 2 dévoilée ci-dessus, le texte ne se cantonne pas aux libertés fondamentales à l’ère du numérique. Pour le comprendre, il faut lire l’entretien donné jeudi 18 mars à ReadWriteWeb par la députée européenne Sandrine Bélier [7] : « Le traité ACTA aborde (...) aussi la question de l’accès aux savoirs, des médicaments génériques, des brevets, de la brevetabilité des semences... Mis bout à bout, ce que comporte ce traité est de nature à déterminer les futurs rapports hiérarchiques internationaux. ACTA porte en lui, pardonnez moi l’image, les enjeux d’un petit Yalta (...) en ce sens qu’un Etat à même de protéger sanitairement ses citoyens, de leur offrir une sécurité environnementale et alimentaire, capable d’innovation “éco-technologique”, capable de libérer et garantir l’accès à l’information (...) gagnera en stabilité économique, sociale mais aussi géopolitique. A l’inverse, les Etats qui seront, au cours des prochaines années, dans l’incapacité d’offrir cela à leurs populations seront sans aucun doute fragilisés. C’est le fondement de ces nouveaux rapports qui est inscrit au cœur même d’ACTA. »

Commission et Parlement européens sont sur ce sujet à couteaux tirés. La première a pris l’initiative de participer secrètement à l’élaboration d’un traité commercial incluant des règles en matière de criminalité (ce qui pourrait être en soi un abus de pouvoir). Le second a voté, à Strasbourg, à une écrasante majorité (633 votes contre 13, et 16 abstentions), une résolution exigeant la transparence, et refusant que l’ACTA revienne défendre des positions déjà rejetées par le Parlement. Lequel pourrait de son côté adopter une déclaration écrite sur ACTA exprimant « la crainte de voir les négociations en cours sur ACTA mettre en cause la liberté d’expression, la neutralité du Net, le droit à un procès équitable, ainsi que le droit au respect à la vie privée et l’accès aux médicaments dans les pays en développement [8] ».

Le 10 mars, dans un colloque sur les médias à Abu Dhabi, M. James Murdoch, l’héritier de News Corporation, recommandait de cesser d’être « amical » avec les consommateurs, et de punir les voleurs de films comme des voleurs de sac à main. A ses côtés, M. Ari Emanuel — frère de M. Rahm Emanuel, le chef de cabinet de M. Obama —, annonçait le lancement d’une campagne de lobbying aux Etats-Unis pour intégrer dans la loi américaine un système de « riposte graduée » à la française [9].

Le lendemain, à Washington, le président des Etats-Unis Barack Obama prenait résolument le parti des lobbies du copyright et — pour la première fois — défendait publiquement l’ACTA, dans son allocution à la Conférence annuelle des banques d’import-export : « Nous allons protéger de façon agressive notre propriété intellectuelle, a-t-il dit. Notre meilleur atout réside dans l’innovation, l’inventivité et la créativité du peuple américain. [La propriété intellectuelle] est essentielle pour notre prospérité, et va le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. Mais elle ne forme un avantage concurrentiel que si nos compagnies savent que quelqu’un d’autre ne peut venir voler cette idée et la dupliquer avec des matériaux et du travail moins chers. (...) Voilà pourquoi [les Etats-Unis] utiliseront tout l’arsenal des outils disponibles pour lutter contre les actes qui nuisent de façon flagrante à nos entreprises, et cela consiste à négocier des protections adaptées, à appliquer les accords existant, et à avancer sur de nouveaux accords, au nombre desquels la proposition d’Accord commercial anti-contrefaçon [10]. »

En France, les associations (Oxfam, Act Up-Paris, April, la Quadrature du Net) qui ont rencontré le 18 mars le négociateur français d’ACTA se sont trouvées « confrontées au refus de leurs interlocuteurs et interlocutrices de communiquer toute information [11] ».

Plusieurs gouvernements ont toutefois signalé qu’ils souhaitaient que ce texte soit rendu public après la prochaine réunion de l’ACTA, prévue au mois d’avril en Nouvelle-Zélande. D’ici-là, les négociateurs auront peut-être trouvé un accord sur les dernières expressions entre crochets qui font encore débat entre eux. Mais réussiront-ils à vendre aux internautes cet HADOPI puissance dix ? Les citoyens, et leurs représentants, accepteront-ils ce package légal clés-en-mains, et le pouvoir supra-national d’un bureau spécialisé mettant les douanes dans la main des ayant-droits ? Cela demandera certainement de tordre plus d’un bras, et de faire pleurer, sur les plateaux de télévision, plus d’un chanteur sur la dégradation des ventes de disques. Le débat ne fait que commencer.

Notes

[1] Accord « sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce » ; lire à ce sujet German Velasquez, « Hold-up sur le médicament », Le Monde diplomatique, juillet 2007.

[2] Voir « KEI notes on the EU leak of the ACTA text », 1er mars.

[3] James Love, « ACTA : the new institution », 18 mars.

[4] Précision ajoutée le 22 mars.

[5] http://keionline.org/node/806

[6] Sur ce point lire, par exemple, http://techdirt.com/articles/201003...

[7] « Sandrine Belier (Eurodéputée Europe Ecologie) : “ACTA est un petit Yalta en puissance” », ReadWriteWeb France, 18 mars.

[8] Cf. http://www.laquadrature.net/fr/coll...

[9] Jane Martinson, « James Murdoch : illegal downloading no different from stealing a handbag », The Guardian, Londres, 10 mars.

[10] http://www.whitehouse.gov/the-press...

[11] « ACTA : Les responsables du dossier renforcent nos inquiétudes », communiqué commun, 19 mars, et « Traité “Acta” : un barrage à l’accès aux médicaments génériques pour les pays les plus pauvres », Oxfam France, 19 mars.

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Privatisation de la défense : jusqu’où aller trop loin ?

par Philippe Leymarie

« Les forces armées face au défi de la privatisation de l’action militaire » : ce colloque international organisé le 18 mars dernier à l’Ecole militaire à Paris, a mis en évidence le gouffre qui sépare, dans ce domaine, les pays dits anglo-saxons – Usa, Canada, Royaume uni – où de larges pans de l’activité de défense et de sécurité sont abandonnés aux sociétés militaires privées (SMP), de la plupart des autres, soucieux de conserver dans le giron des Etats l’essentiel des fonctions « régaliennes », et plus regardants sur les activités qui pourraient être concédées à des entreprises privées…

Il y a actuellement en Afghanistan moins de soldats réguliers américains que d’effectifs de « contractors » privés : gardes du corps ; techniciens ; agents pour la protection de bâtiments ou de personnalités, la sécurité d’ONG, l’escorte de convois, le déminage, etc. Une partie de ces 100 000 hommes sont recrutés sur place, parmi les anciens militaires, policiers ou miliciens (dont se débarrassent les chefs de guerre locaux).

En Irak, 160 000 civils (dont plus de 13 000 « soldats de fortune », armés) assistent, complètent, côtoient les 189 000 militaires réguliers, en majorité américains. La Cour des Comptes, à Washington, vient d’étudier cinq cas particuliers de SMP américaines opérant dans ce pays : quatre interventions sont considérées comme meilleur marché, au final, que le recours aux forces régulières ; mais la Cour pointe les autres facteurs à prendre en considération (sélection, légalité, qualité, contrôle, perte de savoir-faire). Dans les faits, la population ne fait pas la différence entre les étrangers en armes et leurs statuts.

Fonds opaques

Même s’il a pris des proportions extraordinaires en Irak, et maintenant en Afghanistan, et que l’actuel « appel d’air » pourrait se réduire une fois ces pays évacués par leurs occupants étrangers, le phénomène des SMP paraît s’enraciner :

- les budgets militaires sont partout en relative ou nette régression, certains pays étant tentés de « boucher les trous » en recourant au privé dans certaines fonctions ;
- la lourdeur des engagements crée des tensions sur les effectifs, notamment aux Etats-Unis, qui ont 350 000 soldats en garnison ou en opérations à l’extérieur ;
- un véritable secteur industriel et commercial de prestations militaires privées a vu le jour en une vingtaine d’années, avec un marché, et des clients : les grands pays occidentaux ; des Etats faibles du sud ; des Ong, et des organisations internationales - à commencer par l’ONU ;
- les spécialistes évoquent un chiffre d‘affaire global de 100 à 200 milliards de dollars selon les estimations (très vagues), avec une fraction de « fonds opaques » ; et un effectif total évalué grossièrement à un million d’hommes, avec une gamme de services qui ne cesse de s’étendre (au point qu’on a pu parler – très abusivement – de « seconde armée du monde ») ;
- les SMP sont intégrées dans la planification américaine et britannique, et donc également dans les pratiques de l’OTAN ;
- sous le vocable de « partenariat public-privé », elles figurent également dans les plans de l’Union européenne.

Force maîtrisée

Un document signé à Montreux (Suisse) en septembre 2008 par une trentaine d’Etats – mais non contraignant – réaffirme l’obligation pour eux d’encadrer juridiquement ou réglementairement l’activité des SMP, et de respecter le droit humanitaire ainsi que le droit relatif aux droits de l’homme, lorsqu’elles opérent lors de conflits armés. Le document énumère soixante-dix « bonnes pratiques » (ce qui équivaut d’ailleurs à une forme de reconnaissance, voire à un encouragement…).

Dit autrement : la spécificité des armées est, en principe, un savoir-faire qui comporte l’utilisation d’une force maîtrisée et proportionnée, dans un cadre légitime, au nom de la volonté publique, d’un Etat, etc. Sous-traiter une fraction de cette « force légitime » à des privés plus ou moins contrôlés, c’est franchir une crête, créer la confusion, changer de nature, prendre le risque de dévaloriser les armées, les militaires. Il ne faut pas confondre le recours ponctuel à des prestataires (services, maintenance, transport par avions ou hélicoptères, etc.), et une action de longue durée, impliquant un Etat, une armée, une chaîne de commandement, des règles d’engagement et une tradition, etc.

Il ne faudrait pas non plus, plaident certains, que le recours aux SMP suscite plus de difficultés nouvelles qu’il n’apporte de solutions (par manque de capacités) ou d’économies (étant entendu que ces services « délocalisés » seraient par nature moins chers). Des experts européens redoutent notamment que, dans des pays où la pratique du contrat commercial est moins ancrée, les mécanismes de contrôle ne génèrent des coûts qui rendraient l’opération nulle ou négative. Il y aurait donc à identifier des seuils de rentabilité, et à les mettre en balance avec les limites du genre : rupture de la chaîne de commandement ; difficultés de coordination ; poids du contrôle d’exécution des marchés, etc.

Coeur de métier

Les militaires insistent, pour leur part, sur le fait que leur « cœur de métier » (la mission, l’action au milieu des populations, le recours aux armes éventuellement offensives, etc) n’est pas externalisable ; et qu’il convient de ne jamais mélanger, sur le terrain, les soldats réguliers et les privés en armes.

Un colonel français, spécialiste de doctrine, résumait au cours de ce colloque les (bonnes) raisons de ne pas recourir à des SMP :

- normes insuffisantes (casier judiciaire douteux, etc) ;
- confusion, dans le regard de l’opinion, avec les troupes régulières ;
- fonctionnement trop autonome (comme la société Blackwater en Irak) ;
- déséquilibre de l’économie locale (en raison des émoluments hors de proportion des personnels « mercenaires ») ;
- manque de cadre réglementaire et juridique…

Il recommandait la création de procédures d’habilitation ou de labellisation, pour les SMP ; des normes éthiques pour l’embauche (hors clans, ethnies,etc.) ; l’imposition de règles d’engagement ; la mise en place de processus de coordination ; la collecte des armes et matériels (en cas de départ, dissolution, évacuation, etc…).

Un professeur d’université israélien a énuméré de son côté les conditions dans lesquelles il serait possible de recourir dans son pays à des personnels de sociétés militaires privées :

- si ce n’est pas pour des opérations ;
- seulement si c’est à long terme, dans un cadre planifié ;
- seulement s’il y a concurrence entre plusieurs SMP ;
- si ces personnels peuvent être déployés dans l’urgence ;
- s’il n’y a pas de savoir-faire à préserver (tactiques ou armes secrètes, par exemple) ;
- si cela n’entame pas les capacités opérationnelles des forces régulières ;
- si leur sécurité peut être préservée ;
- si une partie des économies ainsi réalisées sont effectivement réinjectées dans le budget militaire.

Questions d’éthique

Vu de Paris, en tout cas, les SMP sont – au minimum – une « réalité opérationnelle », par exemple en Afghanistan où le contingent français – comme celui d’autres pays de la coalition – est bien obligé de « faire avec » : inutile donc de se rester dans le déni ou de se voiler la face. Et – au maximum – une préoccupation centrale, ou disons éthique puisqu’en dernier ressort, l’appel à ces soldats privés, assimilables à des mercenaires (même s’il s’agit souvent d’anciens militaires) repose le problème du rôle du soldat, de la légitimité de la guerre : des questionnements relativement maîtrisés au niveau des Etats et de la diplomatie internationale (même s’ils sont battus en brèche par certaines luttes de libération ou conflits régionaux de forme « asymétrique ») ; mais qui ne sont plus maîtrisés du tout lorsqu’un agent de la compagnie Haliburton arrose préventivement un groupe de citoyens afghans, sous prétexte qu’il pourrait présenter un danger…

Il n’y a pas encore de position doctrinale française sur la question : c’est une des raisons d’être de ce colloque. La fondation St-Cyr et le Centre de doctrine d’emploi des forces prévoient des groupes de travail, et une nouvelle rencontre, dans un an, pour faire le point. On peut cependant remarquer que le parlement français avait pris soin de ne pas inclure les sociétés militaires privées dans la loi de 1983 sur le mercenariat. Et que le général Henri Bentegeat, chef d’état-major des armées, avait affirmé, en 2004, que « la plupart des SMP sont contrôlables et contrôlées, et peuvent rendre des services aux armées », remarquant toutefois au passage que « certaines n’ont pas d’éthique ». Ce qui ne manque pas d’inquiéter.

Conclusion provisoire de ce colloque : il est de plus en plus difficile de faire comme si cette part croissante prise par les SMP n’existait pas. Privatisation et robotisation (les fameux drones) de la guerre sont les deux grandes problématiques du moment, d’ailleurs liées entre elles.

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16 mars 2010

« Jaffa, la mécanique de l’orange », un film d’Eyal Sivan

Jaffa, histoire d’un symbole

par Marina Da Silva

Jaffa, l’une des plus anciennes villes du monde, était aussi l’une des villes les plus prospères et les plus peuplées de Palestine. Avec ses orangeraies déployées à perte de vue, elle fournissait du travail, depuis la cueillette du fruit jusqu’à sa préparation pour l’exportation, non seulement aux Palestiniens mais à des ouvriers venus d’Egypte, de Syrie, du Liban.

En 1948, plus de 4 000 bombes tombent sur Jaffa. Sur les 85 000 Arabes qui y vivaient, il ne va plus en rester que 3 000. Le gouvernement israélien confisque les orangeraies et s’approprie l’orange de Jaffa, qui est devenue le symbole des produits de la colonisation.

Pour nous raconter cette « mécanique de l’orange » et le recouvrement de Jaffa, Eyal Sivan met à l’écran une foule d’images et de représentations et donne la parole à de nombreux interlocuteurs palestiniens et israéliens, historiens, écrivains, chercheurs, ouvriers… Un travail remarquable autour d’un fonds d’archives, photographies, peintures, vidéo, et de témoignages percutants.

On y voit d’abord, dans les années 1920, Arabes et Juifs travailler ensemble dans une relation qui a été extirpée des deux mémoires. Les Juifs ne possédaient alors que 7 ou 8 % des terres et les paysans palestiniens, qui transmettaient leur savoir-faire, étaient loin d’imaginer que dans le sillage de leurs élèves viendraient leurs colonisateurs.

La rupture est intervenue avec l’arrivée des kibboutzim : « Pour eux, nous étions des traîtres », indique un agriculteur israélien qui se souvient : « Ils voulaient imposer le travail juif. Mais l’idéal était une chose, la réalité une autre : Ils pelaient au soleil. » Leur peau claire et leur incapacité à travailler la terre ne les empêcheront pas de persister. La colonisation sera méthodique et rigoureuse, donnée à voir avec documents et images d’avant 1948 en abondance.

Le début de la photographie remonte à 1839 et Khalil Khaed est le premier photographe palestinien à avoir immortalisé les Palestiniens dans les champs d’agrumes et leur relation charnelle à la terre. Puis les Israéliens vont effacer la présence arabe et imposer leurs propres représentations. « On s’est d’abord approprié l’image et après la terre », précise une historienne israélienne : « Les Juifs veulent donner une vision européenne de la Palestine : l’Orient vu de l’Occident. » Avec la peinture aussi, les colons se veulent dans la continuation de l’orientalisme. Ils se travestissent en celui qu’ils viennent remplacer. Le discours de la « terre arabe mal exploitée et peu fertile » se met en place. La propagande sioniste a recours à une iconographie très organisée et contrôle totalement les images produites pour échafauder le mythe d’une terre à l’abandon où ils viennent introduire la modernité. « Le cliché selon lequel la colonisation apporte le progrès ! », souligne Elias Sanbar. Et qui va se décliner dans des images de la bonne santé dans le travail, les chants, les danses, les femmes radieuses, émancipées et en short... C’est le réalisme socialiste à l’israélienne, le rêve colonial qui produit les oranges que l’Orient envoie à l’Occident.

L’orange va devenir un symbole de l’idéologie sioniste. « L’Israël des oranges, c’est un Israël sans Arabes », résume un historien. Dès 1948, les Israéliens déposeront la marque Jaffa. Près de 5 millions de caisses par an seront produites jusqu’en 1970. Les investissements en budgets publicitaires sont considérables : « Jaffa est aux fruits ce que Coca-Cola est à la boisson. » En devenant une marque, la « Jaffa » a effacé la ville de Jaffa, absorbée aujourd’hui par Tel-Aviv.

Jaffa, la mécanique de l’orange, un film d’Eyal Sivan, durée : 90 minutes.

Eyal Sivan, opposant à la politique israélienne, a refusé que le film soit projeté au Forum des images dans le cadre de la campagne internationale de célébration du centenaire de Tel-Aviv (qui bénéficiait du soutien du gouvernement israélien). Le film sera visible en salles en avril 2010 dans les cinémas Utopia (Toulouse, Avignon, Montpellier, Saint-Ouen-l’Aumône) et aux 3 Luxembourg (Paris).

Une version de 52 minutes sera également diffusée le 28 mars à 21 h 30 et le 2 avril à 23 h 50 sur France 5.



La Nouvelle-Zélande surfe sur un web bis

Publiée par Antoine Duvauchelle

Le ministère de l'Intérieur néo-zélandais vient de reconnaître que le filtre Internet était maintenant opérationnel et déjà utilisé par deux FAI locaux : Maxnet et Watchdog. Pour Thomas Beagle, porte-parole de l'association Tech Liberty, « c'est un triste jour pour la Nouvelle-Zélande ».

Pour le gouvernement, il n'y a pas matière à polémiquer. Le ministère de l'Intérieur poursuit la promotion de son système auprès des FAI, et tente de calmer le jeu en rappelant les raisons de sa décision : « Le filtre digital agit contre l'exploitation des enfants, et donne aux fournisseurs d'accès les moyens d'empêcher leurs clients d'accéder à ces sites illégaux, par inadvertance ou volontairement. Il aidera à sensibiliser au problème mondial de l'exploitation sexuelle des enfants. »

Le problème, c'est qu'il semblerait que les deux FAI n'aient pas prévenu leurs clients qu'une partie du trafic était détournée vers le système gouvernemental pour être filtrée. Le ministère de l'Intérieur refuse de dire quels autres fournisseurs d'accès adopteraient le filtre, et réclame le droit à négocier en secret. Selon Tech Liberty, Telstra Clear, Telecom et Vodafone ont annoncé rejoindre le groupe des FAI filtreurs, tandis qu'Orcon, Slingshot et Natcom s'y refusent.

David Zanetti, porte-parole de Tech Liberty pour les questions techniques, craint « que le système réduise la stabilité d'Internet en Nouvelle-Zélande. C'est un point de défaillance unique, qui introduit un objectif nouveau et tentant pour les hackers, et qui va provoquer des problèmes avec les applications Internet modernes en détournant le trafic. »

Pour l'association, le gouvernement néo-zélandais instaure un régime de censure arbitrairement en choisissant de bloquer ce qu'il veut sans référence à la loi préexistante. Pire, selon Thomas Beagle, la liste de ce qui est filtré est gardée secrète, en contradiction avec le reste de la législation sur la censure, qui prévoit que les décisions d'interdiction soient publiées.

Tech Liberty pourrait voir un espoir dans la récente annonce du gouvernement américain, par la voix d'Hillary Clinton : « Ceux qui perturbent le flux d'informations libres dans le monde sont une menace pour notre économie, notre gouvernement, et notre société civile. » Elle a ajouté que les Etats-Unis étaient prêts à aider les gens à contourner les systèmes de filtrage.

Cette actualité risque en tout cas de relancer les polémiques sur les systèmes de filtrage actifs dans le monde. L'Australie a déjà le sien depuis 2008, et la France s'y met doucement avec Loppsi. Cette loi qui concerne la gestion de la police et de la gendarmerie pour la période 2009-2013, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en février dernier. Elle prévoit elle aussi - entre autres - de lutter contre la pédo-pornographie sur la Toile en appliquant un système de filtre par les FAI.

Howard Zinn est mort

jeudi 28 janvier 2010

Militant politique puis universitaire militant, Howard Zinn n’a jamais redouté de s’engager au service des Américains, dont il a écrit l’histoire « par en bas », mémoire du peuple plutôt que mémoire des Etats. Radical, pacifiste, Zinn voyait « dans les plus infimes actes de protestation les racines invisibles du changement social ». Pour lui, les héros des Etats-Unis n’étaient ni les Pères fondateurs, ni les présidents, ni les juges à la Cour Suprême, ni les grands patrons, mais les paysans en révolte, les militants des droits civiques, les syndicalistes, tous ceux qui s’étaient battus, parfois victorieux, parfois non, pour l’égalité. Son Histoire populaire des Etats-Unis, publiée en 1980, a été lue par des millions d’Américains et traduite presque partout dans le monde, y compris tardivement en France (éditions Agone). Elle constitue une lecture irremplaçable.

Ses articles dans Le Monde diplomatique :

  • « Que faisons-nous en Irak ? »
    par Howard Zinn, août 2005.
    Pas un jour, en Irak, sans que l’on annonce des morts : des militaires de la coalition, mais aussi des diplomates et surtout des civils innocents. Cette guerre apporte le chaos dans la région ; elle est aussi une guerre contre le peuple américain.
  • « L’ultime trahison » (H. Z.), avril 2004.
    L’envoi de jeunes hommes et femmes à l’autre bout du monde, en plein cœur d’un pays étranger [l’Irak], et bardés des armes les plus terrifiantes ne les mettant pourtant pas à l’abri d’actes de guérilla qui les laisseront aveugles ou infirmes, ne constitue-t-il pas l’ultime trahison commise par le gouvernement américain à l’encontre de la jeunesse ?
  • « “Un pouvoir que nul ne peut réprimer” » (H. Z.), janvier 2004.
    Le Prix des amis du « Monde diplomatique » a été remis, le 1er décembre 2003, à Howard Zinn pour son livre « Une histoire populaire des Etats-Unis », diffusé à plus d’un million d’exemplaires outre-Atlantique. Dans le discours prononcé à cette occasion, l’auteur a détaillé son projet intellectuel.
  • « Au temps des “barons voleurs” » (H. Z.), septembre 2002.
    Les nombreux scandales financiers en 2002 aux Etats-Unis ont rappelé à certains Américains la période de la fin du XIXe siècle marquée par la dictature économique et sociale des « barons voleurs ». Dans un livre majeur alors traduit en France et dont Le Monde diplomatique a publié des bonnes feuilles, Howard Zinn consacre un chapitre à cette période.
  • « La légalisation de l’injustice » (H. Z.), juillet 1976.
    Il est communément admis aux Etats-Unis que pouvoir politique et richesse sont inégalement répartis entre les citoyens. Par contre, la conviction y est largement répandue que l’égalité devant la loi constitue l’un des principes fondamentaux du système américain. Mais la richesse et le pouvoir étant inégalement répartis, la justice peut-elle prétendre assurer l’égalité alors que les autres composantes sociales ne l’assurent pas ?

Sur notre site

  • « Une histoire du peuple des Etats-Unis »
    par Pierre Dommergues, avril 1980.
    A People’s History of the United States est une histoire du peuple, par le peuple, pour le peuple. C’est aussi la première synthèse qui propose, à partir des centaines d’études spécialisées, une vision d’ensemble de la politique intérieure et étrangère des Etats-Unis, du débarquement de Christophe Colomb en 1492 à l’embarquement dans l’austérité de l’année 1980.

Dans notre boutique :

  • L’impossible neutralité. Autobiographie d’un historien et militant, un livre de Howard Zinn (à commander sur notre boutique en ligne).
    Howard Zinn a été de toutes les luttes depuis les années 1950. Son Histoire populaire des Etats-Unis (Agone) a été un immense succès. Ici, l’objectif reste le même : remettre le plus grand nombre, le peuple, avec son quotidien et ses idéaux, à sa place d’acteur principal de l’histoire.


Charles Perron, cartographe de la « juste » représentation du monde

par Federico Ferretti

Il y a cent ans mourait Charles-Eugène Perron (1837-1909), le principal dessinateur des cartes de la Nouvelle Géographie universelle (NGU) [1] d’Elisée Reclus. On sait par les rares études qui lui ont été consacrées [2] qu’il n’était pas qu’un simple exécutant : c’était aussi un intellectuel brillant, militant très investi dans la cause anarchiste, épris de justice et passionné par sa discipline. La géographie contemporaine a remis au goût du jour le concept de « justice spatiale » dont l’objet est de réduire, voire éliminer les discriminations sociales nées d’une injuste organisation spatiale des sociétés (partage inégal des richesses et des accès aux services fondamentaux), ce qui implique d’imaginer des politiques territoriales alternatives [3]. Les géographes « engagés » de la fin du XIXe siècle avaient déjà réfléchi à une approche semblable, notamment avec l’idée de « géographie sociale » (représentation du monde dans un idéal de justice).

L’ignorance, voilà le vice social organique !

Charles Perron est d’abord formé à l’art par son père, peintre sur émail, avant de rejoindre l’école d’art de Genève. Entre 1857 et 1861 il part travailler en Russie. « Il est probable qu’il ait acquis pendant cette période une bonne connaissance de la Russie tsariste, peut-être est-il même entré en contact avec les jeunes apologistes du nihilisme [4], explique Peter Jud dans un article qui lui est consacré. A partir des années 1860, Charles Perron travaille à Genève comme peintre et photographe. Il fréquente assidûment la nombreuse colonie des réfugiés russes, et devient bientôt le référent suisse de Michel Bakounine (en 1868, Bakounine adhère à la Ligue de la paix et de la liberté comme membre de la section centrale de Genève où il se lie aussitôt avec Charles Perron) [5].

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Perron et Bakounine
(Itinéraire, 14-15, p. 66)

Au cours de la décennie suivante, Charles Perron sera l’un des principaux représentants en Suisse, avec James Guillaume, de la composante antiautoritaire de la Première Internationale. Au congrès de Saint-Imier en 1872, cette organisation signe l’acte de naissance du mouvement anarchiste organisé.

Dans l’engagement politique de Charles Perron, il y a une forte composante pédagogique. En 1868, il publie un pamphlet, « De l’obligation en matière d’instruction », où il affirme la nécessité de l’instruction libre et gratuite pour la libération sociale et la fin de l’exploitation. « L’ignorance, voilà le vice social organique, la cause première du désordre ! C’est là qu’il faut frapper, et frapper fort ; car si l’on fait disparaître cette lèpre, la vraie, la dernière révolution sera accomplie », assène-t-il [6]. Ce texte anticipe le mouvement de la pédagogie libertaire, qui verra, parmi ses animateurs, les géographes Elisée Reclus et Pierre Kropotkine. En 1876, c’est avec Elisée Reclus, exilé après la Commune de Paris, que Charles Perron constitue à Vevey, en Suisse, une section internationaliste, qui publie le journal Le Travailleur, le premier qui souhaite la création d’écoles libertaires et d’université populaires, où la géographie trouvera bientôt une place prépondérante.

Aux origines de la cartographie thématique

A Vevey, ils s’attèlent aussi à une autre tâche. Les deux géographes consacrent en fait l’essentiel de leur énergie à la rédaction de la Nouvelle Géographie universelle (NGU), un ouvrage qui comptera à terme 19 volumes et plus de 17 000 pages. Charles Perron signe plus de 3 000 cartes en noir et blanc sur 6 000 et une cinquantaine de grandes tables en couleurs. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les éditeurs d’ouvrages géographiques commencent à porter une attention toute particulière aux illustrations cartographiques. Elisée Reclus est l’un des premiers géographes, sinon le premier, qui pense et conçoit l’iconographie en parfaite symbiose du texte comme en témoigne sa correspondance de travail. Il demande à ses cartographes de suivre des indications très précises : les cartes doivent être simples, les toponymes clairs et peu nombreux, il faut éviter toutes les formules abrégées et les symboles obscurs non compréhensibles.

Les premières collaborations de Charles Perron avec Elisée Reclus, depuis le deuxième volume, coïncident avec une importante innovation technique pour la production des cartes : l’emploi du procédé Gillot, qui permet de les envoyer directement à l’imprimeur, sans passer par le graveur à Paris. Pour Elisée Reclus, cela signifie garder le plein contrôle de l’iconographie malgré son éloignement.

Charles Perron se lance des défis toujours plus incertains, et tente de trouver une solution à l’un des problèmes les plus difficiles de la cartographie : représenter la troisième dimension. « L’instrument alors employé pour le tracé des lignes sur pierre ou sur métal ne pouvait servir sur le papier. Je dus trouver autre chose. Je fis faire l’outil qui est aujourd’hui entre les mains de tous les cartographes. Il se compose d’une simple règle en acier rayée sur le bord comme le sont les décimètres et contre laquelle se meut une équerre à angle modifiable, munie d’un ressort qui, glissant sur la règle, déclique en passant sur chaque millimètre. L’angle plus ou moins ouvert de l’équerre, joint au nombre de millimètres parcourus entre chaque arrêt de celle-ci permet de rapprocher ou d’éloigner d’une quantité quelconque les traits des grisés [7]. »

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Charles Perron au travail

Les cartes de Charles Perron ont peu à voir avec la « géographie mathématique », c’est-à-dire que la localisation géodésique et l’uniformité topographique ne sont pas leurs premiers soucis : elles sont un soutien au texte et se présentent souvent sous la forme de ce qu’aujourd’hui on appellerait une « carte thématique ». Cartes physiques, statistiques, historiques, cartes de la population sont alors employés pour accompagner l’exposé des thématiques sociales. Pour ne citer que quelques exemples parmi des centaines, la carte de l’accroissement de Londres illustre parfaitement le texte sur les grandes villes contemporaines et la carte des densités démographiques de l’Eurasie sert à Elisée Reclus pour son discours sur le développement comparé des civilisations de l’Orient et de l’Occident.

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Densité de population en Asie, (NGU, vol. VI, p. 17)

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Evolution spatiale de Londres (NGU, vol. IV, p. 503)

N’oubliez pas que la terre est ronde…

Dans les années 1890, Elisée Reclus quitte la Suisse et achève son ouvrage. Les archives montrent que sa collaboration avec Charles Perron se poursuit pour le projet du Grand Globe à l’échelle de 1:100 000 (127,5 mètres de diamètre), que Reclus projette de construire pour l’Exposition universelle de 1900 (lire « Elisée Reclus, le géographe qui n’aimait pas les cartes », de Federico Ferretti, et « Le monde sans la carte » de Béatrice Collignon).

Aujourd’hui, les géographes critiquent souvent les cartes pour leur « européocentrisme », ou parce qu’elles déforment injustement, selon la projection, les proportions des continents. Avec le fameux globe d’Elisée Reclus, pas de risque : « d’abord, le globe l’emporte sur la carte par le caractère de vérité, nous dit-il. Il représente la planète dans sa véritable structure, se module exactement sur les vrais contours, tandis que les cartes, d’autant plus fausses qu’elles s’appliquent à une partie plus considérable de la surface planétaire, ne peuvent que tromper le lecteur sur les dimensions relatives des régions différentes [8] ». Elisée Reclus, comme ses maîtres Carl Ritter et Alexandre de Humboldt, défend le principe de l’unité terrestre et dénonce l’insuffisance de la carte plane comme solution pour la représenter.

Charles Perron, ainsi que Paul Reclus, font partie de la grande équipe chargée de réaliser le globe. Tout le monde s’y met avec passion et enthousiasme. A Edimbourg, l’urbaniste Patrick Geddes se voit confier la réalisation du relief de l’Ecosse. Charles Perron se réserve la création du relief de la Suisse. « Quel beau fragment de notre globe sera la Suisse ! Votre Suisse (…) sera le gros morceau d’attaque [9]. » L’échelle du cent millième permet de représenter les hauteurs à la même échelle que les longueurs : une montagne de mille mètres correspond à un centimètre de relief, dimension déjà perceptible à la vue et au toucher. Charles Perron écrit :« Les autres producteurs de reliefs de l’époque exagèrent, en général, la hauteur des montagnes pour les faire mieux voir et, partant de l’idée de représenter la terre sous son aspect vrai, l’abandonnent aussitôt [10]. » Il prescrit des règles bien plus strictes :

  1. Les reliefs ont pour objet de montrer la configuration du sol telle qu’elle est.
  2. Ils ne doivent admettre aucune des conventions en usage dans les cartes de géographie.
  3. Rien ne doit y être représenté qui ne soit à l’échelle.
  4. Les reliefs représentant tout ou partie de l’écorce terrestre doivent en avoir la courbure exacte.
  5. Les reliefs doivent être construits selon des procèdes mécaniques assez précis pour que l’exactitude mathématique en soit la résultante.
  6. Les reliefs rentrent dans le domaine des sciences exactes où l’art ne doit intervenir qu’en seconde ligne [11].

Autant dire que rien n’est laissé au hasard. Charles Perron se munit d’un instrument ingénieux, un pantographe qu’il fabrique lui-même, pour graver les hauteurs sur des surfaces en bois ou carton pressé. Du Grand Globe, qui hélas ne verra jamais le jour (par manque de financement), ne sera fabriqué que le relief de la Suisse. Présenté à l’Exposition de Paris de 1900, ce fragment d’œuvre gagnera la médaille d’or !

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Le Relief de la Suisse travaillé par Charles Perron, (Genève, muséum d’histoire naturelle)

Des cartes pour le peuple !

C’est du côté de la pédagogie que se tournent les recherches scientifiques et les orientations politiques de Charles Perron, qui ne rêve que de « justice sociale », c’est-à-dire de la transformation libertaire et égalitaire de la société qu’Elisée Reclus, dans son ouvrage L’Homme et la Terre, lie à la « géographie sociale ». « La lutte des classes, la recherche de l’équilibre et la décision souveraine de l’individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle l’étude de la géographie sociale et qui, dans le chaos des choses, se montrent assez constants pour qu’on puisse leur donner le nom de lois [12]. »

Elisée Reclus quitte Genève, et Charles Perron, plus social et pédagogique que jamais, souhaite mettre à la disposition du public les nombreuses cartes laissées par son collègue. Il s’engage dans un projet de « musée cartographique » qui finit par ouvrir ses portes en 1907, puis publie un catalogue descriptif, ainsi qu’une histoire générale des mappemondes. « Je voudrais réussir à faire comprendre, explique-t-il, au moins en partie, l’importance que des musées cartographiques pourraient avoir pour les études scientifiques comme pour l’instruction publique. Il ne suffit pas de connaître l’existence de vieux documents cartographiques : il faudrait que, comme les tableaux dans les galeries d’art, ils fussent accessibles à tous [13]. » Le catalogue contient des notes didactiques et des commentaires écrits de manière simple et claire afin que le savoir géographique soit autant que possible à la portée de tout le monde [14]. Plus de six cents personnes visitaient chaque année le Musée Cartographique, qui hélas, fermera en 1920 [15].

Les archives cartographiques de Charles Perron et Elisée Reclus sont conservées à la bibliothèque de Genève. Ce précieux matériel est réparti en trois catégories.

La première, ce sont les sources, c’est-à-dire des documents de tout genre consultés pour la rédaction de la NGU, dont une bonne partie était exposée au musée. Il s’agit de nombreuses cartes historiques, telles que reproductions des cartes de l’Antiquité et du Moyen Age, des recueils de cartes topographiques que les Etats européens produisaient à l’époque, des cartes russes et asiatiques collectées par des collaborateurs de la NGU comme Pierre Kropotkine et Léon Metchnikoff.

La deuxième, c’est celle des dessins originaux de Charles Perron, souvent annotés et corrigés par Reclus.

La troisième regroupe toutes les épreuves imprimées, où les annotations d’Elisée Reclus témoignent du très étroit contrôle qu’il exerçait sur les illustrations de ses livres. On peut citer en exemple la carte en couleurs de la mer Noire.

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Epreuve annotée de la carte de la mer Noire pour la NGU
(Bibliothèque de Genève, département des cartes et plans)

« Pointe à redresser, comme en général tous les contours. Les contours de la mer Noire sont trop inexactement simplifiés [16]. » Ce n’est pas seulement un souci de perfection extrême : pour Elisée Reclus, le monde est trop complexe pour que les cartes ne se permettent de le banaliser.

Aujourd’hui, les conservateurs de la bibliothèque tentent de convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de valoriser ce patrimoine de milliers de cartes parmi lesquelles les « disques globulaires », cartes de métal recourbé descendants directs des « reliefs », qu’Elisée Reclus construisit à Bruxelles dans les dernières années de sa vie. « Parce que, écrivait-il à Charles Perron, il n’en reste pas moins vrai que la Terre est ronde et que les cartes devraient logiquement l’être aussi [17]. »

Federico Ferretti est Doctorant à l’université de Bologne et à l’université de Paris 1 Panthéon - Sorbonne, UMR 8504 Géographie-Cités, Epistémologie et Histoire de la Géographie (EHGO).

Notes

[1] Elisée Reclus, Nouvelle Géographie Universelle, Hachette, Paris, 1876-1894, 19 volumes.

[2] Peter Jud, Elisée Reclus und Charles Perron, Schöpfer der « Nouvelle Géographie Universelle », Zürich, 1987 ; Federico Ferretti, Il mondo senza la mappa : Elisée Reclus e i geografi anarchici, Zero in Condotta, Milano, 2007 ; voir aussi le site raforum.info/reclus/

[3] Frédéric Dufaux, Sonia Lehman-Frisch, Sophie Moreau, Philippe Gervais-Lambony, « Avis de naissance », Justice spatiale, 1 (2009), jssj.org

[4] Peter Jud, « Charles Perron », Itinéraire, 14-15, 1998, p. 69.

[5] James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, Paris, Lebovici, 1985, p. 71.

[6] Charles Perron, De l’obligation en matière d’instruction, Imprimerie Vaney, Genève, 1868, p. 9.

[7] Jean Brunhes, Paul Girardin, « Conceptions sociales et vues géographiques : la vie et l’œuvre d’Elisée Reclus », Revue de Fribourg, 37, 1906, p. 362.

[8] Elisée Reclus, Projet de construction d’un globe terrestre à l’échelle du cent-millième, Paris, Edition de la Société Nouvelle, 1895, pp. 3-4.

[9] Bibliothèque de Genève (dorénavant BGE), Dép. des Manuscrits, Ms. Suppl. 119, lettre d’Elisée Reclus à Charles Perron, 1er décembre 1895.

[10] Charles Perron, « Exposition de quelques reliefs cartographiques nouveaux et explications à ce sujet », Le Globe, 33, 1894, p. 127.

[11] Peter Jud, 1987, op. cit., p. 166.

[12] Elisée Reclus, L’Homme et la Terre, vol. I, Paris, Librairie Universelle, 1905, p. IV.

[13] Charles Perron, Une étude cartographique. Les Mappemondes, Paris, Ed. de la Revue des Idées, 1907, p. 44.

[14] Charles Perron, Catalogue descriptif du Musée cartographique, Genève, Imprimerie Romet, 1907, p. 5.

[15] Marianne Tsioli Bodenmann, « Cartes et Plans », in Patrimoines de la Bibliothèque de Genève.

[16] BGE, Département des Cartes et Plans, Collection Charles Perron.

[17] BGE, Département des Manuscrits, Ms. Suppl. 119, lettre d’E. Reclus à Ch. Perron, 9 nov. 1902.

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13 mars 2010

Toulouse-Bruxelles : l’axe du mal de Veolia

par Marc Laimé

Veolia, multinationale française leader mondial des services à l’environnement, a construit à Bruxelles à l’orée des années 2000 une gigantesque station d’épuration (STEP), qui épure les eaux usées d’un million cent mille habitants de la capitale belge. Depuis le début du mois de décembre 2009, cette STEP est au centre d’une véritable affaire d’Etat qui enflamme la Belgique. Aquiris, la filiale belge de Veolia qui gère cette station, en a unilatéralement suspendu le fonctionnement une dizaine de jours durant début décembre, avant de se voir enjoindre par la justice de la remettre en route, compte tenu des pollutions gravissimes entraînées par le rejet dans trois fleuves flamands des eaux usées non traitées de l’agglomération bruxelloise. L’affaire est sans précédent, folle, baroque, incompréhensible. La filiale belge de Veolia, Aquiris, soutient que les eaux usées charriées jusqu’à la STEP par le réseau public d’égouts bruxellois y acheminent des tonnes de sables et de gravats qui ne permettent pas à la station de fonctionner correctement. Les médias belges relatent qu’Aquiris serait à vendre depuis six mois. Le nouveau directeur de Veolia Eau a rencontré toutes affaires cessantes, l’avant-veille de Noël, les autorités belges. Veolia vient de mobiliser la plus grande entreprise américaine de relations publiques spécialisée dans la gestion de crise, afin de « gérer » cette affaire. Celle-ci pourrait trouver son origine dans une véritable catastrophe industrielle, qui pourrait demain avoir des échos jusqu’à Milan et Varsovie. Cette terrifiante histoire a en fait débuté dans la banlieue toulousaine à l’orée des années 1990. La Générale des eaux, aujourd’hui Veolia, a cru y découvrir le Graal, une nouvelle technologie de traitement des boues d’épuration : l’oxydation par voie humide. La généalogie de cette « innovation » industrielle constitue un acte d’accusation sans précédent contre les multinationales françaises de l’eau qui prétendent promouvoir sa marchandisation sur toute la planète, en excipant de leur supériorité technologique. L’enquête ci-après nous a occupés plusieurs années. Nous la dédions à nos amis d’Outre-Quiévrain, aujourd’hui victimes de la folle mégalomanie de Veolia.

Plusieurs années avant la tragique explosion de l’usine AZF, Toulouse commençait à vivre un autre feuilleton catastrophe, qui est loin d’être arrivé à son terme : celui de l’agrandissement de la station d’épuration des eaux usées de la ville et de son agglomération. Initié au début des années 1990, le projet « Ginestous 2000 » a très vite tourné au cauchemar. Pour les Toulousains, mais aussi pour la municipalité et la Générale des Eaux, filiale de Veolia qui réalise dans l’agglomération un chiffre d’affaires annuel de près de 100 millions d’euros. Au terme d’un invraisemblable feuilleton qui aura vu les autorités concernées multiplier les impairs en s’affranchissant trop souvent des contraintes légales, des centaines de milliers de Toulousains s’apprêtent désormais à vivre aux côtés de deux incinérateurs géants qui vont être édifiés à trois kilomètres à vol d’oiseau de la place du Capitole, cœur emblématique de la Ville rose. Après les stocks d’ammonium, la dioxine ?

L’épuration à tout prix Retour à la table des matières

L’usine d’épuration de Ginestous, dont la construction débuta en 1954, fut gérée par le service municipal de l’eau de Toulouse jusqu’en 1990, date à laquelle la mairie concède pour trente ans l’exploitation et la gestion des services de production et d’assainissement de l’eau à la Générale. C’est donc il y a près d’un demi-siècle que l’Omnium de traitements et de valorisation (OTV), filiale de la Générale, commença à édifier la station. Les travaux se poursuivront par tranches successives jusqu’en 1989. D’une capacité actuelle de 550 000 « équivalent-habitant » (EqH), l’unité conventionnelle de mesure de la pollution des eaux usées [1], l’usine rejette ensuite les eaux traitées dans la Garonne.

Au début des années 1990, la Générale gère non seulement les eaux usées, et donc les boues d’épuration, de la ville, mais aussi celles de sept autres communes de l’agglomération, déjà raccordées au réseau souterrain des égouts toulousains – communes qui n’avaient d’ailleurs pas eu à signer de contrat avec l’entreprise pour profiter de l’aubaine. Tablant sur le traitement des eaux usées pour asseoir son pouvoir dans l’agglomération, la Générale propose dans la foulée de traiter également les boues de dix-sept autres villes des environs de Toulouse, qui seraient transportées par camion à Ginestous. Et, pour ce faire, de « rénover » la station.

Le projet s’appuie sur des constats auxquels sont confrontées toutes les collectivités depuis une décennie. L’adoption de normes d’assainissement de plus en plus strictes, impulsée par des directives communautaires, incite à prévoir l’augmentation de capacité de la station, de 550 000 à 700 000 EqH. L’élaboration du SDAGE Adour-Garonne [2] implique que des efforts particuliers soient réalisés en Zones d’action prioritaire, les zones voisines de l’agglomération toulousaine déjà fortement polluées par les nitrates d’origine agricole. Il va donc falloir améliorer les performances épuratoires pour traiter les matières azotées présentes dans les eaux usées. La station d’origine ne permettant pas cette « dénitrification », il faut prévoir des investissements complémentaires pour assurer ce traitement. Enfin, quoiqu’à l’époque les risques d’eutrophisation [3] de la Garonne en aval de Toulouse n’aient pas été clairement identifiés, on prévoit déjà de doter la station pour un traitement ultérieur du phosphore. A ce stade, l’addition se chiffre déjà à 54 millions d’euros (augmentation de capacité, nitrification, traitement du phosphore).

Le maire de Toulouse n’hésitera pas à prédire, en novembre 1999 dans le mensuel diffusé par la municipalité, Capitole-Infos, que cette station sera, à terme, « la plus grande de France, voire d’Europe ». Dominique Baudis et la Générale avaient vu grand. Au terme d’un invraisemblable feuilleton, Ginestous 2000 aboutit en fait aujourd’hui à concentrer, à 3 kilomètres du centre-ville, une gigantesque zone de traitements de déchets multiples, avec notamment le projet, depuis 2001, d’y construire deux incinérateurs qui pourraient traiter l’ensemble des boues d’épuration de la Haute-Garonne.

Dès 1995, des travaux d’infrastructure préfigurent le grand chantier à venir. Une digue est édifiée sur la plaine de Ginestous afin de la rendre non-inondable. Une voie d’accès rapide à la zone de la station, le « Fil d’Ariane », est construite. Les associations d’usagers qui combattront à partir de 1997 les projets pharaoniques de Dominique Baudis et de la Générale sourient aujourd’hui de leur naïveté : elles s’étaient déchirées des mois durant dans un conflit à la Clochemerle, qui portait sur les sorties de cette rocade en direction du quartier des Sept Deniers, où est implantée l’usine d’épuration. Fallait-il opter pour des sorties en « demi-boucle » ou des sorties en « trompette » ? Les « demi-boucles » l’emporteront finalement sur les « trompettes ». Au plus grand profit des norias de poids lourds qui transportent les boues d’épuration des communes voisines, auxquels les « demi-boucles » facilitent l’accès à Ginestous, en sortie de la voie rapide...

La roche tarpéienne est proche du Capitole... Retour à la table des matières

C’est l’ex-OTV (aujourd’hui Veolia Water Systems), qui a construit le site à partir de 1954, qui est retenue en 1997 pour mener à bien « l’extension et la mise aux normes » de la station. Elle a été préférée à une filiale de la Lyonnaise des Eaux, éternel challenger de Veolia, et à une troisième entreprise qui n’avait aucune chance face aux deux géants. Le coût de l’offre de Veolia pour construire la quatrième tranche de la station, baptisée « Ginestous 4 », 160 MF hors taxes, était il est vrai inférieur de 11 MF à la proposition de la Lyonnaise.

L’ensemble des travaux sont alors estimés à 273 MF. La commission d’appel d’offres présidée par feu Jean Diebold, adjoint au maire de Toulouse en charge des eaux et de l’assainissement et vice-président de la Communauté d’agglomération, souligne toutefois à l’époque que cette enveloppe globale n’intègre pas les différentes options et variantes qui restent à « optimiser »... Sage précaution. Depuis lors, la facture a plus que doublé. Il a fallu adjoindre successivement à l’épure initiale un « sécheur » de boue, une aire de compostage et finalement deux incinérateurs. Sans compter une future unité de « dénitrification » qui va devenir indispensable pour pouvoir continuer à distribuer de l’eau potable aux Toulousains. Un comble, puisque ce traitement destiné à éliminer les nitrates d’origine agricole qui polluent les nappes phréatiques, très profitable à la Générale, va devenir indispensable à terme, en raison même des solutions techniques d’élimination des boues d’épuration privilégiées par la ville et la Générale. Qui vont, même si elles s’en défendent, transformer peu ou prou Ginestous en « usine à polluer ». Un parfait cercle vicieux.

Du coup, l’addition va grimper en moins de cinq ans à 555 MF. Le tout dans un contexte administratif et juridique calamiteux. Les travaux seront « découpés » en tranches successives qui n’en facilitent évidemment pas la lisibilité. Certains seront même engagés sans avoir obtenu les autorisations nécessaires. Les conclusions d’une première enquête d’utilité publique seront vertement retoquées par les différentes autorités de tutelle concernées. Les riverains engagent une véritable guérilla avec la mairie et la Générale. En fait, l’affaire dérape irrésistiblement, dans un contexte qui ne facilite pas, il est vrai, la tâche des collectivités et des entreprises spécialisées dans l’épuration, aujourd’hui débordées par le flot des boues d’épuration dont elles ne savent plus comment se débarrasser.

Boues d’épuration : la marée grise Retour à la table des matières

Alors que chaque personne rejette en moyenne 200 litres d’eau usées par jour, les stations d’épuration françaises n’éliminaient en 2002 qu’environ 50% de la pollution brute des eaux usées en matières organiques. Rien d’étonnant. En 1999, seules 17 000 communes étaient reliées à une station. Elles concernaient 53,4 millions d’habitants, soit 89% de la population. Le nombre de ces stations est bien passé de 1 500 à 15 000 entre 1970 et 1990, mais c’est encore insuffisant. Car le taux d’élimination de la pollution brute devait atteindre 65% en 2005 pour répondre aux normes européennes. A cette date, toutes les communes de plus de 2 000 habitants devaient être raccordées. Mais ce développement rapide de l’assainissement pose des problèmes qui sont loin d’être résolus.

Ces stations produisent notamment chaque année plus d’un million de tonnes de boues, dont un peu plus de 50% étaient jusqu’ici valorisées comme fertilisant agricole par voie d’épandage. Le reste étant soit incinéré (15 à 20%), soit mis en décharge (30%). Or, l’instauration de normes européennes plus restrictives, comme les réticences croissantes des secteurs de l’agroalimentaire et de la grande distribution à accepter des produits fertilisés par les boues d’épandage, sont en passe de transformer le problème des boues d’épuration en une nouvelle bombe écologique à retardement. Depuis quelques années, les collectivités ne savent en fait plus à quel saint se vouer pour les éliminer. Du coup, les impairs se multiplient.

L’évolution des modalités de traitement des eaux usées a en fait peu à peu abouti à une impasse. Les densités de population et les activités humaines ont rendu nécessaire un traitement centralisé des pollutions. Les collectivités ont donc lourdement investi, et continuent d’investir, dans des réseaux de collecte et des usines de traitement qui permettant de concentrer la pollution en un point et de la traiter plus efficacement. Revers de la médaille : on se retrouve avec des résidus, les boues d’épuration, qui concentrent tous les polluants qu’on a coûteusement réussi à séparer d’une eau qu’on va ensuite rendre, partiellement dépolluée, aux rivières.

Mais comment se débarrasser des boues ? Il n’a plus été possible de les mettre en décharge à partir de 2005, en application d’une Directive européenne. Pour ce qui est de l’épandage, les agriculteurs rejettent de plus en plus massivement ce mode de fertilisation, pressés par la grande distribution, elle-même en butte à la défiance des consommateurs depuis la succession de graves crises alimentaires des années 1990... Reste l’incinération, qui pose d’autres problèmes. Les boues sont très humides, et leur combustion dégage des pollutions supplémentaires, découlant de la combustion des métaux lourds qu’elles contiennent...

Impasse donc, car en continuant à rejeter les boues dans le milieu naturel, on réinjecte la pollution là où on ne souhaiterait pas la voir surgir, et notamment dans les terres agricoles et les eaux de ruissellement. Or les modalités industrielles de la production de boues ne sont pas celles de l’agroalimentaire. Le producteur ne choisit pas ses ingrédients, mais traite ce qu’on lui fournit. Et les analyses du produit final (chargé en métaux lourds, en micro-polluants et en germes pathogènes) ne s’effectuent qu’a posteriori. Du coup, l’effet indirect sur la chaîne alimentaire est possible, et son impact est encore loin d’être bien évalué.

La chaîne de dépollution des eaux usées est encore incomplète. Les collectivités et les opérateurs le savent. D’autres méthodes de traitement des boues sont d’ailleurs expérimentées. Mais leur application à grande échelle entraîneraît un surcoût sensible des factures d’assainissement acquittées par les usagers. Les élus s’inquiètent, temporisent... Coupable attentisme.

Fuite en avant Retour à la table des matières

Les grands travaux toulousains illustreront jusqu’à la caricature la fuite en avant qui caractérise la gestion des ressources en eau en France ; des eaux de plus en plus polluées par les nitrates et les pesticides, sous-produits d’un modèle agricole productiviste. Si les habitants concernés par « Ginestous 2000 » ne nient pas le besoin d’amendement des sols, ils subodorent vite que c’est plutôt le producteur de boues (la Générale qui exploite la station pour la mairie de Toulouse) qui cherche à se débarrasser d’un stock de déchets encombrants en lui donnant « l’apparence d’un produit capable de se substituer aux coûteux engrais utilisés par les exploitants agricoles »...

Alors que la station de Ginestous produisait 6 000 tonnes de boues par an en 1979, vingt ans plus tard, on aurait déjà atteint, officiellement du moins, les 13 500 tonnes, dont 30% (7 500 tonnes) étaient compostées, et 50% à 55% (6 000 tonnes) séchées afin d’être transformées en granulés destinés, comme le compost, à la fertilisation des terres agricoles. A l’horizon 2013, la Générale prévoit que Ginestous devrait en produire 20 000 tonnes par an... Chiffre contesté par les associations d’opposants au projet d’« extension » de la station. Se basant sur les statistiques officielles disponibles, qui évaluent la quantité annuelle de boues produites à 20% de matières sèches par habitant à 95 kilos, elles l’ont multipliée par l’estimation, avancée par la Générale, de quelque 800 000 EqH de pollution produite en 2013 à Toulouse. Ce qui ne donne qu’une estimation de 15 500 tonnes de « matières sèches », produites à partir des boues d’épuration des 800 000 EqH présumés de Toulouse en 2013. Et non de 20 000...

Un feuilleton catastrophe Retour à la table des matières

La Générale va accumuler une impressionnante succession de déboires dès le début des années 1990. Dès la signature du contrat de concession, la technologie de la méthanisation est abandonnée. Jusque-là, trois unités produisaient du biogaz par méthanisation des boues. Une technologie « propre ». Mais guère rentable... On conserve toutefois une partie des ouvrages existants afin d’assurer la « flottation », c’est-à-dire l’épaississement des boues. Du coup, ces fameuses boues ont une forte teneur en éléments fermentiscibles. Elles fermentent donc allègrement, et empestent d’autant. Comment s’en débarrasser ? A priori par voie d’épandage agricole, comme cela a toujours été le cas.

C’est là que l’affaire commence à déraper. A l’époque, la législation n’encadre pas vraiment l’épandage des boues. Faute de plan d’épandage autorisé et d’équipements de séchage (pour la fabrication de granulés dont l’épandage ne provoque pas de nuisances olfactives), ou de compostage en état de marche, la Générale se livre à des épandages « sauvages » de boues pâteuses, qui vont donner une image déplorable de cette pratique. Du coup, les collectivités de la périphérie de Toulouse qui accueillaient ces boues commencent à les refuser. Y compris celles dont les eaux usées étaient traitées à Ginestous. Syndrome « Nimby » : « Not in my backyard »...

On songe alors à trouver d’autres débouchés que les terrains agricoles traditionnels. Mais la Générale devra abandonner dès 1997 un projet sur lequel elle avait beaucoup misé, le programme « Collembole », qui prévoyait d’expédier nos encombrantes boues d’épuration, chargées en métaux lourds (arsenic, cadmium, mercure, plomb, zinc...) dans des forêts d’eucalyptus expérimentales du sud du département. Il est vrai que les « mécanos » de la Générale prendront un peu de haut les élus et les agriculteurs des zones concernées, qui ne tarderont pas à les renvoyer à leurs études.

Face à cette impasse, ils imaginent ensuite de transformer les boues pâteuses et malodorantes en granulés secs destinés à la fertilisation des terres agricoles. Et d’utiliser pour ce faire un « sécheur » de boues, d’un coût de 45 MF, dont la construction sera financée par la ville de Toulouse, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et la Générale. Sur le papier, tout est OK. Une fois séchées et transformées en granulés, nos boues devraient pouvoir être mieux acceptées. Qu’il s’agisse de leur stockage, de leur transport, ou des nuisances olfactives.

De surcroît, une fois séchées, les boues pourraient aussi, pourquoi pas, être « co-incinérées » dans l’unité d’incinération des ordures ménagères dont la ville s’est déjà dotée, et qui est implantée au Mirail. Au prix d’un nouvel investissement, évalué par l’Agence de l’eau Adour-Garonne à 4 millions d’euros. Là aussi, sur le papier, tout semble OK.

Hélas, à peine est-il inauguré en grande pompe le 6 juin 1997 que notre fameux « sécheur » tombe malencontreusement en panne, le lendemain même d’une conférence de presse au cours de laquelle feu Jean Diebold, l’adjoint chargé des eaux et de l’assainissement de Dominique Baudis, présentait officiellement « Ginestous 2000 » ! La mairie, pas plus que la Générale, ne se montrent très disertes sur les causes du fâcheux incident. Les sociétés CGE-OTV et Swiss-Combi se rejettent d’ailleurs mutuellement la responsabilité de l’incident, ce qui n’aide guère à y voir plus clair. Quoi qu’il en soit, la réparation du sécheur va coûter 3 MF supplémentaires. Du coup, la filière alternative de la co-incinération avec les ordures ménagères ne sera jamais mise en œuvre.

Laxisme réglementaire Retour à la table des matières

La Générale des eaux a joué de malchance à Toulouse. A peine la première enquête d’utilité publique concernant l’extension de la station d’épuration était-elle lancée qu’étaient adoptés un décret le 8 décembre 1997, puis un arrêté le 8 janvier 1998, tous deux relatifs à l’épandage des boues issues du traitement des eaux usées. Or l’article 2 du décret précisait clairement que ces boues « ont le caractère de déchets » au sens d’une loi datant de 1975. Depuis, toute « valorisation » de ces boues doit donc s’accompagner d’un grand luxe de précautions préalables. En clair, il n’est plus possible de les présenter comme d’innocents substituts aux engrais, que l’on va pouvoir épandre sur des terres agricoles.

Du coup, et cela ne va pas arranger ses affaires, la Générale va devoir abandonner son projet initial de les répandre sur des zones situées à la périphérie de Toulouse, ce qui était d’ailleurs violemment contesté par les habitants des zones concernées. Et va devoir explorer des zones moins « sensibles », jusqu’au sud du département, dans le Lauragais, pour espérer pouvoir enfin s’en débarrasser.

Mais, nouvelle impasse, il lui faut désormais établir que les boues transformées en granulés, et toujours vouées à l’épandage sur des terres agricoles, auront reçu des traitements tels qu’elles pourront être considérées comme des « boues hygiénisées », catégorie définie par le décret et l’arrêté précités. Or, toujours selon les pugnaces opposants qui contesteront le projet présenté dans le cadre de la seconde enquête d’utilité publique, après avoir obtenu l’enterrement de la première, « la prétendue absence d’odeur vantée dans la propagande de Vivendi (aujourd’hui Veolia), n’est pas un gage de qualité bactériologique ».

Il est vrai qu’on pouvait s’interroger sur la pertinence et la rigueur des « études techniques » jointes par la Générale au dossier de cette enquête, puisqu’elles avaient été réalisées, non par des laboratoires dépendant d’organismes publics, mais par des organismes privés liés à notre concessionnaire. Ainsi, un grand nombre des terres agricoles qui devaient initialement recevoir les granulés issus du séchage des boues traitées à Ginestous étaient-elles déjà classées en « zones vulnérables aux excès de nitrates », au sens de la Directive européenne du 12 décembre 1995 !

Sans compter que les affirmations de la Générale péchaient aussi sur un autre point. Le projet Ginestous 2000 prévoyait qu’outre les boues d’épuration de la ville, celles de dix-sept communes avoisinantes seraient elles aussi traitées dans la mégastation. Sauf que si la filiale de Vivendi apportait donc des « garanties » (contestées) quant à l’innocuité sanitaire des boues d’origine toulousaine, elle ne s’engageait pas à ce que soient mises en place des procédures d’analyse séparée des boues provenant des dix-sept autres stations d’épuration, qui seraient donc expédiées elles aussi à terme à Ginestous. Or nos fameuses circulaire et décret interdisent le mélange de boues provenant d’installations de traitement distinctes, sauf accord express du préfet, « qui peut autoriser leur regroupement dans des unités d’entreposage ou de traitements communs, lorsque la composition de ces déchets répond aux conditions prévues au chapitre III ». En clair, à condition que les boues provenant d’autres stations soient elles aussi soumises aux traitements et contrôles qui permettent de les faire entrer dans la catégorie des boues « hygiénisées ». Ce qui n’était donc pas le cas dans le projet déposé dans le Générale lors de la seconde enquête d’utilité publique, qui n’apportait de garanties (au demeurant sujettes à caution) sur ce point que pour les boues toulousaines...

Le dossier d’extension de Ginestous fourni par la Générale à l’appui de son projet lors des deux enquêtes d’utilité publique qu’il a suscitées constituait au total un accablant florilège des aberrations environnementales qu’entraîne désormais fréquemment la volonté obstinée d’imposer à toute force des « solutions techniques », lesquelles ne remettent jamais en cause le processus même à l’origine d’une pollution qu’on ne parvient plus à maîtriser.

Exemple ? Ces dossiers doivent comporter des représentations cartographiques au 1/25 000e du périmètre d’étude et des zones aptes à l’épandage des boues. Les cartes présentées étaient vieilles de plusieurs années, et omettaient de nombreuses constructions récentes. Certains relevés cadastraux fournis étaient en fait vieux de vingt ans, et un grand nombre de maisons individuelles construites depuis lors n’y figuraient donc pas !

Ces dossiers doivent aussi comporter « des analyses de sols réalisées sur des points représentatifs des parcelles concernées par l’épandage ». L’une des analyses fournies par la Générale datait de... 1993. Elle était donc antérieure à au moins deux épandages massifs de boues non contrôlées qui étaient intervenus dans l’intervalle. Et ne pouvaient donc valablement constituer un « état-zéro » des sols dans le cadre de l’enquête d’utilité publique ouverte.

On pourrait continuer, presque à l’infini. Et noter par exemple que les stations d’épuration autonomes des dix-sept villes concernées par le projet d’extension, puisque leurs boues seraient traitées à Ginestous dans l’avenir, ont continué dans toute la période à se débarrasser de leurs propres boues sous forme liquide sur des terres agricoles – pratique des plus contestable. Et que rien ne garantit donc que de fâcheux « recouvrements » ne viennent finalement totalement fausser des « études d’impact » déjà sujettes à caution...

Au total, et si l’on cherche « à qui profitera le crime », la réponse est vite trouvée. Les opposants au projet découvriront en effet que la Générale va aussi proposer à la mairie de Toulouse de construire dans les prochaines années, toujours sur le site de Ginestous, une unité de « dénitrification », destinée à perfectionner les traitements qui permettent de distribuer de l’eau potable aux Toulousains. Dès lors la boucle serait bouclée : après avoir contribué à créer un problème, soit la pollution croissante des ressources en eau par la mise en œuvre de techniques d’épuration des eaux usées à l’évidence inadaptées, on présentera ensuite la note à la collectivité, en dépit des critiques aussi virulentes que fondées qui auront été émises des années durant, tant par les populations concernées que par différentes autorités administratives qui ont eu à connaître du dossier.

Reste qu’au terme de quatre années d’instruction administrative du projet, le préfet de la Haute-Garonne délivrait finalement, le 25 juin 2001, un arrêté autorisant « l’extension et la mise aux normes de la station » de Ginestous. Et le Comité de bassin de l’Agence de l’eau Adour-Garonne décidait dans la foulée, en octobre 2001, un mois après l’explosion de l’usine AZF, d’engager les financements des premiers tranches de travaux des incinérateurs.

A l’évidence, le contrôle de légalité exercé par les pouvoirs publics sur ce type de projet est encore loin de se situer à la hauteur des enjeux.

Contestations Retour à la table des matières

Dès l’automne 1997, les opposants à l’extension de Ginestous commencent à se mobiliser fortement. Ils vont se battre pied à pied tout au long du déroulement des deux enquêtes d’utilité publique qui vont se succéder, après que la première se sera vue sèchement retoquée par les administrations de tutelle concernées.

Des usagers créeront par exemple dès le 3 octobre 1997 une association de défense à Saint-Lys, petite ville de la banlieue toulousaine, après qu’un projet d’épandage de boues d’épuration sur les terres agricoles de leur commune leur aura été présenté par un chargé de mission « valorisation agricole des boues » du Conseil général.

L’association « Saint-Lys Terre propre » soulignera d’emblée que la zone de Ginestous est inondable... Comme l’établit sans conteste le dossier de la première enquête d’utilité publique ouverte en 1998. « La zone d’activité nord-ouest où se situe l’usine de dépollution de Ginestous se caractérise par une faible occupation du sol qui s’explique en grande partie par l’inondabilité de la rive droite de la Garonne, et ne correspond pas aux caractéristiques d’un quartier à vocation péri-centrale (à moins de 3 kilomètres du centre ville). » La municipalité objectera que la digue qu’elle a édifiée à Ginestous en 1995 protègera l’usine de toute inondation, en prenant comme référence la crue de 1875. Mais, en près d’un siècle et demi, d’autres digues ont été construites en amont de Ginestous, et le nord de Toulouse s’est urbanisé, ce qui a fortement modifié l’hydrographie toulousaine. Et notre association aura beau jeu de rappeler que des affirmations identiques avaient été avancées quelques années plus tôt pour la centrale nucléaire du Blayais. Qui devra pourtant suspendre son activité pour cause d’inondation lors des tempêtes de l’hiver 1999...

Chiffres en folie Retour à la table des matières

Il y a plus grave. La Générale des eaux va endurer en 1998 les foudres de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, qui subventionne en partie son activité, puis celles du Secrétariat permanent pour la prévention industrielle (SPPI), un organisme qui dépend du ministère de l’environnement. Ils suspectent la Générale d’avoir sérieusement exagéré les chiffres du traitement de la pollution de l’eau collectée à Ginestous. Traitement pour lequel l’entreprise perçoit des redevances acquittées par l’usager, qui transitent par l’Agence de l’eau, avant qu’elle ne les rétrocède pour partie à la Générale. Révélée par un hebdomadaire local, le Satiricon, l’affaire a fait scandale. On comprend vite pourquoi.

Quand les résidus contenus dans les eaux usées parviennent dans l’un des bassins de décantation de Ginestous, les matières organiques solides en suspension sont d’abord retenues par des grilles et des filtres de plus en plus fins. L’eau est ensuite traitée et nettoyée de ses impuretés bactériologiques avant d’être rejetée dans la Garonne. Au fil de traitements complexes, les boues d’épuration, soit les résidus retenus, sont transformés en matière sèche, qui est ensuite valorisée sous forme de granulés destinés à l’agriculture. Chaque habitant relié à la station, à raison de 200 litres d’eaux usées rejetées chaque jour, produit environ 20 kilos de matière sèche par an. Et ce sont ces opérations de transformation qui figurent sur la facture d’eau de l’usager, sous l’appellation de « taxe d’assainissement ». Plus le nombre d’habitants concernés augmente (les industriels sont eux aussi taxés en « équivalents-habitant » à raison de leurs rejets), et plus le volume de pollution traitée par la station doit donc croître.

Or, si l’agglomération toulousaine a régulièrement gagné dix mille habitants par an depuis le début des années 1990, et que l’on peut donc comprendre le souhait de la ville et de son concessionnaire d’accroître la capacité de dépollution de Ginestous, très étrangement, c’est en fait l’inverse qui semble s’être produit depuis 1992. Un document interne de l’Agence de l’eau du bassin Adour-Garonne, intitulé « Note sur le système d’assainissement de la Ville de Toulouse », en date du 5 octobre 1998, soulignait en effet qu’entre 1992 et 1998, « le flux journalier des déchets entrant à la station de Ginestous diminue de 27%. Et les matières en suspension de 32% ». Une décrue contredisant les constats de l’Agence de l’eau, qui ne voit diminuer « ni les pollutions industrielles raccordées, ni celle des volumes d’eaux distribuées. Ces deux paramètres s’avérant relativement stables durant cette période », ajoutaient les auteurs de la note.

Résultat, en six ans, de 1992 à 1998, la baisse constante des déchets traités correspondrait donc à la « disparition » de 160 000 EqH. Alors même que la population de la ville ne cesse d’augmenter... Intriguée – on le serait à moins –, l’Agence de l’eau saisit la CGE. Celle-ci déclare entreprendre « des contrôles sur le réseau, les dispositifs de mesure de débits et de prélèvements, les protocoles analytiques », avant de s’avouer « incapable de donner un début d’explication à cette baisse de charges et de volumes », déplorait l’auteur de la note. Et de souligner que la CGE n’invoque pour toute explication que « la réhabilitation et l’extension du réseau » : un peu court. D’autant plus, soulignait l’Agence en enfonçant le clou dans un courrier adressé ensuite à la mairie de Toulouse – légalement tenue de vérifier les activités de son concessionnaire, la Générale des eaux –, que, « sans doute embarrassée, la CGE ne nous transmet plus depuis mars 1998 un diagnostic satisfaisant et les résultats de son autosurveillance ».

L’affaire fait des remous et remonte le très complexe organigramme du dispositif administratif de la gestion de l’eau en France. Du coup, le Secrétariat permanent pour la prévention industrielle (SPPI) est saisi du dossier. Il va constater à son tour qu’en 1999, Ginestous n’aurait produit que 7 700 tonnes de matières sèches. Cela alors même que l’année précédente, en 1998, la station revendiquait une production de 14 000 tonnes... Autrement dit, la station aurait enregistré une chute brutale de son activité de 50% en une année !

Il est vrai qu’en cette même année 1999 la Générale a du reconnaître qu’elle avait laissé s’écouler dans la Garonne une partie des eaux usées domestiques qu’elle doit théoriquement épurer. Et d’invoquer pour sa défense les difficultés qu’elle rencontrerait à stocker nos encombrantes boues d’épuration, que les agriculteurs refusent de plus en plus massivement d’utiliser comme fertilisant d’épandage. Reste qu’on conçoit mal que ces difficultés puissent justifier cette considérable et brutale « chute de régime ».

L’histoire se corse quand on découvre que les statistiques établies par l’Agence de l’eau, qui analysent notamment le volume d’azote traité (NTK) – un indicateur qui devrait varier avec le volume de pollution – ne décroît pas, ce qui serait logique, mais reste constant de 1992 à 1998... « La CGE [a été] alertée sur ce phénomène dès 1997 », précisait la note de l’Agence. Il faudra en fait attendre la fin de l’année 1998 pour que l’Agence puisse prendre connaissance d’un rapport établi par un expert « indépendant », le cabinet Wolf. Quoique lénifiant – c’est la CGE qui a payé l’étude –, le rapport Wolf soulignait lui aussi ces anomalies, attribuées à des « dysfonctionnements techniques ».

Dépollution à prix d’or Retour à la table des matières

La dispute n’est pas anodine. Ce sont donc 160 000 EqH qui se seraient mystérieusement évaporés. Ou plutôt, la station n’aurait en fait traité qu’une quantité de déchets équivalant à la soustraction de ces 160 000 EqH de son activité globale, évaluée à 550 000 EqH. Et cela, chaque année de 1992 à 1998. Or, c’est cette unité de mesure qui détermine le concours financier apporté à la Générale par l’Agence de l’eau pour sa participation à la maîtrise de la pollution de la Garonne. Le concessionnaire est en effet rétribué par une prime de l’Agence, proportionnelle à la pollution éliminée. La Générale a ainsi perçu en 1996 environ 15,8 MF au titre de la dépollution, auxquels il faut ajouter 3,5 MF au titre de « l’aide au rejet minimum ». Une sorte de bonus pour dépollueur performant.

Dès 1999, l’Agence de l’eau soupçonne en fait la Générale de l’avoir abusée, et d’avoir « enjolivé » ses performances réelles. Si bien que le concessionnaire voit disparaître sa prime, versée au titre de « l’aide au rejet minimum ». Puis l’Agence refait ses comptes. Ces « recalages techniques » font tomber la facture à 8 MF. Ceci sans que l’épisode fasse l’objet d’une quelconque communication de la mairie de Toulouse, qui aurait pourtant pu se targuer d’avoir réduit la facture de l’usager.

Il est vrai que demeure la question de l’éventuel « trop perçu » si, comme tout semble l’attester, la Générale a en fait été rémunérée de 1992 à 1998 sur la base d’une prestation de dépollution surévaluée. Pour les seules années 1996, 1997 et 1998 cette « surfacturation » a été estimée par plusieurs associations d’usagers de l’eau toulousaines à un montant annuel de 7 MF. Si l’on y ajoute les « super-primes » qui auraient elles aussi, par hypothèse, été indûment engrangées durant six ans, l’addition, payée par l’usager, se chiffrerait au bas mot à 50 MF...

Mais on conçoit que tant la Générale que la mairie de Toulouse aient préféré observer un silence prudent sur ces « dysfonctionnements techniques ». Car l’Agence de l’eau ne s’est pas privée de tirer le signal d’alarme : « On peut imaginer la difficulté dans laquelle se trouveraient la ville, l’exploitant... et l’Agence elle-même s’ils devaient argumenter le projet d’extension en admettant leur incapacité à expliquer la perte en réseau de 27% de la charge initiale », s’inquiétait ainsi l’auteur du rapport précité. Avant de préciser le fond de sa pensée : « Cette perte est susceptible de remettre en question les bases du dimensionnement de la station Ginestous 2000, ou du moins l’économie générale de l’opération. » On ne saurait être plus clair. Car l’argument majeur avancé par la Générale pour justifier l’extension du site, et notamment la construction de deux nouveaux incinérateurs, repose sur ces fameux 550 000 EqH (le taux estimé de pollution de la ville de Toulouse), dont 160 000 se sont donc mystérieusement évaporés durant des années. Or, comme les volumes de pollution réels ont été revus à la baisse par l’Agence de l’eau, la capacité de traitement de la station actuelle apparaît satisfaisante.

Fortement embarrassée, la Générale invoque dès lors le spectre de 8 000 EqH supplémentaires par an, qui justifieraient pleinement l’engagement des travaux à l’horizon 2015... Sauf que, comme n’ont pas manqué d’objecter les opposants au projet, on ne constate depuis 1999 aucune progression en ce sens, puisque les volumes traités demeurent stables. Et pour ce qui concerne le traitement des boues, la station, s’étant équipée d’un sécheur à 45 MF et ayant été mise aux normes, satisfait depuis lors amplement aux besoins. L’adjonction de deux nouveaux incinérateurs apparaît bien dès lors comme un luxe superflu – quoique très rémunérateur pour la Générale.

L’été de tous les dangers Retour à la table des matières

Dans le courant de l’été 1999, des quartiers entiers du centre-ville de Toulouse, et notamment celui des Sept Deniers, le plus proche de la station d’épuration, sont empuantis par des effluves provenant de tas de boues entreposées à l’air libre sur la plaine de Ginestous. Plus de 50 000 Toulousains sont concernés. Dès la rentrée, des habitants des Sept Deniers se mobilisent et contactent le Comité de quartier qui organise une réunion. Il est décidé d’élargir la lutte à toutes les personnes et associations concernées. Une semaine plus tard, quatre-vingt riverains contactés de bouche à oreille se réunissent à nouveau et décident de constituer un collectif. Il ne s’écoulera pas quinze jours avant l’établissement d’une pétition, la diffusion de tracts dans les boites aux lettres des habitants, puis l’émission d’un premier communiqué de presse.

Le collectif découvre vite l’origine des nuisances olfactives de l’été précédent. Une défaillance du sécheur de l’usine d’incinération d’ordures ménagères du Mirail (qui aurait du être utilisé après le dysfonctionnement du sécheur construit à Ginestous, le lendemain même de son inauguration officielle) a interdit de brûler les boues au Mirail. Jusqu’à cette date, elles étaient donc transformées en compost, destiné à la fertilisation des terres agricoles. Mais nous avons vu que les collectivités et les agriculteurs qui les recevaient les refusent de plus en plus. Une solution d’urgence est alors mise en place. La SADE, filiale de la Générale qui exploite la station, décide d’entreposer ces boues à ciel ouvert, et de les recouvrir d’écorces de pin, afin d’accélérer le processus de décomposition, et de retenir les odeurs.

En fait, cette plateforme de compostage est construite en toute hâte par la SADE, sans permis de construire, sans en informer les habitants, sans respecter les normes de construction pour éviter la pollution de la nappe phréatique... Elle est située chemin de Candélie, juste en face de la Compostière de la mairie de Toulouse, à 200 mètres de la station d’épuration. Et voisine avec l’aire de concassage exploitée par une entreprise de travaux publics. Des tas de graviers de plus de six mètres la dissimulent donc fort opportunément aux regards.

Comme la couverture d’écorces de pin sous laquelle sont enfouies les boues ne suffit pas à atténuer l’odeur pestilentielle qui s’en dégage, chaque nuit les employés de la SADE les brassent hardiment pour accélérer leur transformation en compost. On va même jusqu’à installer en toute hâte des diffuseurs géants qui crachent en permanence sur la zone des jets de concentré de citronnelle ! Las, rien n’y fait. Et durant plusieurs mois de l’automne 1999, d’épouvantables exhalaisons acides, qui prennent à la gorge, infestent tous les quartiers du nord-ouest de Toulouse. Parfois, vents mauvais aidant, la pestilence gagne le centre-ville, et jusqu’à la commune de Blagnac.

Demande de moratoire Retour à la table des matières

Du coup le collectif d’opposants redouble d’activité. Surtout après la diffusion par la mairie et la Générale d’un bulletin se voulant rassurant, distribué dans les boites aux lettres des riverains. Le collectif organisera une manifestation le 13 mai 2000 sur la place du Capitole. Et interpellera vivement la municipalité : « Pourquoi concentrer sur un site unique le traitement des eaux usées de la quasi-totalité de l’agglomération toulousaine ? (...) Pourquoi les enquêtes publiques ont-elles été morcelées, contrairement aux dispositions prévues par le décret 93-145 et la circulaire Barnier du 27.09.93 ? (...) Pourquoi l’unité de compostage, installation classée, a-t-elle été construite et mise en service avant l’enquête publique et ce, sans permis de construire ? » Et de demander, au nom du principe de précaution, l’adoption d’un moratoire sur le projet. Jean Diebold, l’adjoint au maire en charge de l’eau et de l’assainissement, n’avait en effet apporté aucune réponse convaincante à ces questions lors d’une réunion publique précédemment organisée par le collectif le 22 mars 2000.

Or il apparaît clairement à cette date que l’extension de la station a pour but d’accueillir de nouveaux clients, directement connectés au réseau d’assainissement de la ville ou extérieurs, puisque sa capacité serait portée de 550 000 à 800 000 EqH. En témoignait par exemple un Avis d’appel d’offres pour le transport des lixiviats [4] de Villeneuve-les-Bouloc vers Ginestous, publié dans le quotidien local La Dépêche le 29 décembre 1999.

En l’état, elle recueille déjà des déchets industriels en provenance de dix-sept communes. La ville de Toulouse reconnaît en effet avoir signé près de 1 500 conventions avec des entreprises. Une formalité obligatoire avant tout raccordement d’industriels au réseau, qui fixe en particulier les charges et volumes admissibles sur le réseau, la participation aux frais de fonctionnement et d’investissement. En conformité avec le Contrat d’agglomération passé entre l’Agence de l’eau Adour-Garonne, la ville de Toulouse et son concessionnaire.

La station de Ginestous reçoit donc bien des déchets industriels identifiés en charge et en volume, comme le prévoit cet engagement. Mais le collectif s’insurge contre le fait que s’y ajoutent, dans un flou critiquable, et comme en fait foi le dossier d’enquête d’utilité publique ouverte pour l’extension du site, les boues issues des stations d’épuration de dix-sept communes périphériques de l’agglomération toulousaine, elles aussi chargées de déchets industriels de ces communes.

Le collectif s’élevait enfin contre l’augmentation constante de la facture des usagers de l’eau toulousains, pour sa partie relative au traitement des eaux usées par l’usine de Ginestous. Difficile de nier en effet les incidences des « grands projets » de Dominique Baudis et de la Générale. En 1989 (gestion directe mairie de Toulouse), la part « assainissement » de la facture s’établissait à 3,5600 F/m3. En 1990 (1e année concession CGE), elle grimpait à 4,1948 F/m3. En 1999 (10e année concession CGE), elle avait atteint 5,9635 F/m3. Soit des augmentations en pourcentage de 17,83% dès la 1e année de concession, et 67,51% au terme de la 11e année. En francs constants sur onze ans, avec une inflation de 20%, l’augmentation se chiffrait à 39,59 %. Et à la fin 2003, l’incidence des travaux de Ginestous 2000 serait de 1,50 F/m3, selon les chiffres avancés par la Mairie de Toulouse et la CGE. Soit une nouvelle augmentation de 25,15 %...

Petits arrangements avec la loi Retour à la table des matières

Confronté à la fronde de ses administrés, Dominique Baudis juge la situation suffisamment critique pour adresser à chaque riverain une longue lettre dans laquelle il s’engage à mettre fin à ces nuisances. Les ingénieurs de la Générale s’engagent du coup à rajouter une couverture sur le compost. Le coût de l’opération, qui n’avait pas été prévue dans le devis initial, se chiffre à 10 MF.

Dans sa lettre, Dominique Baudis imputait la responsabilité du retard des travaux d’extension de la station au préfet. Prévue pour 2001, elle était en effet très loin en 2000 de pouvoir être achevée à cette date. Le maire écrira donc que le programme a subi « des retards importants (...) du fait de difficultés de procédure avec les services de I’Etat ». Il omettait de leur préciser que la première version de Ginestous 2000 avait été sèchement retoquée par le Conseil national d’hygiène publique de France (CNHPF), au motif notamment d’un défaut d’enquête publique préalable, carence qui n’en avait pas moins été avalisée par la préfecture qui avait donné son feu vert au commencement des travaux.

Les experts du ministère de la Santé s’interrogeaient en outre, comme les riverains, tant sur le « sur-dimensionnement » de la station que sur son « sous-dimensionnement » qualitatif. En clair, le projet manquait singulièrement de précisions dans sa description du réseau d’assainissement de Toulouse. Et ceci sans compter que l’usine a dans le même temps continué à polluer la Garonne au-delà de l’acceptable. La Générale est donc priée de revoir sa copie, la facture continue à grimper et les boues malodorantes s’accumulent plus que jamais.

La quête du Graal Retour à la table des matières

La défaillance du sécheur en 1997 n’aura pas servi de leçon. Pour tenter de liquider ces maudites boues une bonne fois pour toute, les mécanos de la Générale imaginent finalement de les brûler dans des incinérateurs qu’ils construiraient à Ginestous. Pas d’alternative : la technologie de la méthanisation a été abandonnée dès le début des années 1990. Le sécheur de boues est tombé en panne le lendemain de son inauguration. Le projet de co-incinération avec des ordures ménagères au Mirail est donc lui aussi tombé à l’eau... Et pendant ce temps, la production de boues ne cesse bien sûr de croître !

Les mécanos de la Générale optent donc pour finir pour la construction de deux nouveaux incinérateurs sur le site même de Ginestous. Pas de problème : Veolia est aussi spécialiste de l’incinération. Elle en détient même le monopole en France avec vingt incinérateurs spécifiquement dédiés à l’élimination des boues d’épuration. Coût supplémentaire : 100 MF. Mais les riverains, déjà excédés par les odeurs de l’aire de compostage, grimpent aux rideaux à l’idée de risquer d’endurer les possibles émanations de dioxine produites par ce type d’installation. Certains contestataires accusent même la Générale d’avoir délibérément laissé se propager les effluves du compostage à l’été 1999 pour rendre incontournable la construction des incinérateurs... Sur le fond, l’argumentaire technique de l’opérateur ne convainc guère. Car les riverains ont désormais conscience que, sous couvert de « mise aux normes », c’est en fait à une extension considérable de la station qu’entendent procéder la Générale et la municipalité, jusqu’à en faire l’une des plus grosses stations d’épuration françaises, dont le coût estimé a gaillardement explosé, puisqu’on passera des 273 MF prévus en 1997 à 555 MF, chiffre officiellement annoncé par la mairie de Toulouse en 2001.

Et l’on comprend l’inquiétude des riverains. Deux incinérateurs « dédiés » vont donc être construits, à 3 kilomètres du Capitole. En 1999, selon l’Ademe [5], les stations d’épuration françaises se débarrassaient de leurs boues par enfouissement (30%), épandage (50 à 55%), et incinération (15% à 20% seulement). A Ginestous, selon la Générale des eaux, 13 500 tonnes de boues étaient éliminées en 1999 par voie de compostage (30%), et de séchage à hauteur de 50 à 55%. A l’avenir, grâce à la construction de deux incinérateurs, si le compostage sera toujours utilisé pour 30% des boues, leur séchage ne représenterait plus que 30% du traitement, et l’incinération 40% (chiffres avancés en novembre 1999 par la mairie de Toulouse dans une lettre aux riverains du site).

En fait, c’est l’ensemble des boues produites dans l’agglomération qui ont vocation à être incinérées à l’avenir : celles issues de la plate-forme de compostage, du sécheur, de l’usine d’épuration, comme d’autres boues artisanales et industrielles. Déshydratées de 30%, elles seront d’abord stockées dans un silo, puis acheminées jusqu’au four par un système de conduits. Hormis la phase de mise en route, le dispositif ne consommera pas d’énergie puisque les boues sont auto-combustibles. Chacun des deux fours éliminerait à terme 7 000 tonnes de boues, à une température de 850°C. Ceci pour une capacité totale de traitement (compostage, séchage et incinération) évaluée à 20 000 tonnes annuelles en 2013.

Problème : la technique de l’incinération est de plus en plus violemment contestée. A raison. Les risques sanitaires qu’elle fait peser sur les riverains ont défrayé la chronique depuis l’affaire d’Albertville, dans l’Isère, à l’automne 2001 : les rejets d’une usine d’incinération d’ordures ménagères sont suspectés d’avoir très gravement affecté la santé de milliers de personnes.

Incinération : un traitement à hauts risques Retour à la table des matières

Aujourd’hui environ 20% des boues d’épuration françaises sont éliminées par voie d’incinération. Ces boues sont chargées en métaux lourds, en micro-polluants et en germes pathogènes. Or aucun procédé de combustion n’est parfaitement maîtrisable, surtout si l’on prend en compte le caractère hétérogène de ces déchets et le volume important de boues que doivent traiter ces fours d’incinération.

Cette combustion provoque des réactions incomplètes, où se forment notamment du monoxyde de carbone, toxique. Et des molécules complexes, les HAP (polluants organiques persistants), qui sont cancérigènes. Dont les HAP chlorés, plus connus sous le nom de dioxines et furanes, qui sont des toxiques persistants et « bioaccumulatifs ». Ces dioxines se reforment en fait après leur destruction dans des conditions complexes.

Les métaux comme le fer et l’aluminium sont oxydés et se combinent avec le silice et le calcium pour former la base des cendres et des mâchefers, qui sont les « sous-produits » de l’incinération. Quant aux « métaux lourds », plomb, cadmium, mercure ou zinc, ils vont former des vapeurs ou se fixer sur les composés minéraux : les mâchefers qui s’accumulent à la base du four, et les cendres volantes qui sont entraînées par le flux gazeux de la combustion.

L’incinération produit donc un mélange d’une multitude de composés, sous forme solide ou gazeuse. Il va donc s’agir d’éliminer tant les composés minéraux, pollués par des métaux lourds et des dioxines, que les flux gazeux, eux aussi chargés de polluants. Pour filtrer les poussières, on va utiliser des filtres en tissu. On y recueille des cendres dites « volantes », fortement contaminées par des métaux et des composés organiques. Le lavage de la fumée nécessite de l’eau et un réactif – la plupart du temps de la chaux. On obtient dès lors un nouveau déchet appelé résidu d’épuration des fumées (Refiom). Selon le procédé, on obtient également de l’eau polluée, à renvoyer en station d’épuration. Les évolutions récentes de la réglementation sur les émissions de dioxines et d’oxyde d’azote ajoutent, pour les premières, des systèmes complexes de régulation des températures de gaz, pour les secondes l’incorporation d’un réactif coûteux.

Au total l’incinération produit donc une émission atmosphérique, des mâchefers, des cendres, des Refioms et des rejets liquides. Tous toxiques. La question est de savoir quelle est la quantité admissible de ces rejets. Or, les métaux lourds, et les polluants organiques persistants comme les dioxines, ont la particularité de s’accumuler dans l’environnement et dans les tissus corporels. Quelles que soient les normes en vigueur, la fumée qui s’échappe des incinérateurs, même composée majoritairement de vapeur d’eau et de gaz carbonique, est donc toxique.

De plus, les sous-produits de l’incinération vont aussi devoir être éliminés. C’est dès lors un cycle perpétuel qui se met en place. Le rejet liquide de l’incinération repart à la station d’épuration, qui va à nouveau « piéger » les polluants métalliques dans ses boues. Boues polluées qui, n’étant pas épandables, vont donc revenir à l’incinération...

Les mâchefers vont être expédiés sur une plate-forme de « maturation ». Une simple aire de stockage, où ils vont « prendre l’air » pour refroidir et oxyder les dernières traces de matière organique imbrûlée. Comme il va falloir construire des dalles de béton afin que ces mâchefers ne polluent pas le sous-sol, l’élimination des mâchefers va représenter une fraction notable du coût global de l’incinération. Après avoir été soumis à un « contrôle qualité », ils pourront, selon les mesures de contamination, soit alimenter des décharges, où ils seront « confinés », soit servir de matériau de récupération pour les travaux publics ou le bâtiment. Ce recyclage des mâchefers permet en fait de faire l’économie de leur confinement en décharge surveillée. A ce stade surgit un premier paradoxe : on disperse dans l’environnement des déchets toxiques que l’on a préalablement concentrés dans un incinérateur dans un souci de « sécurité sanitaire »...

Pour ce qui est des cendres et des Refioms, étant fortement contaminés et toxiques, ils deviennent à ce stade des Déchets industriels spéciaux (DIS), dont une loi du 13 juillet 1992 exigeait de réduire la quantité et le caractère nocif. Au total, l’incinération des boues d’épuration aura donc transformé des déchets ménagers ou des déchets industriels banals en DIS. Second paradoxe.

Conséquence inévitable, ces DIS doivent être éliminés. Ne reste donc plus qu’à les confiner en décharge. Mais ces DIS étant extrêmement solubles, les polluants qu’ils contiennent (sels et métaux lourds) vont être immédiatement entraînés dans les jus de décharges (lixiviats), et se retrouveront donc (dans le meilleur des cas...) en station d’épuration, où ils alimenteront à nouveau un cycle perpétuel d’élimination qui ne pourra jamais atteindre ses objectifs.

Ultime parade, leur « solidification ». On va agréger en blocs compacts les cendres et les Refioms, grâce à du ciment et de l’eau additionnée d’adjuvants. Si les déchets deviennent du coup moins solubles, les blocs solidifiés n’en continuent pas moins de rejeter des polluants sur une période plus longue. Et le processus a des failles. Comme le mélange déchet-ciment « prend » rapidement, l’usine doit être située sur un centre d’enfouissement où un camion va déverser le mélange dans des alvéoles. En principe, les contrôles effectués au préalable en laboratoire permettent de repérer l’alvéole qui contiendrait un mauvais « solidifiat ». Reste qu’ensuite, l’exploitant est seul à même de juger de l’opportunité de réintroduire dans le circuit ce bloc par trop polluant, afin de le traiter à nouveau.

Si les mâchefers encombrent vite les décharges (300 grammes pour 1 kilo de déchets), le procédé de solidification puis confinement en décharge de « classe 1 », qui ne produit que 40 à 60 grammes de « solidifiat » pour un kilo, a aussi l’avantage de constituer une rente pour les exploitants privés. Outre un aspect « technologique » séduisant et l’apport de marges supplémentaires, ce processus d’élimination par confinement sur des sites protégés est garant... de la pérennité dudit site. Il provoque en outre moins de nuisances visuelles et olfactives qu’une décharge de classe II ou III, et donc moins d’oppositions.

Au total, l’incinération produit donc un ensemble de déchets toxiques, qui représentent plus d’un tiers du poids des déchets non toxiques qu’on lui confie ! Déchets qui vont ensuite devoir subir d’autres traitements spécifiques, avant de finir par être stockés dans une décharge qui n’apportera jamais de garanties absolues de sécurité. Elle peut en outre générer un transfert de pollution vers des rejets liquides qui devront à nouveau être traités, engageant un véritable cercle vicieux. Sans compter la dispersion de polluants dans l’air qui, même réduits après traitement, n’en demeurent pas moins dangereux. Fait reconnu par une convention internationale sur les polluants persistants (Convention de Stockholm), qui préconise l’adoption de filières de substitution à l’incinération.

Concession perpétuelle ? Retour à la table des matières

Les déboires de la Générale et de la Mairie seront largement évoqués par l’opposition toulousaine lors des élections municipales du printemps 2001, qui verront Philippe Douste-Blazy succéder à Dominique Baudis. Le contrat de concession, valable trente ans, signé en 1990 entre la ville et la Générale prévoit en effet dans son article 51 la mise en régie provisoire du service d’assainissement « en cas de faute grave du concessionnaire ». Mieux, l’article suivant prévoit que « si le concessionnaire n’a pas mis les ouvrages en service dans les conditions du cahier des charges, ou en cas d’interruption totale et prolongée du service, la ville pourra prononcer elle-même la déchéance du concessionnaire ». Du grain à moudre, tant pour l’opposition municipale que pour les différentes associations d’usagers qui se manifestent de plus en plus bruyamment à Toulouse.

Reste que tout cela n’empêchait finalement pas le Comité de bassin de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, présidé depuis vingt ans par l’inamovible Jean-François Poncet, de décider en octobre 2001, un mois après l’explosion de l’usine AZF, l’octroi d’une subvention de 31,5 MF pour « l’extension et la mise aux normes réglementaires de la station d’épuration de Toulouse Ginestous ».

Ancien ministre de Valéry Giscard d’Estaing, sénateur et président du Conseil Général de Lot-et-Garonne, Jean-François Poncet assumait la présidence du « parlement de l’eau » du grand Sud-Ouest depuis plus de vingt ans. Il sera d’ailleurs reconduit à l’unanimité dans ses fonctions pour un mandat supplémentaire de trois ans, le 24 juin 2002. Nouveau mandat qui va lui permettre de continuer à animer la politique de l’eau du bassin Adour-Garonne jusqu’en 2005.

Après quatre années d’instruction administrative du dossier, le préfet de la Haute-Garonne avait en effet finalement délivré le 25 juin 2001 un arrêté autorisant « l’extension et la mise aux normes de la station ».

L’Agence de l’eau précisait que « les contraintes réglementaires imposant le traitement de l’azote contenu dans les eaux usées, la volonté de traiter la pollution carbonée et l’augmentation constante de la population de l’agglomération toulousaine ont imposé ces nouveaux travaux d’un montant de 325 MF ». Ils devaient s’échelonner sur trois ans et l’aide totale de l’Agence atteindrait les 168,5 MF. La décision d’aide (35,3 MF) prise lors de ce Conseil d’administration était donc la première. Par ailleurs, le Conseil avait aussi donné un avis favorable pour financer en 2002 « la construction d’un premier four d’incinération des boues issues de l’épuration (76,2 MF de travaux) et d’un second en 2004 (30,3 MF de travaux), aux taux d’aide qui seront en vigueur à ces moments là ».

La Générale, et sa maison-mère Veolia Environnement, ont en fait peu à peu transformé Ginestous en laboratoire et en vitrine. VE, leader français de l’incinération des boues d’épuration, gère déjà une vingtaine d’unités en France. Comme la filière thermique traditionnelle est de plus en plus contestée, notamment en raison de ses rejets de dioxine, c’est à Seilles, petite ville proche de l’agglomération toulousaine, que le groupe expérimente et développe une nouvelle technologie : l’oxydation par voie humide. Son principe repose sur une oxydation sans flamme à basse température (230°C) et forte pression (30 bars) en présence d’un gaz oxydant (oxygène par exemple), et un temps de séjour de 30 minutes. Procédé compact, il s’applique sur des boues épaissies, et pourrait remplacer l’ensemble de la filière déshydratation-incinération traditionnelle.

On mesure les enjeux. Grâce à l’unité pilote d’oxydation par voie humide édifiée à Seilles, Veolia a déjà raflé à l’orée des années 2000 un énorme marché à Bruxelles, où l’entreprise a construit une nouvelle usine d’épuration, qui devait entrer en service en 2005. Forte de ce succès, VE escomptait construire des usines identiques à Milan et à Varsovie...

Montant de l’addition de la saga de Ginestous pour les Toulousains, qui financent comme tous les Français près de 85% des redevances perçues, via la facture d’eau, par les Agences de l’eau : séchage : 8,8 millions d’euros. Compostage : 3,4 millions d’euros. Co-incinération (qui n’aura finalement jamais été mise en œuvre) : 4 millions d’euros. Incinération : 16 millions d’euros. Soit au total, pour les boues uniquement, et sans compter le fonctionnement, 32 millions d’euros (211 millions de francs).

Alors que les agriculteurs et les collectivités refusent toujours davantage, en raison des risques sanitaires qui y sont liés, l’épandage des boues d’épuration sur les terres agricoles, les Toulousains vont désormais devoir vivre avec deux incinérateurs géants implantés en pleine agglomération. Vous avez dit « développement durable » ? Le plus durable dans l’histoire aura été la ténacité de la Générale et de la mairie. C’est dès le 17 décembre 1992 que le Conseil municipal avait adopté une délibération prévoyant la construction d’un incinérateur à Ginestous...

Il n’apparaît donc pas totalement impossible, au vu de ce qui précède, que l’« accident industriel » qui vient d’affecter la capitale belge trouve sa source, non dans un afflux malencontreux de gravats et de sables, charriés par le réseau public d’égouts de Bruxelles jusqu’à l’orée de la STEP édifiée par Veolia dans la capitale belge, mais bien plutôt dans le fameux process d’« oxydation par voie humide » des boues d’épuration produites par la STEP.

Il est malheureusement des plus probables, dans l’hypothèse où cette hypothèse s’avérerait fondée, que les différentes autorités bruxelloises, concernées qui, dans ce cas de figure, se seraient fait rouler dans la farine "à l’insu de leur plein gré", n’aspirent aucunement à ré-ouvrir la boîte de Pandore.

Ce qui se comprend aisément au vu du contexte très particulier qui aura entouré la signature de ce contrat. Une « histoire belge » qui pourrait toutefois, qui sait, finir par éclairer d’un jour singulier la chronique de ce nouveau désastre imputable aux pratiques, justement controversées, de nos inoxydables chevaliers d’industrie.

Notes

[1] L’équivalent-habitant (EqH) est une unité de mesure de la pollution organique biodégradable représentant celle produite par une personne en un jour.

[2] SDAGE : Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux. La loi sur l’eau de 1992 en a prévu l’établissement par chacune des six Agences de l’eau françaises.

[3] Eutrophisation : évolution d’un milieu aquatique caractérisée par son enrichissement en substances nutritives pour les végétaux (azote, phosphore). Le milieu devenu « eutrophe » peut devenir le siège de prolifération d’algues indésirables avec divers effets secondaires (production de toxines, appauvrissement en oxygène...). L’eutrophisation peut affecter aussi bien les eaux courantes que stagnantes.

[4] Lixiviats : eau ayant percolé à travers des matériaux polluants, notamment ceux d’une décharge ou d’un centre d’enfouissement technique (CET). Les lixiviats de décharge sont constitués des eaux d’infiltration, de ruissellement et de précipitation qui percolent à travers la masse de déchets enfouis se chargeant tant en matières minérales qu’organiques. Ces effluents liquides pollués sont communément appelés « jus de décharge ».

[5] Ademe : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. La politique de maîtrise de l’énergie et de gestion des déchets, largement orchestrée par l’Ademe, a été revue à la baisse par le gouvernement Raffarin. Le projet de loi de Finances 2003, adopté en Conseil des ministres le 25 septembre 2002, témoignait que le budget de l’Agence passerait en effet de 480 millions d’euros en 2002 à 315 en 2003, soit une baisse de 34,5%. Mme Roselyne Bachelot, ministre de l’écologie et du développement durable, avait d’ailleurs annoncé quelques semaines plus tôt à Agen, où se tenaient les Assises nationales des déchets ménagers et assimilés, que les aides à l’investissement que l’Ademe verse aux collectivités locales pour les aider à traiter les déchets ménagers seraient « réorientées », en clair revues à la baisse...

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